RYTHMES ET BRILLANCES : DE LA CONTEMPORANÉITÉ DE L’ŒUVRE DE GILLES WERBROUCK
La galerie d’art et antiquariat LE 300 (300, Chaussée d’Ixelles, 1050 Bruxelles) a le plaisir de présenter l’œuvre de l’artiste belge, Monsieur GILLES WERBROUCK, axée sur ses compositions réalisées en tapisserie.
Il y a dans l’art de GILLES WERBROUCK la volonté de communier avec l’esthétique contemporaine. Cette approche esthétique se concrétise, notamment, dans l’emploi de la couleur noire. Une couleur noire, laquelle depuis Soulage, capture la lumière pour la réverbérer de l’intérieur vers l’infini. Ceci vaut pour la peinture. Mais il s’agit ici de tapisserie. Ce n’est donc pas un tableau que nous avons devant les yeux mais bien une œuvre tout en fils et en mailles. La tapisserie est apparue dans l’histoire de l’Art dès l’Antiquité Classique et proche-Orientale, en produisant des scènes de toutes sortes, toujours au diapason avec le substrat culturel des époques dans lesquelles elle s’est inscrite. La tapisserie permet à l’artiste d’explorer les possibilités que lui offrent les couleurs tant dans leurs variantes en rapport avec la lumière comme avec la création du volume. Néanmoins, comme le précise l’artiste, c’est avec la couleur noire qu’il trouve son medium d’expression majeur. L’artiste l’explore sous toutes ses « coutures ». L’image n’est pas trop forte puisqu’il s’agit de tapisseries et que le crochet n’est jamais loin! Une constante souligne l’introduction de la tapisserie dans la sphère de l’Art : elle délimite elle-même son propre cadre tout en se déployant au sein de l’espace. Par les matériaux qui la constituent, elle exprime les volumes en s’affirmant dans l’espace scénique constitué à l’intérieur de ses propres dimensions. Ce qui la distingue c’est que, de par sa nature, elle expose souvent sa matérialité comme le ferait une sculpture déployant son volume. A’ l’instar de la peinture et de la sculpture, la tapisserie est régie par le rythme (qu’il soit régulier ou saccadé) lequel introduit le mouvement la rendant vivante. Bien qu’elle s’inscrive dans l’esthétique du moment, la tapisserie ne « copie » pas la peinture. Jamais elle n’est à sa remorque. Elle exploite ses propres caractéristiques physiques qui la rendent unique, c'est-à-dire qui lui permettent de s’ouvrir à l’Art.
L’ŒUVRE AU NOIR
# KM008
(200x100 cm-coton et lin tricoté sur machine domestique avec des flottés dans lesquels ont été tirés à la main de la bande magnétique (deux films VHS) et fini au tressage, monté sur cadre)
Cette œuvre est une longue composition rectangulaire, axée sur un espace parsemé à la fois de petits carrés conçus en bande magnétique VHS ainsi que de six lignes verticales ondulantes structurant l’espace, également réalisées dans des morceaux de bande magnétique. Horizontalement, l’œuvre s’étale sur huit lignes également noires démarquant l’espace. Il y a donc une volonté d’imposer un rythme dans la dynamique qui s’affirme au regard du visiteur. Chaque morceau de film est relié par du fil de la couleur dominante, pratiquement invisible à l’œil nu.
Il y a dans cette œuvre une adéquation entre Image et Mémoire dans l’utilisation de la bande magnétique VHS. Le passé se mêle à la sonorité de la mémoire. Petit bout par petit bout, le visiteur se rend compte de l’extrême minutie du rendu. Car il se trouve devant l’archéologie d’une œuvre « filmique » dont les tesselles magnétiques témoignent d’une Mémoire passée, atomisée en un univers cosmique, scintillant dans des ersatz de matière lointaine.
# KM002
(80 x 60 cm-bande magnétique (trois films VHS) au crochet monté sur toile peinte)
La tapisserie se distingue dans la manifestation plastique de sa matérialité. Contrairement à l’œuvre précédente, le dessin est extrêmement présent sur la surface de l’espace. Cette pièce exprime parfaitement l’objectif que l’artiste s’est toujours fixé, à savoir introduire sa formation de styliste de laquelle il est issu à la composition en cours de réalisation. Le sentiment de l’élaboration du tricot habillant la pièce envahit l’imaginaire dans la prise de conscience du visiteur.
Les mailles évoquent autant le tricot que le filet de pêche, c'est-à-dire l’élément enveloppant qui protège le corps de l’œuvre tout en le singularisant.
L’ŒUVRE AU VERT
# KM001
(50 x 50 cm-coton et polyester tricoté sur machine domestique et monté sur toile peinte)
Cette pièce, bâtie sur le module du carré, est un jeu subtil de mailles oblongues entourées de petits cercles. Elle démontre également le brio de l’artiste évoluant tant dans les petits formats comme dans les grands.
L’ŒUVRE AU ROUGE
# KM006 (Diptyque)
(120 x 40 cm-laine vierge tricoté sur machine domestique et monté sur toile recouverte de tissus à sequin)
Nous avons ici un compromis avec l’esthétique de l’œuvre précédente. Seul le module rectangulaire permet un plus grand développement à la fois dans l’exécution comme dans le résultat. Ce qui suit est fort proche de l’esthétique picturale en ce qui concerne la scansion de l’espace. Ce diptyque se structure sur trois champs :
sur la droite : nous avons une série de mailles oblongues du même style de celles présentes sur la pièce verte (titre).
au milieu : une séparation de fils rouges verticaux joue sur le rythme de la pièce.
sur la gauche : une série d’entrelacs et de lignes horizontales formant un ensemble de pleins et de vides.
