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12272738458?profile=original"La fable du monde" est un recueil poétique de Jules Supervielle (1884-1960), publié à Paris chez Gallimard en 1938. Élaborée dès 1935 avec la "Lettre à l'étoile", la Fable du monde regroupe des ensembles parus en 1936 et 1938, essentiellement à la Nouvelle Revue française (nos 268, 280, 287, 294), dans Mesures, dans le Mercure de France et dans Europe.

Le recueil se développe principalement autour de "la Fable du monde" publiée dans la Nouvelle Revue française n° 294 de 1938, qui en constitue la première section, suivie de neuf autres: "Prière à l'Inconnu", "Tristesse de Dieu", "O Dieu très atténué", "Nocturne en plein jour" (la plus importante avec "la Fable du monde", pour le volume et la signification), "Lettre à l'étoile", "Trois Poèmes de l'enfance", "Dans l'oubli de mon corps", "Visages des animaux", "Fables". Ainsi que dans le Forçat innocent et les Amis inconnus, Supervielle utilise tous les moyens de la versification: poèmes strophiques en vers réguliers - "Métamorphose", "Descente des géants" -, mais plus fréquemment coulées de décasyllabes (le vers épique par excellence) ou d'alexandrins non rimés ("le Chaos et la Création"), d'hexa- et heptasyllabes et, surtout, douze grands poèmes en versets (dont "Prière à l'Inconnu" et "Tristesse de Dieu").


Supervielle s'inscrit délibérément dans la tradition épique inspirée de la Genèse - de Hugo, en particulier. Mais, paradoxalement, c'est à un "inconnu" que le poète agnostique adresse sa "prière": "Voilà que je me surprends à t'adresser la parole, / Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes, / Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes [...]"
à bien des égards, ce récit épique de la création du monde - de l'humanité, du "Premier Arbre", du "Premier Chien" et des animaux, dont Supervielle dresse un tendre bestiaire -, apparaît comme une contre-épopée. Rien, en effet, du style sublime qui célèbre la puissance démiurgique du deus absconditus, bien au contraire: ce Dieu "très atténué / Des bouts de bois et des brindilles" est en proie au doute et à l'incertitude; il s'interroge sur la Création, qui lui échappe, et c'est un Dieu très humain, bienveillant et mélancolique, que peint la section "Tristesse de Dieu": "Hommes, mes bien-aimés, je ne puis rien dans vos malheurs." Autant dire que, selon les termes de Supervielle, Dieu est "un dieu de poète", "symbole de la Création, de l'oeuvre, grande ou petite". C'est la portée allégorique de la Genèse qui intéresse Supervielle, pour une méditation en abyme sur la "nuit" de la poésie, vécue dans les affres de la création: "Je ne sais maintenant ce que je porte en moi, / Mes yeux font de l'obscur et je cherche à mieux voir / [...] Parfois je ne sais rien de ce qui va venir."

L'angoisse qui sous-tend le recueil est assurément liée à la montée des périls dans l'Europe d'avant-guerre, ainsi que l'indiquent certaines allusions de la " Prière à l'Inconnu", datée de 1937: "Chaque matin ils se demandent si la tuerie va commencer...", et la correspondance entretenue alors avec Étiemble.
Le recueil est rythmé par un mouvement alternatif d'expansion et de concentration, de diastole et de systole: à la représentation du macrocosme - de l'homme perdu dans l'immensité interstellaire ("Lettre à l'étoile") -, répond la vision du microcosme intérieur et des abîmes du corps, en particulier dans la section "Nocturne intérieur". Supervielle est alors proche de l'"espace du dedans" et du "lointain intérieur" de son ami Henri Michaux lorsqu'il décrit les conestésies - flux du sang, battements du coeur, vibrations des nerfs - dans la grande tradition d'une poésie du corps: "C'est le monde où l'espace est fait de notre sang. / Des oiseaux teints de rouge et toujours renaissants / Ont du mal à voler près du coeur qui les mène."

Mais en vertu des correspondances de la pensée analogique, les "nuits" se confondent, en un échange incessant entre l'intérieur et l'extérieur: "Nuit en moi, nuit au-dehors, / Elles risquent leurs étoiles, / Les mêlant sans le savoir."
Si bien que "les étoiles délicates avancent de leurs pas célestes / Dans l'obscurité qui fait loi dès que la peau est franchie". Du plus profond du "nocturne en plein jour" surgit la question de l'identité, déjà posée par Gravitations et par le Forçat innocent: la Fable du monde poursuit la méditation douloureuse sur la place de l'homme dans le cosmos et sur l'unité d'un moi menacé par les "monstres de la nuit".

Par là, le recueil n'est pas sans évoquer la Préface, également liée aux circonstances politiques, dont Pierre-Jean Jouve a assorti Sueur de sang en mars 1933, sous le titre "Inconscient, Spiritualité et Catastrophe", où il dévoile le "monstre de Désir" tapi dans l'homme "en veston ou en uniforme".
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