Où l’on apprend que Saint-Ex est allé à New York en 1941 avec l’ambition de créer une alternative au général de Gaulle au sein de la résistance française où il rêvait de jouer un rôle majeur. Le fervent opposant au régime de Vichy se fait appeler « le résistant de la 5th Avenue » Et c’est ce lieu d’exil qui devient le berceau du Petit Prince, publié à New York en anglais en août 1943. L’histoire d’un homme tombé d’une autre planète dans un lieu étrange qui y dessine ses rencontres, ses amours, ses amitiés et sa destinée. « La mort est une énigme qui les résout toutes »
Espérant pouvoir jouer un rôle important dans l’entrée en guerre des Etats-Unis, l’aviateur renommé ira jusqu’à lancer un appel radiophonique à ses compatriotes, le 29 novembre 1942, depuis New York, avec pour premiers mots : « Français, réconcilions-nous pour servir ». Des archives américaines récemment publiées révèlent que les services secrets américains auraient tenté de remplacer le général de Gaulle par Antoine de Saint Exupéry à la tête de la Résistance. Le message pro-américain sera incompris. Mais Le petit Prince deviendra une œuvre littéraire de renommée mondiale…
Cela c’est le côté noble. Il y a aussi le côté détestable et violent de l’écrivain que l’on découvre au fil de la pièce, dans ses crises d’hystérie masculine qu’il déballe sans complexe. Le comportement d’un sale enfant gâté. De quoi refroidir le spectateur. Comme quoi, le merveilleux humaniste est bardé de contradictions. Il mène auprès de sa femme Consuelo qui lui a tout sacrifié, une vie totalement dissolue et n’a de cesse de la tourmenter, elle qui le trompe par désespoir à chaque incartade. Stéphanie Van Vyve, en noir corbeau, chaussures assorties au rouge à lèvres, l’incarne avec autant de ferveur que de fureur. Son « Tonnio » (Frédéric Lepers) comme elle l’appelle, avec un solide accent espagnol, très déroutant au début, se désole d’être loin de la France. Et ce n’est pas à elle qu’il dédie le livre dont elle a soutenu la pénible construction pas à pas, mais à son ami juif resté en France, Léon Werth. Amitié ou plaisir pervers de persécution ? Autre tourment, le pilote de guerre, artiste lucide, perçoit la montée de la culture de masse au détriment de la liberté individuelle…
La pièce de Jean-Claude Idée reflète bien ces contradictions. Consuelo est la rose avec ses épines, ses migraines et son orgueil blessé. Le message humaniste fleurira sur scène : « Si je diffère de toi mon frère, loin de te léser, je t’augmente ». Le décor qui évoque les tentes du désert est déroutant puisque la genèse du Petit Prince, leur enfant à tous les deux se passe dans une villa de Long Island… Mais Stéphanie Van Vyve est très dans le rôle de la femme-Rose.
Denis de Rougemont (Frédéric Almaviva), le philosophe suisse des relations amoureuses est là aussi pour représenter une facette du Petit Prince, la fameuse pose couchée sur le ventre, car les trois personnages s’en réclament, unanimement. Comme nous tous. C’est ce qui et si beau dans l’œuvre de Saint-Ex.
Et pas facile donc de concilier, querelles domestiques, affres de la création, poésie et engagement politique. C’est ce dernier point qui dans le mélange des genres, est interprété avec le plus de lourdeur.
Par-dessus la terre et l'eau
C'est l'histoire de Consuelo
Celui qu'elle aime est parti
Il s'est envolé dans la nuit
Elle pleure, elle pleure
Consuelo doucement elle pleure
Son amour, son inquiétude
Traverse l'Atlantique sud
Dans un petit avion de fer
Dans les orages et les éclairs
Malheur, malheur
Consuelo c'est pour ça qu'elle pleure
A cause d'un amoureux ailé en Latecoère lourd
Qui transporte des baisers, des lettres d'amour
Il y a tant de choses à craindre
Dans le tonnerre des huit cylindres
Qui montent vers l'idéal…ALAIN SOUCHON ET LAURENT VOULZY
Mise en scène et scénographie: Jean-Claude Idée
Avec Frédéric Almaviva, Frédéric Lepers, Stéphanie Van Vyve
Crédit photos: Nicolas Janssens
- Création mondiale
- 8 au 25 novembre 2016
- Théâtre Jean Vilar
- Durée : 1h30
- http://www.atjv.be/Saint-Exupery-a-New-York
Commentaires
"Celui-là qui veille modestement quelques moutons sous les étoiles, s'il prend conscience de son rôle, se découvre plus qu'un serviteur.
