Évocation Naturaliste : (I ère Partie) Qu'il me soit permis de dédier ce texte déjà ancien, riche de toutes les maladresses d'un verbe se voulant amour, à l'une de mes plus belles rencontres humaines et artistiques, l'interprète singulière Solange Boulanger...
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Regards Croisés sur le " Règne Végétal et Celui des " Aristochats " |
Prologue de l'Intermède Poétique :
" Voyage en Pays Connu " [1]:
de Jean de La Fontaine à Colette
Introduction
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Question d'Interprétation, de Visions subjectives à propos de la Défense d'une Œuvre Littéraire : Chimère ou Réalité ? L’Interprète," Miroir Fidèle " de la Pensée de l'Auteur ? |
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"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
polissez le sans cesse et le repolissez ".
Nicolas Boileau.
" Le réel est une partie de l’art : le sentiment complète… Si nous avons réellement été
touchés, la sincérité de notre émotion passera chez les autres ",
clamait avec feu, un illustre inclassable,[2] précurseur du mouvement impressionniste, qui allait
incessamment éclore, bousculant bien des traditions établies, bien des archétypes picturaux.
Encore faudrait-il pour cela ne pas tout livrer d’emblée, dans un accès de générosité
impulsive, en adéquation de la philosophie de Colette, qui affirmait :
" Le difficile, ce n'est pas de donner, c’est de ne pas tout donner"[3]".
Aussi, lorsque herbier et bestiaire dans un élan spontané et fructueux s'épousent pour
le meilleur, avec à la clé, le clair objectif de nous livrer une palette polychrome étincelante de mille et un
joyaux, s'échappant d'une myriade de pages enluminées de la littérature , union d'une grande sagesse
certes , mais surtout "amoureuse", un tant soit peu promulguée selon nos desiderata subjectifs , avouons-le
sans fausse pudeur, puisque depuis notre plus tendre enfance, guidée à la fois par nos sens en alerte, à la
fois par des mentors bienveillants soucieux d'approfondir notre éveil, accompagnant sciemment ou non
notre quête initiatique tournée vers le monde merveilleux de la faune et de la flore, nous ne cessons de
rendre grâce à ces derniers, d'exister !
Oui, comment en outre, ne pas nous sentir infiniment redevables au tréfonds de notre
âme envers cette prodigue Natura, l’alliée inséparable de Gaia, qui travaille à nous offrir une telle floraison
d'émotions, œuvrant continuellement au fil des saisons ,afin que celles-ci soient," belles et bonnes ", c'est-
à-dire fécondes (ou à l'opposé, austères, en latence, quasiment infructueuses en fonction du calendrier
effeuillé), d'après notre opinion d'humains pragmatiques, avides de récoltes, regardant la terre, notre mère
nourricière, à la façon d'une Corne d'abondance inépuisable, parmi laquelle il est" naturel de puiser
"jusqu'à son " épuisement total ", tandis que nous devrions considérer ce don généreux que Dame Nature
nous octroie, comme un privilège inestimable !
Au cœur de notre assemblée d’acteurs spectateurs solennellement invités à assister, de
la première loge d'un resplendissant théâtre de verdure en perpétuel mouvement, à d’infinies
scénographies de génie exaltant la double évolution de forces vulnérables, éphémères, fraternité
complémentaire si ce n’est duo complice indissociable, fondamental au rayonnement de l'écosystème, à la
biodiversité foisonnante de milliers de vies en germination, une interrogation majeure s'impose, s'emparant
alors de notre esprit en ébullition, assorti d 'un affect "frémissant":
Comment trouver le juste équilibre, l'harmonie souhaitée inhérente à l’adoption d’un ton
adéquat, soit, de contourner une aridité mesquine purement analytique, soit, d'éviter de tomber dans le
piège de l'outrance ?
Comment traduire notre fervente inclination naturaliste, transmettre notre message, en
usant de la tonalité appropriée, du bon dosage, dans le cadre d’une rencontre ou lecture animée collectant
un florilège de textes poétiques (vers et proses confondus),destiné à être dit en public et voué à exalter les
sonorités de notre patrimoine littéraire florissant, d’une luxuriance absolue oserions-nous préciser,
s’attachant, autant que faire ce peut, à en capturer les nuances, de la monodie traçant une ligne épurée, à
la polyphonie recelant de voix chatoyantes... ?
