De son voyage inattendu dans le décor d'une nuit tombante, le ciel rougi par les vents et l'impression d'être seul au monde. Il marchait depuis des heures et ne trouvait plus la raison profonde de cet état de chose. Mais c'est bien droit dans les yeux qu'il avait averti son entourage de son départ, sa compagne qu'il avait abandonné comme dans un roman. Son besoin insensé de liberté passait par cette fuite et il restait néanmoins blessé de ce geste.
Au bout de qq instants, il se rappela les pensées qui l'avaient poussé à partir. La découverte d'autres horizons lui trottait dans la tête depuis toujours.
Faire les valises, laisser le quotidien derrière lui, partir vers ce grand besoin d'espace qu'il aimait tant. Retrouver la solitude, l’indépendance, avoir l'éternité devant lui.
Enfin la résurrection de son être débarrassé de toutes ces contraintes qui depuis si longtemps l'enferment et l'isolent de son besoin de liberté, d'amour.
A force de marcher dans cette forêt aux couleurs d'automne, septembre lui semble plus serein et plus léger.
Le plus difficile lui paraît accompli. Il a décidé de sa vie et le bonheur est fourni avec. Le bruit de son sang dans les oreilles, sa vie prend une autre dimension, son cœur bat plus fort et il se sent désormais vivant.
Depuis ce jour où tout a basculé, où il a appris sa déconvenue, tout son être s’est tourné vers cette envie de départ, vers cette vie, qui à force d’être rêvée, inventée est devenue réalité et est maintenant à porter de main. Enfin, il a osé faire ce pas vers sa nouvelle destinée.
Leur abandonner son passé, se débrouiller avec ses souvenirs et errer à travers son absence. C’est ce qui veut leur laisser pour toutes ces années de doute, de tristesse et de peine. Oui, qu’il l’oublie pour que lui se sente libéré à son tour, qu’il puisse ôter de sa peau la misère qui s’y colle, muer de cette vie qu’il a tant détesté.
Rien ne pourra le faire changer d’avis. Dés ce soir, il marche, le billet en poche, il part. De sa vie passée, il ne gardera qu’une photo, qu’une lettre.
Après avoir claqué la porte de son ancienne vie et jeté la clé, ses pas l’emportent léger vers cette destination où il a rêve sa vie.
Un bout de terre et d’eau entouré de forêts peut-être, un endroit désert où il va aménager sa destinée au cœur de la nature, où il respirera enfin une paix qu’il lui a tant manqué.
Il avait abandonné celle qui avait partagé ses rêves, ses désirs, ses exigences et qui avait au début comblé ce vide immense qui s‘installait au plus profond de son âme. Il avait cru que tout s’arrangerait avec le temps et qu’elle parviendrait à le rendre heureux. Mais inconsciemment, ses aspirations avaient déjà un autre nom à cette époque et bien que refoulées, elles apparaissaient de temps en temps, de jour en jour lui faisant miroiter d’autres horizons, un autre avenir. Il savait que sa vie n’était pas ici mais là-bas loin, très loin d’ici.
Ce besoin de liberté si encré au cœur de son âme lui était apparu dés que son esprit avait pris conscience qu’il pouvait vivre autrement. Il se sentait enfermé, prisonnier, reclus dans la vie qu’il menait. Ces expériences pour vivre comme tout le monde n’avaient jamais eu de réussite et ne l’avaient pas rendu heureux. Il avait bien essayé d’être comme le commun des mortels mais en vain.
Cette fois, il était libre, son sac sur le dos. Il avait brûlé ses tourments et après avoir parcouru des kilomètres à pied, il avait sauté dans un train qui l’emmenait vers sa nouvelle vie. Son voyage serait long, il le savait.
Sa destination, l’Afrique, des territoires à perdre de vues, des plaines désertiques, des chemins rocailleux, des villages perdus sous un soleil qui brûle, grille tout. Une Afrique souvent cruelle, indomptable où le moindre filet d’eau est un miracle, où les maigres récoltes sont un don de Dieu.
Un autre monde s’ouvrait à lui, il l’aimait depuis toujours et en rêvait chaque nuit.. Non ce n’était pas une femme qu’il allait rejoindre, c’est bien plus que ça, c’était un continent livré à lui-même où les hommes ne possèdent que la vie et s’en contentent. Où les miracles sont journaliers et où la mort est présente comme la vie. Oui, c’est là qu’il veut vivre, pauvre comme ces hommes, démuni comme eux mais riche d’une force de vivre dans le regard, d’une fatalité qui leur est propre.
L’Afrique n’est pas un camp de vacances pour riches en quête d’originalité. L’Afrique est dure, pleine de contradictions, d’abominations et seule la vie tient envers et contre tout. La vie est toujours là à grappiller ce qu’elle peut trouver ici et là.
Dans ses rêves les plus profonds, il n’imaginait pas que tout cela puisse être si palpable. Un lever de soleil sur une plaine à perte de vue, un camp rempli de petites huttes où déambulent des chèvres malingres. Un coucher de soleil où les enfants couverts de vieux tricots jouent dans la lumière tombante de la nuit. Des nattes à même le sol servant de lit, les petits posent leur tête sur leur maman pour s’endormir et la nuit tombe d’un coup plongeant tout cet univers dans le noir.