Il est une sentinelle.
Et chaque sentinelle est responsable de tout l'empire."
Antoine de Saint-Exupéry
(Terre des hommes,1938)
"Je hais mon époque de toutes mes forces".
Cette lettre de Saint-Exupéry au général X est la dernière qu'il écrivit: le lendemain, 31 juillet 1944, il est abattu au combat au -dessus de la Méditerranée.
30 juillet 1944
Je viens de faire quelques vols sur P. 38. C’est une belle machine. J’aurais été heureux de disposer de ce cadeau-là pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu’aujourd’hui, à quarante trois ans, après quelques six mille cinq cents heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne puis plus trouver grand plaisir à ce jeu-là. Ce n’est plus qu’un instrument de déplacement – ici de guerre. Si je me soumets à la vitesse et à l’altitude à mon âge patriarcal pour ce métier, c’est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération que dans l’espoir de retrouver les satisfactions d’autrefois.
Ceci est peut-être mélancolique, mais peut-être bien ne l’est-ce pas. C’est sans doute quand j’avais vingt ans que je me trompais. En Octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord où le groupe 2 – 33 avait émigré, ma voiture étant remisée exsangue dans quelque garage poussiéreux, j’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle l’herbe des chemins. Les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure derrière les vitres à 130 kms à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient.
Et je me suis senti revivre dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste, elle l’est en Grèce aussi comme en Provence). Et il m’a semblé que, toute ma vie, j’avais été un imbécile…
Tout cela pour vous expliquer que cette existence grégaire au coeur d’une base américaine, ces repas expédiés debout en dix minutes, ce va-et-vient entre les monoplaces de 2600 chevaux dans une bâtisse abstraite où nous sommes entassé à trois par chambre, ce terrible désert humain, en un mot, n’a rien qui me caresse le coeur. Ca aussi, comme les missions sans profit ou espoir de retour de Juin 1940, c’est une maladie à passer. Je suis « malade » pour un temps inconnu. Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie. Voilà tout. Aujourd’hui, je suis profondément triste. Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui n’ayant connu que les bars, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui plongé dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur.
On ne sait pas le remarquer. Prenez le phénomène militaire d’il y a cent ans. Considérez combien il intégrait d’efforts pour qu’il fut répondu à la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme. Aujourd’hui nous sommes plus desséchés que des briques, nous sourions de ces niaiseries. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n’est pas de victoire aujourd’hui, il n’est que des phénomènes de digestion lente ou rapide) tout lyrisme sonne ridicule et les hommes refusent d’être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dit la jeunesse américaine, « nous acceptons honnêtement ce job ingrat » et la propagande, dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir.
De la tragédie grecque, l’humanité, dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de Mr Louis Verneuil (on ne peut guère aller plus loin). Siècle de publicité, du système Bedeau, des régimes totalitaires et des
armées sans clairons ni drapeaux, ni messes pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif.
Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du 15e siècle, on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (pardonnez-moi). Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots.
Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses du système économique du XIXe siècle et le désespoir spirituel. Pourquoi Mermoz a-t-il suivi son grand dadais de colonel sinon par soif ? Pourquoi la Russie ? Pourquoi l’Espagne ? Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes : hors des sciences de la nature, cela ne leur a guère réussi. Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Ca déborde le problème de la vie religieuse qui n’en est qu’une forme (bien que peut-être la vie de l’esprit conduise à l’autre nécessairement). Et la vie de l’esprit commence là où un être est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. L’amour de la maison -cet amour inconnaissable aux Etats-Unis – est déjà de la vie de l’esprit.
Et la fête villageoise, et le culte des morts (je cite cela car il s’est tué depuis mon arrivée ici deux ou trois parachutistes, mais on les a escamotés : ils avaient fini de servir) . Cela c’est de l’époque, non de l’Amérique : l’homme n’a plus de sens.
Il faut absolument parler aux hommes.
A quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour cent ans de crise d’épilepsie révolutionnaire? Quand la question allemande sera enfin réglée tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise au sortir de cette guerre à distraire, comme en 1919, l’humanité de ses soucis véritables. Faute d’un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se diviseront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieilli, se décomposera en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l’a bien observé en Espagne. A moins qu’un César français ne nous installe dans un camp de concentration pour l’éternité.
