La société du spectacle de GUY DEBORD
Né à Paris en 1931 dans une famille de la moyenne bourgeoisie, orphelin de père à 4 ans, Guy Debord a grandi à Nice, avant de revenir dans la capitale à la fin de l'adolescence.
On le connaît par de multiples images. Autant de fragments d'une vie et d'une légende. Un jeune homme de 22 ans, inscrivant sur un mur de la rue de Seine, le slogan « Ne travaillez jamais », graff liminaire écrit à la craie, symbole d'une révolte politique et esthétique contre l'ordre établi et le confortable conformisme de la France des Trente Glorieuses. L'image du chef de bande, un rien voyou, vaguement clandestin, presque gourou, fondant en 1957 l'Internationale situationniste et dirigeant sa petite troupe d'activistes avec l'autorité et la stratégie d'un chef de guerre. L'image du théoricien politique radical, fuyant les médias, méditant sa lecture de Marx pour écrire et publier, quelques mois avant Mai 68, un essai dont le titre a connu une rare et équivoque fortune : La Société du spectacle (1967). L'image d'un cinéaste héroïque, livrant une poignée de films qu'il revendiquait sans « aucune concession pour le public ». Celle, enfin, de l'ermite de Haute-Loire, l'autobiographe de Panégyrique (1989), symbole d'un diable paranoïaque pour les uns, épicurien sensible et généreux pour les autres ; vivant retiré du monde, lisant, écrivant et buvant beaucoup, ultimement tiré de l'oubli par l'annonce de son suicide, le 30 novembre 1994.
On peut reprocher à Debord le choix malheureux du mot spectacle. Il semble nier autant le rôle nécessaire de la représentation que celui de la procuration oubliant la validité ou le rôle cathartique du théâtre, des spectacles et de l'art en général. Mais le principal n'est pas là. Il s'agit d'un texte radical qui subsiste à minima comme prophétique.
Dans La Société du spectacle, et plus encore dans ses Commentaires sur la société du spectacle, Debord critique le capitalisme, la démocratie et ses fondements.
La « société du spectacle » est incontestablement le concept qui fait encore la postérité de Guy Debord. Devenu, dans le langage courant, une sorte de dénonciation de l'emprise excessive des médias, La Société du spectacle, essai plutôt difficile d'accès, est en fait bien plus que cela : un pamphlet anticapitaliste virulent et argumenté. La cible de l'auteur, et il le redira en 1988 dans ses Commentaires sur la société du spectacle, c'est « l'accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande », « le règne autocratique de l'économie marchande ayant accédé à un statut de souveraineté irresponsable, et l'ensemble des nouvelles techniques de gouvernement qui accompagnent ce règne ».
Le capitalisme est une machine qui tourne pour elle même, où le spectacle exprime le fait qu'il semble avoir oublié les besoins que la production est censée satisfaire.
Pour la première fois dans l'histoire des hommes, ajoute Debord, « les mêmes ont été les maîtres de tout ce que l'on fait et de tout ce que l'on en dit ». C'est la concentration de tous les pouvoirs dans les mains de quelques-uns, le totalitarisme de la marchandise, l'aliénation de l'individu dont l'existence est au service de ladite marchandise. « Quand l'économie toute-puissante est devenue folle […] les temps spectaculaires ne sont rien d'autres », conclut Guy Debord.
Il nous montre que la société est devenue une société matérialiste et consumériste qui tourne autour de l'avoir et du paraître mais aussi une société en lutte permanente.
Pour lui tout est production, le monde est devenu une représentation du capitalisme au sens théâtral du terme. Tout est dans la représentation, le paraître qui découle de l'avoir. A l’époque de l'industrialisation , l'avoir définissait l'être. Aujourd'hui avec la production de masse quand tout le monde peut avoir des choses identiques, l'avoir n'est plus la définition premier de l'être. Ça devient le paraître. C'est ce qu'on donne à voir qui va nous définir, nous devenons des spectacles de nous mêmes. Il critique la marchandisation du monde. Dans la société contemporaine, tout se vend tout s’achète . On doit consommer toujours plus et cette consommation à outrance est de plus en plus visible et se donne en spectacle.
Une société en lutte permanente dominée par les institutions du pouvoir
Les hommes politiques issues de la bourgeoisie pour la plupart ont la main mise sur l'économie capitaliste. La société est construite selon un point de vue bourgeois. la lutte et la domination se retrouvent aussi dans les domaines de l'espace, du temps et de la culture. Ce sont les dirigeant qui décident aussi bien de la répartition du temps que de la manière dont on peut le dépenser . Ainsi il y a une profonde inégalité entre les travailleurs qui sont emprisonnés dans ce que Debord appelle «un temps cyclique» qui correspond au temps de production ou ils ne font que répéter des gestes de production. (voir les expressions métro boulot dodo ou travaille consomme et meurs ou encore travaille consomme et tais toi); tandis que les dirigeants perçoivent la «valeur ajoutée» du temps qu'ils dépensent comme ils le veulent en loisirs ou autre.
De plus Debord nous explique aussi qu'il y a depuis le début de l'industrialisation une lutte entre la ville et la campagne et que c'est finalement la première qui gagne dans l'emménagement du territoire.
Dans le texte paru en 1967, Debord ne distinguait que deux formes du spectaculaire, l’une diffuse dont le modèle était la société américaine, dans laquelle le modèle du citoyen-consommateur dominait et l’autre concentrée, représentée par les régimes dictatoriaux reposant sur le culte du chef. En 1988, il ajoutait un troisième type : le spectaculaire « intégré », synthèse des deux premiers. Ce dernier, en sus d’être apparu le plus récemment selon lui, est transversal à tous les régimes politiques, mais acquiert une force particulièrement grande dans les démocraties spectaculaires, et se caractérise par cinq traits :
«le renouvellement technologique incessant ; la fusion étatico-économique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel ».