L’ŒUVRE AU GRIS
# KM005
(80 x 60 cm-fil métallique, coton, mohair, raphia et polyester, traité sur machine domestique et créant les plis à la main et tricotant et monté sur toile)
Il s’agit d’un espace carré, structuré dans sa hauteur par une série de cinq lignes de démarcations séparant une série de quatre espaces verticaux, chacun d’entre eux étant séparé par une sorte de rebord, créant un jeu d’élévation planifié sur seize niveaux dans sa verticalité. Cette pièce, de par son chromatisme à dominante grise, ses excroissances en raphia passées à la main et ses seize niveaux se superposant les uns sur les autres, en élévation, donne le sentiment d’être face à une sculpture.
Ce qui émane de l’œuvre, c'est-à-dire sa nature profonde traduit les débuts de l’artiste qui ont cimenté son langage.
En effet, la mode, comme mentionné plus haut fut son premier véhicule dans l’expression de son art. L’image du tricot, également exprimée plus haut, se distingue dans la réception immédiate de l’œuvre. L’artiste « habille » sa pièce comme il « habillerait » un corps humain. Il développe des pièces pour tapisserie conçues avec de nouvelles techniques pour le tricot, axées sur le design textile, telles que la couleur, le fil ainsi que la manière de monter ses pièces.
Comme nous l’avons spécifié, des trois couleurs usitées, l’artiste privilégie le noir qu’il aborde après avoir effectué un grand travail de recherche. Il faut, selon ses dires, trouver les bons matériaux pour arriver au résultat espéré. A’ son avis, le noir n’est pas une couleur mais un élément « neutre » lequel éveille des sentiments différents par rapport aux autres couleurs. Pensez qu’il en est à ce point fasciné que, de la tête aux pieds, il s’habille de la même couleur. Et c’est encore celle-ci à le projeter dans l’art contemporain, en contribuant à créer une modernisation de l’image du tricot.
Comme vous l’aurez remarqué, nous avons jusqu’à présent, employé le mot « artiste » pour définit GILLES WERBROUCK. Néanmoins, celui-ci préfère être qualifié d’ « artisan » car il travaille devant sa machine pour donner vie à ses œuvres après bien des calculs. Cependant, l’approche savante résultant de ses œuvres, nous font pencher vers le qualificatif d’ « artisan d’art » car le jeu des variations de la lumière engendrée, notamment par le noir, sa conception de l’espace sont celles d’un artiste en bonne et due forme. Tout est en correspondance.
Les éléments se répondent, assurant ainsi le rythme nécessaire à la dynamique de l’œuvre. De plus, les pièces produites sont uniques dans leur essence et ne sont pas destinées à être reproduites à volonté, comme dans l’artisanat. La pièce produite a une valeur artistique, en ce sens qu’elle se distingue d’une autre. Evidemment, l’œuvre artisanale n’est en rien inférieure à l’œuvre d’art. Disons que dans le cas de GILLES WERBROUCK, la relation avec l’esthétique contemporaine s’avère indéfectible.
L’artiste est l’auteur de deux Masters en Knitting Design obtenus aux Beaux Arts de Bruxelles et à la Trent University de Nottingham.
Sa technique consiste dans l’élaboration de mailles à l’instar du tricot. Il peut les passer à la main comme il peut se servir d’une machine domestique. Avant chaque étape, l’artiste traduit son idée dans un échantillonnage basé sur l’essai de plusieurs points de tricot, de mélanges de fils pour les textures et les rendus. Ce travail préparatoire est de conception ancienne car déjà au 17ème siècle, ce que l’on nommait les « peintres-cartonniers » préparaient des esquisses destinées à la tapisserie. Conçues aux dimensions de la tapisserie, elles prenaient le nom de « cartons ». Inspirées de la peinture classique, c’étaient de véritables œuvres d’art.
GILLES WERBROUCK, lui, travaille sur machine domestique, c'est-à-dire avec une technologie contemporaine. Néanmoins, l’idée maîtresse ne varie pas.
Il commence par sélectionner les fils à utiliser (coton, lin, laine ou fantaisie : lurex, polyester, raphia, bande magnétique VHS). Un bon travail requiert plusieurs textures de fils pour donner un maximum de légèreté et de relief. L’artiste forme ensuite un échantillon de 50 rangs sur 50 aiguilles qu’il lave pour que ce dernier adopte la forme initiale à l’œuvre pensée. La dernière étape consiste à noter sur papier combien d’aiguilles et de rangs sont nécessaires pour tricoter la forme à produire. Pour ce faire, il est limité à 200 aiguilles et doit trouver des solutions pour contourner ce problème. Le choix des aiguilles est déterminant pour créer le volume. Au fur et à mesure que passe le chariot de la machine, la pièce descend et se matérialise.
GILLES WERBOUCK nous transporte dans un univers où la tapisserie a toute sa place, en l’installant dans les rythmes, les spirales et les cinétismes issus du 20ème siècle, leur assurant ainsi la pérennité légitime que leur permet notre 21ème siècle débutant. En cela, il assume le rôle de tout véritable artiste : grâce à sa machine domestique, fille du métier à tisser présent depuis l’Antiquité, il assume de par son talent et sa vaste connaissance, la charge de passeur de cultures dans le sillage séculaire de la création.
Précisons que GILLES WERBROUCK est le co-fondateur de la galerie d’art et d’antiquariat LE 300 en collaboration avec OMAR EL YATTOUTI, LAURA CHEDEVILLE, PAULINE MIKO, HUGUES LOINARD et soutenu par MEWE. Les photos exposées ont été réalisées par MIKO.
N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
A voir:
Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
Portrait de l'artiste GILLES WERBROUCK (photo prise par MIKO)
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