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Le capitaine Fracasse est un roman de Théophile Gautier, publié à Paris en feuilleton dans la Revue nationale et étrangère de décembre 1861 à juin 1863, et en volume chez Charpentier en 1863.

Vingt-cinq ans séparent la conception et la publication de ce roman promis dès 1836 à Renduel, annoncé deux ans plus tard par Desessart, destiné en 1845 à Buloz pour la Revue des Deux Mondes, prévu en 1853 pour la Revue de Paris et enfin publié huit ans après, avec un succès immédiat tant auprès du public que de la critique.

Attiré dès le collège par une littérature non académique, par les décadents latins, par Villon et Rabelais dont il s'imprègne, Gautier, sans les oublier, s'inspire essentiellement ici de certains écrivains un peu méconnus du début du XVIIe siècle (Saint-Amant, Théophile de Viau, Cyrano, Georges de Scudéry, Scarron) auxquels il a consacré, en 1834, la majeure partie des études qui formeront le recueil des Grotesques (1844).

Ces essais constituent le tremplin d'une création romanesque entravée par de nombreux travaux de journalisme alimentaire, et le dernier d'entre eux, consacré à Scarron, fournit même la trame et l'esprit du roman. On notera en outre l'influence de la poésie de Saint-Amant et des comédies de Corneille, les allusions à Cyrano de Bergerac, au Wilhelm Meister de Goethe, ou, car le roman historique est à la mode depuis les années 1825 environ, les réminiscences de la Fiancée de Lammermoor de Walter Scott, voire même de Notre-Dame de Paris de Hugo, sans oublier les références érudites issues d'ouvrages spécialisés comme les Curiosités de l'histoire du vieux Paris du bibliophile Jacob.

Dans les Landes se dresse un castel décrépit, habité par un vieux serviteur basque, un chat piteux, un chien poussif, une rosse décharnée et un jeune seigneur, beau, misérable et perclus d'ennui, le baron de Sigognac. Un soir, on frappe à la porte (chap. 1). Une troupe de comédiens demande l'hospitalité. Fasciné par la beauté de la Sérafina (la grande coquette), de l'Isabelle (l'ingénue), voire de Zerbine (la soubrette), Sigognac participe au festin des comédiens, qui l'incitent à les suivre. Sur le douloureux chemin du départ, une splendide amazone, Yolande de Foix, raille le gentilhomme déchu (2). Dans une auberge pittoresque, le marquis de Bruyères remarque l'aguichante soubrette et invite la troupe dans son château (3). Une fillette en haillons, Chiquita, prévient son ami, le brigand Agostin, de la présence des comédiens; mais lors d'un grotesque guet-apens, l'épée de Sigognac l'emporte sur le redoutable poignard du bandit (4). Le marquis reçoit superbement les comédiens, poursuit son aventure avec Zerbine, tandis que la marquise se montre sensible au charme très étudié du jeune premier, Léandre, à qui un billet intercepté vaut une volée de bois vert (5). La misère s'abat sur les comédiens: le Matamore, puis le cheval, meurent dans une tempête de neige, et Sigognac décide de prendre le rôle vacant sous le nom de Capitaine Fracasse (6-7). Aperçue à sa fenêtre par le très beau et très orgueilleux duc de Vallombreuse, Isabelle est importunée par lui. Sigognac intervient (8), puis défait les sbires de Vallombreuse, avant de blesser en duel son rival. Léandre retrouve la marquise masquée (9). Isabelle refuse par modestie la main de Sigognac et échappe de justesse à un enlèvement (10). A Paris, Sigognac visite la ville, tandis qu'un redoutable spadassin, Jacquemin Lampourde (11), joueur et ivrogne (12), est soudoyé pour le tuer. Isabelle est sauvée in extremis des bras de Vallombreuse et Sigognac vainc à l'épée Lampourde émerveillé (13) qui va rendre ses pistoles au duc (14). Celui-ci parvient à ses fins: Isabelle est séquestrée dans un vieux château isolé. Pour la sauver, les comédiens se battent vaillamment avec les truands qui la gardent et Sigognac transperce le duc dont le noble père survient pour reconnaître en Isabelle sa fille (15-18). Métamorphosé par une miraculeuse convalescence, Vallombreuse vient chercher Sigognac retiré dans son château en ruine pour lui faire épouser sa soeur qui restaurera superbement la vieille demeure (19-22).

Sacrifiant peu à la vraisemblance, le Capitaine Fracasse se présente comme un nouveau Roman comique où, comme chez Scarron, le burlesque s'appuie sur le réalisme des descriptions (scènes d'auberge ou de taverne, etc.). Indéniablement, mais superficiellement, roman de cape et d'épée, le Capitaine Fracasse révèle chez Gautier un art parvenu à sa maturité; combats, poursuites, tentatives d'assassinat et intrigues amoureuses ne doivent pas dissimuler une réussite formelle évidente, qui situe l'oeuvre au-delà du simple roman d'aventures. La littérature chez Gautier donne toujours à voir et le coup d'oeil incisif du peintre que l'auteur a failli devenir perce dans de nombreuses descriptions, souvent inspirées de Callot, d'Abraham Bosse ou des peintres flamands: le pittoresque des truands, bons pour la corde et tout droit issus de Villon, ne le cède en rien à celui des comédiens. Tous ces portraits si variés sous-tendent une typologie, chaque acteur coïncidant par exemple avec son emploi. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'absence de psychologie souvent reprochée à l'auteur: sa recherche est moins celle de l'expressivité que celle du «type», voire d'un idéal esthétique. La laideur (Dame Léonarde la duègne), les divers types de grâce (Sérafina, Isabelle ou Zerbine) pâlissent nettement par conséquent devant l'implacable et parfaite beauté de Vallombreuse, qui, parce qu'elle transcende la différence sexuelle, rappelle celle de Mlle de Maupin (voir Mademoiselle de Maupin).

