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Un peu d'ennui dans la vie.

 

Je faisais du stop.

- Je peux vous déposer quelque part ?

Un homme mince à peine plus âgé que moi, le menton orné d’une fine barbe, me regardait, l’œil amusé par ma surprise. Il était à bord d’une Mercédès décapotable toute noire, similaire à celles qu’utilisaient les généraux allemands durant la guerre.

J’ai posé mon sac sur la banquette arrière, et je me suis assis auprès du conducteur.

- Joseph Collard. On m’appelle Joe. Je vais au Zoute. Vous me direz où il faut vous déposer.

J’avais réservé une chambre dans un petit hôtel à proximité de la Réserve où se tenait une exposition consacrée à un peintre belge devenu célèbre. J’avais lu des critiques à son sujet, et j’étais curieux de voir sa peinture.

Le lendemain matin, dans le hall d’entrée du casino, là où les toiles étaient accrochées, j’ai vu Joe qui parlait avec le peintre. Je connaissais son visage que des journaux avaient dévoilé la veille. 

- René Magritte, le héros du jour.

- Héros, héros ! Il ne faut rien exagérer.

- Je n’exagère pas. Quand mon père achète une toile, c’est que le peintre est célèbre. Ou le deviendra.

Nous étions sortis. Il s’était assis sur les marches de pierre.

- En réalité, il ne s’y connait pas tellement. Mais s’il juge le peintre ambitieux, il organise sa carrière comme un jeu de stratégie. Bouche à oreille, expo, rareté, un scandale si ça peut aider à la notoriété.

- Nous ne sommes pas riches, Pierre. Etre riche, c’est vulgaire. Nous sommes fortunés. Très fortunés. Et moi, je m’ennuie.

J’ai appris plus tard que son père était surnommé l’empereur et que Joe, pour son vingt et unième anniversaire, avait reçu en cadeau un petit Piper.

Depuis, et jusqu’à la fin de sa vie nous nous sommes revus à de nombreuses reprises. Est-ce que nous étions devenus des amis ? Je le crois, oui.

J’ai revu Joe un an plus tard. Il mangeait à une table voisine de la mienne dans un restaurant réputé où j’avais invité un client important.   

Il était accompagné d’une jeune femme très élégante, et très séduisante. Lorsqu’elle éclatait de rire, les convives des tables proches des nôtres se tournaient vers elle en souriant.

Elle portait une robe de satin d’un bleu intense qui la moulait depuis la poitrine jusqu’aux genoux. Elle s’était levée au moment ou Joe nous avait présentés.

- Hélène, ma fiancée.

Mon invité la regarda davantage qu’il n’écouta les propos que je lui tenais.  Il leva la main.

- Il faut fêter cette rencontre au champagne. Les affaires, nous en parlerons un autre jour.  

Un serveur vint joindre nos tables.

Hélène jouissait d’être l’objet du regard admiratif de mon invité. Moi, je m’efforçais d’être discret tandis que Joe se tenait droit sur sa chaise, les bras croisés pour écouter sa fiancée.

Elle minaudait. Mon invité lui faisait des compliments auxquels elle répondait par des :

- Vous exagérez.

Après le repas, c’est lui qui suggéra de prendre un dernier verre ailleurs. Joe avait poliment refusé mais Hélène, toute excitée, avait répondu :

- Oh, oui !

J’avais dit que ma femme m’attendait, et je les ai laissés.

La vérité je l’ai apprise plus tard. Hélène n’était pas la fiancée de Joe. Une maitresse occasionnelle. Lorsque mon invité avait proposé un dernier verre, elle avait pressenti l’amant riche qu’il pouvait devenir. Quelques jours plus tard, elle était devenue sa maitresse.

La dernière fois que j’ai revu Joe, ce fut quatre ans plus tard. Nous habitions la campagne, et cet après-midi là j’étais seul à la maison. La sonnette a retenti. Je suis allé ouvrir, c’était Joe accompagné d’une très jolie femme qui ressemblait à ces mannequins que les magasines de mode affichent en page de couverture. Peut être l’avais-je déjà vue à la Télévision, je serais incapable de le dire, mais son visage me paraissait familier. Peut être parce que ces jolies femmes en couverture de magasine se ressemblent fort.

Je regardais Joe mais, je l’avoue, c’était pour ne pas regarder trop avidement sa compagne.

La poitrine triomphante sous un col roulé, les hanches serrées dans un pantalon impeccablement coupé, les lèvres entr’ouvertes, tous ces symboles de la sensualité féminine que véhiculent les fantasmes masculins, je m’efforçais de ne pas les regarder. Je me sentais rougir parce que j’avais le sentiment que Joe se moquait de mon attitude.

- Pauline et moi, nous rentrions. Je me suis souvenu de ta nouvelle adresse, et j’ai voulu te saluer. Je ne te dérange, pas ?

Pauline me souriait.

-Elle était en Espagne avec moi. Nous étions fatigués. Nous ne sommes pratiquement pas sortis de l’hôtel.

- Joe !

En me regardant, son sourire s’était élargi. Je crois qu’elle a mouillé ses lèvres.

- Je te téléphonerai. Allons Pauline.

Il la poussa vers la porte, la main posée sur ses fesses.                   

Plus tard, j’ai su qu’il avait revu Henry, un ami célibataire, qui n’avait d’autre occupation que d’être toujours amoureux de la femme de ses amis. Cela mettait du sel dans sa vie. Sans aucune vergogne, il fit la cour à Pauline qui, disait Joe, paraissait hésitante. Elle savait que Joe était riche, comme elle disait, mais Henry paraissait très riche lui aussi. S’il l’était plus que Joe, cela lui conférerait un charme supplémentaire.  

- Il ne faut pas se fier au physique des femmes. Ce n’est pas parce qu’elles sont belles, qu’elles ne pensent pas.

Joe aimait faire preuve de cynisme. Henry, Pauline et Joe ne se quittaient plus. Avant de sortir, ils prenaient l’apéritif ensemble. Toujours le même. Un whisky pur malt de quinze ans d’âge. Un soir, il n’avait pas eu envie de sortir, il avait versé du poison dans la bouteille. Il n’aurait qu’à ne pas toucher à son verre.

Ils trinquèrent en levant leur verre à la hauteur des yeux. Joe n’avait pas touché au sien de sorte qu’il vit Pauline et Henry redresser la tête avant de s’enfoncer dans leur fauteuil.

Il regarda son verre auquel il n’avait pas touché. Il le vida d’un trait

 

 

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