Ne pas s'abandonner plus que de raison à un lyrisme exacerbé grossissant le trait,
dénaturant le propos de l'auteur, ce qui reviendrait à le trahir, voilà pour l'interprète "passeur de mots et de
sens", au service du créateur, une gageure à relever !
Être fidèle, dans la mesure du possible ,à un style d'écriture, ciselant le verbe en
déployant des moyens savamment soupesés, ni trop" économes", " ni trop démonstratifs ", tenter de
retranscrire l'atmosphère intrinsèque, l'intimité originelle d'une œuvre(dépouillée d’effets extérieurs
ostentatoires faciles, donc gratifiants), œuvre en étroite correspondance avec une époque de l'histoire des
civilisations, voilà une autre source de motivation élevée, car s'attacher à restituer la quintessence d'une
pièce lyrique, non sans l'avoir au préalable étudiée, est bien du "devoir" du "diseur conteur" chargé de la
faire vivre, qu'il s'adresse à un auditoire néophyte ou averti !
Quant à la sélection du programme par elle-même, confessons, que c'est un choix tout à
fait cornélien et partial, mais mûrement réfléchi, puis assemblé judicieusement dans le but avoué que le fil
conducteur ne soit jamais rompu et que chaque texte puisse se répondre, s'éclairer et se magnifier
mutuellement.
Or, à notre humble avis, il ne saurait être question d'éloquence forcée, préfabriquée et
superfétatoire en matière d'interprétation et le temps de la déclamation pompeuse, ampoulée à la manière
des tragédiennes du siècle dernier ou du XIX ème siècle finissant, est désormais révolu, n'est-ce pas ?
Faut-il s'en réjouir pour autant, puisque, en lieu et place de cet ancien art de déclamer,
privilégiant l’emphase, concédons-le, il semble que nous sombrons malheureusement, dans l’effet inverse,
acceptant dès lors, qu’un ton général monocorde dégageant bien des platitudes vienne se substituer à cette
dite emphase, sous le fallacieux prétexte qu'il nous faut impérativement, à l'heure actuelle, paraître
" naturel "dans l'expression de nos inflexions, lorsque nous autres ambassadeurs, sommes appelés à porter la bonne parole (ou la Bonne Chanson [4]) de nos chers écrivains, grâce à la magie de leur lyre ressuscitée,
toujours vivante, nous faisant l'écho de leurs chants incantatoires profanes et sacrés .
Il nous appartient ainsi, de trouver un compromis entre le grandiloquent et la banalité,
afin de faire jaillir vocalement leur vérité, et forts de ce défi dont il nous faut être dignes, nous consacrer
pleinement à cette vocation initiale : conquérir une nouvelle audience, adeptes fraîchement sensibilisés ,
voire convertis , alors qu'ils étaient auparavant plus que réservés, sur la défensive, presque hostiles et
récalcitrants à se laisser bercer et pénétrer par le cortège séculaire des Hymnes de Polymnie, à tort réputés
pour être hermétiques et lassants !
En tant que "fiers amants "de l’une des neuf compagnes d’Apollon, vénérant ô combien
ceux qui "taquinent "encore et "taquinèrent jadis, la muse", il est de notre ressort, à notre modeste
échelon, assurément, d'atténuer ces idées préconçues, à défaut d'être en mesure d'éradiquer cet inique
quiproquo !!!
À travers les âges, les continents, nos chantres ont, il est vrai, continûment transcendé le
quotidien à l'aide d'un vocable recherché, d'une plume d'une stylistique plus précieuse que le mode de
l'oralité emprunté, convenons-en, seulement, il nous revient de ne point nous méprendre, leurs
préoccupations étaient d’une toute autre veine, il nous semble : parvenir à dévoiler la profondeur de leurs
sentiments et émois, se révélant parfois un véritable abime de désolations nécessitant une libération
thérapeutique par l’écriture, témoigner de leurs propres expériences jonchant leur cheminement parsemé
de "dédales et labyrinthes".