Ah ! quel étrange soir, ce soir, quel étrange climat. Je vois de ma chambre s’allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visages. J’entends les postes de radio divers débiter leur musique de mirliton à ces foules désoeuvrées venues d’au-delà des mers et qui ne connaissent même pas la nostalgie.
On peut confondre cette acceptation résignée avec l’esprit de sacrifice ou la grandeur morale. Ce serait là une belle erreur. Les liens d’amour qui nouent l’homme d’aujourd’hui aux êtres comme aux choses sont si peu tendus, si peu denses, que l’homme ne sent plus l’absence comme autrefois. C’est le mot terrible de cette histoire juive : « tu vas donc là-bas ? Comme tu seras loin » – Loin d’où ? Le «où» qu’ils ont quitté n’était plus guère qu’un vaste faisceau d’habitudes.
Dans cette époque de divorce, on divorce avec la même facilité d’avec les choses. Les frigidaires sont interchangeables. Et la maison aussi si elle n’est qu’un assemblage. Et la femme. Et la religion. Et le parti. On ne peut même pas être infidèle : à quoi serait-on infidèle ? Loin d’où et infidèle à quoi ? Désert de l’homme.
Qu’ils sont donc sages et paisibles ces hommes en groupe. Moi je songe aux marins bretons d’autrefois, qui débarquaient, lâchés sur une ville, à ces noeuds complexes d’appétits violents et de nostalgie intolérable qu’ont toujours constitués les mâles un peu trop sévèrement parqués. Il fallait toujours, pour les tenir, des gendarmes forts ou des principes forts ou des fois fortes. Mais aucun de ceux-là ne manquerait de respect à une gardeuse d’oies. L’homme d’aujourd’hui on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou le bridge. Nous sommes étonnamment bien châtrés.
Ainsi sommes-nous enfin libres . On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissé libres de marcher. Mais je hais cette époque où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral ! Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme à quoi il conduit. L’homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel étant celui de la distribution. Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la Ruhr devant un Van Gogh, un Cézanne et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats Cézanne, les candidats Van Gogh, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les Etats-Unis et où allons-nous, nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau à la belote. L’homme châtré de tout son pouvoir créateur, et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les boeufs en foin.
C’est cela l’homme d’aujourd’hui.
Et moi je pense que, il n’y a pas trois cents ans, on pouvait écrire “La Princesse de Clèves” ou s’enfermer dans un couvent pour la vie à cause d’un amour perdu, tant était brûlant l’amour. Aujourd’hui bien sûr les gens se suicident, mais la souffrance de ceux-là est de l’ordre d’une rage de dents intolérable. Ce n’a point à faire avec l’amour.
Certes, il est une première étape. Je ne puis supporter l’idée de verser des générations d’enfants français dans le ventre du moloch allemand. La substance même est menacée, mais, quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui de notre temps. Qui est celui du sens de l’homme et auquel il n’est point proposé de réponse, et j’ai l’impression de marcher vers les temps les plus noirs du monde.
Ca m’est égal d’être tué en guerre. De ce que j’ai aimé, que restera-t-il ? Autant que les êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d’une certaine lumière spirituelle. Du déjeuner dans la ferme provençale sous les oliviers, mais aussi de Haendel. Les choses, je m’en fous, qui subsisteront. Ce qui vaut, c’est certain arrangement des choses. La civilisation est un bien invisible puisqu’elle porte non sur les choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement. Nous aurons de parfaits instruments de musique, distribués en grande série, mais où sera le musicien ? Si je suis tué en guerre, je m’en moque bien. Ou si je subis une crise de rage de ces sortes de torpilles volantes qui n’ont plus rien à voir avec le vol et font du pilote parmi ses boutons et ses cadrans une sorte de chef comptable (le vol aussi c’est un certain ordre de liens).
Mais si je rentre vivant de ce « job nécessaire et ingrat », il ne se posera pour moi qu’un problème : que peut-on, que faut-il dire aux hommes ?
(A. de Saint-Exupéry, "Lettre au général X", 30 juillet 1944)
et encore LUI ! https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/...
C'est L U I !
http://www.deslettres.fr/lettre-de-consuelo-a-antoine-de-saint-exup...
Tonnio,
Hier je vous ai envoyé une lettre, bien tendre, mais pleine de taches d’encre. J’ai toujours sur ma table une lettre pour toi, jamais finie, jamais envoyée, qui veut dire seulement que tu es présent, bien près de moi. Ainsi je te parle de tout quand je m’afflige, quand je m’angoisse de cette dure absence, qui dure toujours, toujours comme dans les contes cruels des Mille et une nuits… Les saisons passent sans ton retour.