Le souci esthétique n'entrave en rien le déroulement du fil romanesque, et le rythme soutenu du roman fait revivre le fourmillement flamboyant de toute une période historique que le pouvoir central n'a pas encore assagie. L'écriture, quoique constamment traversée par l'humour, est donc moins récréative que «recréation» d'une époque Louis XIII légèrement idéalisée, et Gautier excelle à pasticher ces auteurs «grotesques» qu'il a tant appréciés, ou à parodier la rhétorique précieuse. On admirera la diversité et l'éclat des langages, s'épanouissant aussi bien dans la péroraison emphatique et comique du pédant Blazius que dans les rodomontades vertigineuses du Matamore reconverti en Fracasse, personnage central dans la genèse du roman, issu de la tradition italienne (le Fracasso) et très en vogue au XVIIe siècle.

Mais le théâtre n'a pas seulement pour rôle d'exhiber la virtuosité verbale de l'écrivain. Vallombreuse comme Sigognac sont amoureux d'une actrice et Zerbine, enlevée avec son consentement, analyse avec justesse la fascination suscitée par l'actrice: «C'est une passion d'esprit plutôt que de corps.» Le théâtre, «ce rayon d'art» (chap. 8) qui transfigure la femme, ne fut sans doute pas pour rien dans la fascination exercée sur Nerval par la comédienne Jenny Colon, ou sur Gautier lui-même par la danseuse Carlotta Grisi. Enfin, la découverte de la scène par un néophyte est prétexte à une réflexion sur l'art dramatique et sur la pantomime, comme l'indique la référence à l'Illusion comique de Corneille: Sigognac doit apprendre à être vrai au sein même du mensonge théâtral; problématique «baroque» autant que romantique interrogeant le rapport de la vérité et de l'illusion.


Illustration de Jacques Laudy pour le célèbre roman de Théophile Gautier par une des figures majeures de la bande dessinée belge. Coll. privée

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Commentaires

  • administrateur théâtres
    Et voici quel était mon poème préféré:
    Chanson d'automne




    Déjà plus d'une feuille sèche
    Parsème les gazons jaunis ;
    Soir et matin, la brise est fraîche,
    Hélas ! les beaux jours sont finis !




    On voit s'ouvrir les fleurs que garde
    Le jardin, pour dernier trésor :
    Le dahlia met sa cocarde
    Et le souci sa toque d'or.




    La pluie au bassin fait des bulles ;
    Les hirondelles sur le toit
    Tiennent des conciliabules :
    Voici l'hiver, voici le froid !




    Elles s'assemblent par centaines,
    Se concertant pour le départ.
    L'une dit : « Oh ! que dans Athènes
    Il fait bon sur le vieux rempart !




    « Tous les ans j'y vais et je niche
    Aux métopes du Parthénon.
    Mon nid bouche dans la corniche
    Le trou d'un boulet de canon. »




    L'autre : « J'ai ma petite chambre
    A Smyrne, au plafond d'un café.
    Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre
    Sur le seuil, d'un rayon chauffé.




    « J'entre et je sors, accoutumée
    Aux blondes vapeurs des chibouchs,
    Et parmi des flots de fumée,
    Je rase turbans et tarbouchs. »




    Celle-ci : « J'habite un triglyphe
    Au fronton d'un temple, à Balbeck.
    Je m'y suspends avec ma griffe
    Sur mes petits au large bec."




    Celle-là : « Voici mon adresse :
    Rhodes, palais des chevaliers ;
    Chaque hiver, ma tente s'y dresse
    Au chapiteau des noirs piliers. »




    La cinquième : « Je ferai halte,
    Car l'âge m'alourdit un peu,
    Aux blanches terrasses de Malte,
    Entre l'eau bleue et le ciel bleu. »




    La sixième : « Qu'on est à l'aise
    Au Caire, en haut des minarets !
    J'empâte un ornement de glaise,
    Et mes quartiers d'hiver sont prêts. »




    « A la seconde cataracte,
    Fait la dernière, j'ai mon nid ;
    J'en ai noté la place exacte,
    Dans le pschent d'un roi de granit. »




    Toutes : « Demain combien de lieues
    Auront filé sous notre essaim,
    Plaines brunes, pics blancs, mers bleues
    Brodant d'écume leur bassin !»




    Avec cris et battements d'ailes,
    Sur la moulure aux bords étroits,
    Ainsi jasent les hirondelles,
    Voyant venir la rouille aux bois.




    Je comprends tout ce qu'elles disent,
    Car le poète est un oiseau ;
    Mais, captif, ses élans se brisent
    Contre un invisible réseau !




    Des ailes ! des ailes ! des ailes !
    Comme dans le chant de Ruckert,
    Pour voler, là-bas avec elles
    Au soleil d'or, au printemps vert !






    Théophile GAUTIER, Emaux et camées (1852)
  • administrateur théâtres
    J'ai "ado-ré" ce livre! J'avais douze ans, fascinée par le monde du théâtre et la richesse de la langue de l'illustre Théophile!
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