Patrimoine au langage multiple que nos civilisations n’ont que trop tendance à mépriser
(l’oubli n’est il pas synonyme de mépris ?), que nous devrions pourtant recevoir, non comme un dû mais
comme un bien incommensurable, qu’il nous faudrait apprivoiser au quotidien et inlassablement
reconquérir, doublement armé du vertueux dessein de passation, legs, qui, souhaitons-le, infusera à son
tour, les générations futures (ou du moins certaines âmes délicates prédisposées à en saisir certaines
nuances), allant ravies, de découvertes en découvertes, et de joies ineffables à de douces voluptés, lignées
éprises de raffinement, d’un profond humanisme, proches en cela, de l’Homme sensible du siècle des
Lumières, conscientes, selon les fibres de leur tempérament propre, du "fardeau "créatif dont ces disciples
d’Orphée ont éprouvé le besoin vital de se délester, en s'inscrivant ainsi (à leur insu?) dans la pérennité et
que l'humanité reçoit en héritage pour son plus grand plaisir d'hédoniste !
C'est la raison pour laquelle il nous sied de nous positionner à contre-courant, de faire
front à la morosité ambiante concernant ce subtile Art poétique [5], estompant, à notre niveau, l'indifférence
très en vogue à son sujet, envahissant notre société matérialiste, nous insurgeant, suivant nos modestes
pouvoirs, une action concrète de diffusion, contre la profanation que nous lui infligeons fréquemment
(annonciatrice peut-être de précoces funérailles?), en analogie de l'univers botanique et animalier que
nous malmenons allègrement en cette aube du XXI ème siècle, dénués du moindre remords, d’une noble
éthique !
Cependant, reprenant à notre compte un adage intemporel placé en exergue du sonnet nervalien [6] et fruit de la doctrine de Pythagore, nous pouvons à l'unisson professer :
"Eh quoi ! Tout est sensible" !
Interpellation remontrance nous sermonnant sur notre fâcheuse manie à manifester
légèreté et insouciance, et qui nous remémore combien nous, les "Hominiens" sommes ingrats et pervers,
pétris surtout de suffisance en maltraitant à l’envi la fameuse Fontaine de Jouvence que représente notre
Alma mater terrestre :
" Homme ! Libre-penseur – te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? [... ]
Respecte dans la bête un esprit agissant ...
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ; [... ]
Tout est sensible ; et tout sur ton être est puissant" !
Perception romantique d'une Nature divinisée, exagérément encensée dites-vous ? Non
pas, simplement une "ode solaire", ardente, signée en hommage aux "êtres obscurs" cachant maints
trésors, purs "chefs-d’œuvre en péril", ponctuant notre verdoyant environnement !
Sensiblerie ? Que nenni ! Hyperesthésie ? Qu'importe, si vous voulez, même !
Néanmoins, quelle que soit la définition exacte, convenant à cette flamboyante
conception dénotant une sensibilité extrême "à fleur de peau", il nous revient indubitablement la "mission",
en tant qu’interprètes doués de raison, portés à faire retentir, sonner la voix splendide et spirituelle du
poète, de nous plonger au cœur même de la substantifique moëlle de sa composition afin de la propager,
pour reprendre une locution du Docteur François Rabelais, nous adonnant par cette circonstance, au pur
objectif d’une transmission de la plus grande honnêteté possible, soit, en l’occurrence, de nous évertuer à
nous effacer devant la puissance de convictions, les intentions à énoncer, ou plutôt à prononcer, émanant
de leurs géniteurs (sans pour autant les altérer en sombrant dans une neutralité d’une fadeur insipide…)
constamment habités du vœu de "servir leur pensée" et non de "nous en servir"(avec en filigrane, l’intérêt
opportuniste de nous valoriser)" savoir faire "immanent à tout bon "diseur "qui se respecte, chargé de "faire
savoir "à ses interlocuteurs les idéaux et langage d’un maître de la littérature.
Engagement subtilement mesuré donc, participant à ce que nous conservions la foi
originelle, la chair nue de l’émotion [7], nantis en toile de fond d’une approche de la perfection, vaste
projet utopique, embrassant ad vitam aeternam, la morale de Nicolas Boileau placée en ouverture de notre
"Évocation naturaliste", qui préconisait de faire montre de pugnacité, ciselant et reciselant encore, tel un
orfèvre, le fruit de son labeur…
Et ce n’est certes pas, notre fascinante Faunesse, sorte de "dryade "ou de "prêtresse
vagabonde" éperdument éprise de sa contrée natale bourguignonne de Saint Sauveur en Puisaye, en
similitude de sa "payse", la Fée d'Auxerre [8], et de ses personnages intègres, typiques, savants à leur
façon, c’est à dire, par empirisme, en glanant quelques recettes concrètes issues de traditions ancestrales,
guérisseurs et autres pratiques ou " petits métiers", qui faisaient alors "le sel " de nos chères provinces
françaises, qui apporterait un démenti à nos propos " militants", si elle était encore de ce monde, elle qui
fut durant tout le long de son existence, animée d’un "feu sacré", bref, qui su toujours se sustenter ,
s’enivrer à la source même des choses, en conservant le goût de la découverte, d’éternels Apprentissages,
pour ne pas la citer !!!