À West Port, je t’ai écrit de ma petite maison de campagne, le petit chat affamé est venu me réveiller par une nuit fraîche, et il a été si heureux de boire du lait et moi j’étais si heureuse de pouvoir lui en donner, de le réchauffer. […] J’ai reçu un coup de téléphone de notre bon [André] Rouchaud, me disant que j’ai peut-être une chance de t’envoyer un petit cadeau, un petit paquet de Noël.
Alors j’ai couru à New York toutes les boutiques. Ah ! pourquoi n’ai-je pas trouvé un petit miroir magique ? Ainsi en le frottant, tu aurais pu m’avoir près de toi, quand tu l’aurais voulu ! Je voudrai aussi trouver une machine à écrire qui ne fasse pas de fautes de grammaire comme je peux en faire… cela m’agace beaucoup. Quelle différence quand je lis tes douces et bonnes lettres, mon chéri, mon chéri… […]
Chéri, serons-nous ensemble pour la fin de l’année ? Ah ! Dieu sera bien bon pour moi, pour nous deux… et jamais plus l’on ne se fera de peine. Tout ce que tu feras sera bien fait et je sais que rien ne me fera de mal. Je souffre tant de ton absence et du danger moral qui te guette… Tu as été très fatigué, très éprouvé, il faut que tu gardes une provision de force pour tes vieux jours. Pour ton grand travail…
Tu sais, mon Tonnio, c’est la première fois que tu vas t’asseoir avec la conviction de faire de la lumière pour les autres, alors tu seras calme et très beau, et tranquille auprès de ta femme, et tu finiras auprès d’elle en rayon d’or… Je prie le ciel pour que tu ne sois pas découragé, attristé de tant de malentendus sur la Terre.
Mais tu es réellement grand, Tonnio, et tu es jeune, mon mari, tu ne ramasseras pas les petites choses de la vie, les restes, tu créeras, mon amour, ta rose et de la vie. Tu es un vrai mage de la beauté et tu sais faire tant de bien aux autres, tu leur apprendras à aimer la vie, malgré la grande difficulté que tu as à marcher parmi l’humanité qui est une vraie pâte à former et tu la voudras plus pure, plus sûre.
Je vous fais des compliments, mon époux, qui ne sont pas des compliments mais des vérités qui me sont difficiles à dire personnellement : quand tu es inquiet, parce que tu donnes tant de toi dans tes livres, garde-toi bien de tout mal, de toutes les douleurs morales […]. Je ne veux pas que tu sois marqué, toi, par des choses laides.
J’accepte volontiers ta lutte, dans le désert, dans tes avions, cela n’a pas été toujours facile, n’est-ce pas, mon amour, mon enfant chéri ? Tu vois, le ciel nous aime, je crois que toi et moi nous sommes un cas : des enfants protégés par Dieu. Même le mal de nos natures folles et ardentes ne nous a pas tués.
Alors, chéri, pense à tout ce que tu as à faire, et combien il y aura de joies pour ta rose, ta rose vaniteuse qui se dira : « Je suis la rose du roi, je suis différente de toutes les roses, puisqu’il me soigne, me fait vivre et qu’il me respire… » Et je te raconterai les nuits des dangers et les nuits des larmes et les nuits d’espoir à attendre mon roi… Et je renaîtrai, et j’embaumerai tout mon entourage pour qu’on me sache sa sacrée vrai rose, sa belle rose. Ta rose… Ah ! je t’écris à la machine, parce que je ne pourrai jamais t’écrire aussi vite avec ma plume, ma main tremble trop quand je suis émue.
Amour, que je te dise combien je supplie le Ciel de me laisser un peu de vie et de jeunesse pour aller à ta rencontre… La joie que tu me donnes en me disant que je suis toujours ta Pimprenelle embaumée. Ah ! je veux bien l’être ! Alors comme je le désire tant, je serai telle que vous me voulez. Je crois, chéri, pour la première fois depuis bien longtemps, qu’il n’y a que moi dans ton cœur, pour aujourd’hui, pour demain, pour la vie… Tu es mon grand miroir, mon seul pays… L’idée contraire me paralyse, m’empêche de respirer. Je ne pourrais souffrir des malentendus entre vos et moi.
Je vous aime, je vous aime, mon amour.
Votre Pimprenelle,
Consuelo