Au petit matin, une légère brume recouvre la plaine, brume de chaleur où s’échappe un peu d’humidité. Au loin, les cris des animaux qui convergent vers le point d’eau. Il faudra attendre que ceux-ci soient repus et regagnés leurs territoires pour cheminer et remplir les outres salvatrices réservées aux hommes.
Chacun prend part aux activités et commence une nouvelle journée sous un soleil de plomb. En réalité, ce sont les femmes qui s’occupent de l’intendance, du bois, de l’eau. Les hommes les aideraient bien mais cela ne se fait pas. Un homme doit garder sa place en Afrique.
L’homme est un combattant, un chasseur et veille à son statut comme à sa dignité. Lui qui vient d’un autre monde n’est que l’étranger que l’on nomme le blanc. Peu importe, il a su se faire adopter et partage désormais sa vie avec ses nouveaux compagnons.
Le sac à dos collé à sa peau, il chemine de village en village, d’ergs et regs cherchant toujours un abri pour la nuit. Une misérable pitance le maintient en vie. La liberté a un prix et il s’en acclimate fort bien. Dormir à la belle étoile lui rappelle combien de fois il a rêvé ces instants et combien la liberté lui procure de bonheur même si c’est difficile par moment.
Plusieurs fois pendant ses randonnées, il a rencontré un jeune homme qui, comme lui, se déplace sac au dos. Cet homme encore jeune cherche aussi autre chose, l’oubli. La compagnie des hommes l’a apparemment déçu et c’est dans la solitude qu’il essaye de se reconstruire. Il reste à l’écart des qq êtres qu’il entrevoit de ci de là.
Son rêve était d’être acteur. Son physique aurait pu l’avantager mais la chance ne fut pas au rendez-vous. Dans son pays, partir de rien est une entrave et il avait cherché néanmoins à s’en tirer. Il avait été rattrapé par la guerre et avait opté à être « utile ».
Utile dans la bouche de certain devient vite un combat qui finit par transgresser les lois, la morale, l’honneur, la démocratie. Tout avait été beaucoup trop vite pour lui et il s’était retrouvé à faire des choses abominables. Il s’en était sorti au prix de remords qu’il essayait d’oublier et de combattre encore et encore…Repentance, résipiscence, regret. C’était sa nourriture actuelle.
Il s’était laissé entraîner dans une cause qu’il croyait juste et qu’au fil du temps se révéla monstrueuse. Son père avait été tué par sa faute et il traînait cette mort comme une chimère bien réelle et beaucoup trop lourde pour lui. Son visage de jeune premier gardait les traces de son malheur et de sa tristesse. Un matin, il disparut et personne n’eut plus jamais de ses nouvelles.
La vie continua sans que personne ne s’inquiète de son absence. C’est cela aussi l’Afrique.
Lui aussi avec un lourd passé et cette photo en poche lui rappelai qu’il n’avait pas toujours été un baroudeur, un voyageur sans but. Si ces rêves l’avaient ainsi rattrapé, cette lettre et cette photo était pour lui tout ce qu’il restait de son passé.
Sur son lit d’hôpital, un petit garçon vit sa vie finissante et s’invente des histoires à sa mesure et où un minute, une heure est la vie, il doit la combler chaque seconde d’une existence qui s’en va. Il partage avec ses compagnons d’infortune un combat perdu d’avance. Il n’a pas eu le choix de sa destinée et n’a pas eu le temps nécessaire pour choisir sa vie. Enfermé dans cette chambre, fenêtres fermées, endroit clos et pourtant donnant sur le monde, il n’a pas d’ailleurs.
C’est son fils, sa joie, son bonheur, sa vie qui s’en va. Son chagrin, sa tristesse, sa colère avant de pouvoir accepter cette mort annoncée. Il se sent sale et veut partir, partir…Abandonner cette vie avant qu’elle ne chavire, qu’elle disparaisse.
La photo qu’il garde sur son cœur et cette petite lettre que lui a donné son fils pour qu’il ne l’oublie pas sont ses deux trésors.. Comment l’oublier alors qu’il est toute sa vie.
C’est pour lui qu’il a tout quitté, qu’il cherche un endroit autre, loin de tout pour oublier, pour l’oublier…un peu. Grappiller un peu de paix et vider son cœur de cette tristesse qui l’accable toujours des années après. La vie ici ou là-bas est semblable par moment.
Ce matin, au lever du soleil, à qq pas de là, un petit garçon est assis. Il ne le regarde pas. Il ne bouge pas. Au bout d’un instant, il dit : - « Je n’aurai pas dû t’écrire cette lettre, je ne pensais pas ce que je disais ».
On ne pense pas grand-chose devant ce qui va arriver. – « Tu ne m’en veux pas… »
Comment pourrait-il lui en vouloir, lui qui crie sa douleur partout où il passe, qui ne pense qu’à lui, qui est inconsolable. Lui qui est parti le laissant là sur place, dans cette nuit. Lui qui ne pensait qu’à ses rêves, à sa liberté pour vivre, revivre. Depuis tout ce temps, il ne l’a pas oublié.
L’enfant s’est approché un peu de lui. – « Viens papa, rentrons à la maison. C’est ce que je veux. Oui, je veux rentrer. Viens papa aussi sûr que toi et moi ne faisons qu’un. Rentrons ».
Josette Gobert
Commentaires
merci Claudine pour tes encouragements. j'aimerai faire plus léger..
Bisous Josette
Bonjour Josette.
Très émouvant, c'est le moins que l'on puisse dire. Sincères félicitations.
Bisous, Claudine.