Ce qui constitue un bonheur providentiel pour nous autres interprètes, n’aimant rien tant
qu’à s’abreuver auprès d’une onde pure!
En l’occurrence, embrassons dès lors, si vous le voulez bien , la pensée de notre femme de
lettres , fervente naturaliste se régénérant constamment à la flamme des Nourritures terrestres, exhortant à
travers son œuvre prolifique, les splendeurs fugaces des Vrilles de la Vigne, d'une part, et celles de la
Ronde des Bêtes, de l'autre, étant donné qu'il nous a semblé évident de dédier cette thématique riche en
variations "chattesques" (veuillez nous pardonner ce néologisme ) reposant sur un tapis chlorophyllien,
ayant pour cadre tant de sites agrestes enchanteurs, à une figure unique, singulière du XXème siècle,
volontiers iconoclaste, à la fois fière et profondément enracinée dans son berceau d’origine ou d’élection,
sans pour autant sombrer dans les pièges du régionalisme à outrance, ce qui aurait pu contribuer pour la
" Nuit des temps", à faire de Colette, un auteur de terroir, avec toute la connotation péjorative que cela suppose !
Personnalité incontournable, particulièrement intarissable en matière de bestiaire et
d'herbier, que notre radieuse " Immortelle", sur le plan de l’Académie … s'ingénia à étroitement entremêler
au centre de ses récits, à tel point, que l'on ne saurait songer à les séparer, en les citant indépendamment
l'un de l'autre, et lorsque, chassant cet Yver qui n'est qu'un villain, d'après une locution médiévale du
Prince des poètes, Charles d'Orléans, l'immuable printemps, resurgit en robe émeraude, émaillé de vives
couleurs, présidant au détour du jardin et de la campagne rutilants, à l'apparition enchanteur des buissons
odorants du lilas, à l'éclosion de cascades de glycine, annonçant sureaux et chèvrefeuilles, il n'est pas rare
qu'un bataillon de rouges-gorges et de merles siffleurs nargue en son jargon, qui, Nonoche, chatte
distinguée de Perse, hautement titrée, qui, "le Greffier" en mal d'idylles ou d'aventures belliqueuses avec
ses rivaux.
Elle fit sienne, mieux que quiconque, cette illustre devise du Petit Prince, qui professe ceci à
autrui : "Tu deviens pour toujours responsable de ce que tu as apprivoisé", saisissant toute l'ambivalence, la
mystérieuse complexité habitant la multitude de créatures vivantes, en ne s'épanchant pas exclusivement
que sur leur enveloppe, leur aspect esthétique flattant les prunelles, scellant avec ses protégés, un pacte de
soutien et d’attention infinis.
Appréhendant la sève du Règne végétal [9] d’une tendre acuité, sondant avec une assiduité sans faille le Cœur des bêtes [10], leurs faits et gestes, en observatrice fine et zélée, inlassable,
douée d'une délicatesse insigne, reflet de son infinie bonté et, ce qui n'est pas rien, d'une justesse de
regard d'une précision incisive, découlant sur une alchimie d'écriture à nulle autre pareille, identifiable
entre toutes, il est irréfutable que sa faconde stylistique ou plutôt son art de portraitiste et de coloriste innée
su dépeindre de touchants tableaux, empreinte marquante transparaissant dès les premières lignes de
lecture ou de déchiffrage à l'aveugle, de l’une des pages de son œuvre intemporelle...
Ainsi sa maîtrise dialectique (miroir nous réfléchissant sa jouissance d'esthète et d'érudite
émérite) ne nous éclaire t’elle pas instamment sur son étoffe viscérale, son idéologie foncière à l'écoute du
cosmos ? Car, est il nécessaire de souligner une telle évidence, vous ne trouverez, chez notre Ingénue
libertine et libertaire, nulle trace de tentatives de séduction préméditée destinée à conquérir un public
facile, friand de produits formatés, coquetterie synonyme de charme factice, artificieux, pas plus que vous
ne sauriez y débusquer un effet " tendance ", à l’instar de Jean Cocteau, qui prônait l’indépendance
d’esprit, en déclarant ce truisme :
"Il n’y a rien qui se démode plus vite que la mode"!