EtDebord d’ajouter plus loin :
« Le secret généralisé se tient derrière le spectacle, comme le complément décisif de ce qu’il montre et, si l’on descend au fond des choses, comme sa plus importante opération. » ; « Notre société est bâtie sur le secret, depuis les ”sociétés-écrans” qui mettent à l’abri de toute lumière les biens concentrés des possédants jusqu’au ”secret-défense” qui couvre aujourd’hui un immense domaine de pleine liberté extrajudiciaire de l’Etat » .
On le voit ici, le secret couvre le champ tant économique que politique. Il convient ainsi de déterminer en quoi le secret est au cœur du spectacle, et quelle est précisément sa fonction : en quoi est-il sa « plus importante opération » ? Le secret, comme technique de gouvernement, apparaît comme la clé de voûte du système spectaculaire, car il permet de masquer le spectacle, autrement dit la domination, au public. Il est ainsi vital à l’exercice de la domination. Mieux, le secret est le mode de production de la domination car sans lui elle apparaîtrait au grand jour et deviendrait donc, dans sa crue et obscène nudité, insupportable et donc fragile.
C’est pourquoi Debord fustige ceux qui organisent le secret, ses agents, à savoir les services secrets, les experts, les médias et les sociétés secrètes.
Le rôle des services secrets
Les services secrets, sous couvert de protéger une société de ses ennemis, constitueraient en fait un réseau d’espionnage des citoyens, visant à surveiller et à contrôler toute découverte de ces derniers de la véritable nature de la société spectaculaire, bref pour étouffer toute tentative de renversement du pouvoir. Ils symbolisent l’arbitraire du pouvoir, leurs actions injustes, assassinats, enlèvements, pressions, restant à jamais dans l’ombre. La condamnation de l’impunité dont jouissent ses agents est renforcée par la détention d’informations capitales, qui assoit leur pouvoir : ils convertissent leur savoir en un pouvoir qu’ils exercent sur toute la société.
Les experts
Les experts participent, quant à eux, de la même dynamique. Ils ont pour rôle de falsifier le passé (réalisant la « mise hors la loi de l’histoire » ), organisant l’amnésie collective de la société, le présent (avançant « des récits invérifiables, des statistiques incontrôlables, des explications invraisemblables et des raisonnements intenables ») et le futur, la mise à distance du monde et l’impossibilité de bâtir un projet réformateur, bref la déréalisation du monde, le devenir-falsification du monde.
Les médias
Debord pointe du doigt les moyens de communication de masse qui sont les principaux acteurs, la preuve la plus évidente d'une représentation du monde ou nous sommes le spectacle de nous mêmes. De plus les médias renforcent les effets du spectaculaire en rendant futile et stérile tous les débats, fondés uniquement sur le divertissement. Assujettis au pouvoir, ils constituent, pour Debord, les meilleurs propagandistes de la société du spectacle, maintenant, via la pratique de la rumeur et de la désinformation, les individus dans l’ignorance.
Les sociétés secrètes
(Pour être tout à fait clair et éviter les confusions, Debord ne pense pas aux théories complotistes telle la théorie du complot Illuminati véhiculée par «les milieux d'extrême droite ésotérique marqués par le new-age », par une association d'extrême droite comme Égalité et Réconciliation ou par Laurent Glauzy, ancien chroniqueur de Rivarol qui lui a consacré un livre largement cité à l'extrême droite (Rivarol, Radio Courtoisie , plusieurs sites officiels du Front national)
Il parle des sociétés maffieuses ( Camorra, Cosa nostra, 'Ndrangheta, triades chinoises, boryokudan japonais, bratva russe) , qui sont des « institutions» de la société spectaculaire, qui concourent à la prolifération du secret. Elle naissent sur le sol même du spectacle, complices, et non rivales , de l’État. L’alliance de la Mafia et du spectaculaire intégré consiste, nous dit Debord, à déposséder, comme cela a été le cas lors de la prohibition aux États-Unis, le public de toute autonomie. Debord érige la Mafia, société secrète criminelle, en unique modèle de société secrète.
Guy Debord nous livre donc dans son travail, une critique acerbe de la marchandisation de la société. Société dans laquelle les individus sont séparés les uns des autres alors qu'ils sont de plus en plus identiques et en lutte permanente les uns envers les autres que ce soit à l’intérieur de l'entreprise ou ils sont mis en concurrence les uns avec les autres, au niveau du marché du travail national et même international où le travailleur italien est mis en concurrence avec le chinois , le roumain ou le français.
A l'heure ou se cristallise et se manifeste le mécontentement d'une partie des français il est bon de rappeler qui sont ceux qu'il faut combattre, quels sont ceux à qui il faut s'adresser. En ce sens «la société du spectacle» garde toute sa pertinence. Il faut toutefois ajuster cette pensée avec la réalité actuelle: Ce que Debord nomme les dirigeants, les politiques, ne sont pas ceux qui sont à l’Élysée, à Matignon, au sénat ou à l'assemblée nationale. L'ennemi c'est le système capitaliste et les dirigeants des grandes entreprises Google, Total, Facebook, Amazon , les Vincent Bolloré,François Pinault , Bernard Arnault, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos etc.
Ne nous trompons pas de cible.
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