Seul, réside, le désir manifeste de retranscrire troubles et émois d’un instant, captés sur le
vif, à l’aide d’un vocable qui lui est propre, fleurant bon maintes fragrances.
Qui d'autre que notre subtile et truculente héroïne, transposant elle aussi, ses sensations ou Rêveries d'une promeneuse solitaire [11], en descriptions hautes en couleurs, d'une somptueuse sensualité,
miniatures ou fresques affranchies de toutes conventions, aurait pu prétendre, en parallèle de ses affections
félines ," herboriser "avec ce talent d'épicurienne patentée, au gré du calendrier floral, propice à distiller
un cortège d’effluves envoûtants, interceptant leurs sortilèges par touches impressionnistes, inégalées,
désireuse de nous les restituer dans leur intégralité ?
Aptitudes et convictions entrelacées au plus intime de son être, nous contant les annales de
fleurons gorgés de substances vitales, (médicinales de surcroit, concernant la botanique) adresse défrayant
la chronique, Pur et Impur [12] sortant des sentiers battus et rebattus et qui nous fait sitôt nous exclamer :
"Ces témoignages sont estampillés Colette" !
Notre Poète rustique [13] par excellence,(éminente sœur spirituelle de Francis Jammes, son
confrère misanthrope et l'un de ses nombreux admirateurs ...) foulant, selon l'inspiration de sa fantaisie,
prairies et allées ornées de folles herbes médicinales, ou contemplant De sa fenêtre [14], l'enclos privatif
renaissant de ses cendres après un long endormissement et incontinent constellé de tendres corolles aux
nuances "pastel ", ne revendiquait-il pas avec une fougue, et surtout, une flamme inextinguible "constante", la tutélaire amitié des fleurs [15] ? Renchérissant sur sa captivante inclination au
"développement durable "à l'intention du Dieu félin, au sens générique du mot (son presque "double", sa
"référence ", si l’on entend ses aveux, défiant les normes austères des conventions):
"À fréquenter le chat, on ne risque que de s'enrichir", promettait-elle [16] !
Lors de ses déambulations d'herboriste amateur féru de Blé en herbe [17],au cœur de l'Île-
de-France ou de l’hexagone, notre tempérament de sensitive n'aimait rien tant , que ce soit aux aurores ou
à l'heure vespérale, à palper de près, et à se délecter de souples ramées au port altier odoriférantes ou
non, essences végétales procurant bien des évasions inespérées, s'imprégnant de sujets au visage familier
ou sauvage de notre planète, en les restituant sur le papier dans leur contexte, d'un côté sous le sceau
favorable, fertile de la liberté (allusion au recueil Le Paradis), de l'autre, sous celui néfaste, que représente
la privation de ce bien irremplaçable aboutissant à la claustration, (en référence à la suite du volume
précédant Prisons...)
De la "Retraite sentimentale" à la "Naissance du jour" (titre de son roman composé au sein
de son refuge méridional au nom évocateur et savoureux de la "Treille muscate",) sans omettre une
pléiade d'ouvrages de veine similaire célébrant ses Affinités électives, relevant d'un mysticisme païen
d’insatiable "Bacchante "où affleure une cocasserie irrésistible, un respect et une foi inaltérable en faveur
de l’univers végétal et animal, notre portraitiste attitrée, de La Chatte [18], inconditionnelle de Kiki la
doucette chat des chartreux (l'un des glorieux matous de sa fratrie animalière, immortalisé au sein de son
corpus Dialogue de bêtes,) s'attarda au-delà de sa dextérité d’enlumineur d'envergure, à soigner également
le pourtour, c'est-à-dire la forme.
Ce n'est pas l'éventail de blasons parlants, magistralement réalisés à la gloire de nos amies les plantes (herbacées et ligneuses incluses ...), Histoires naturelles [19] que n'aurait probablement pas
dédaigné un autre "chasseur d'images", le fantaisiste Jules Renard, qui viendra désavouer notre
allégation!
Encline à la compassion envers des êtres innocents en état de dépendance, soumis aux lois
du "grand manitou" ("bipède" de race soit disant supérieure ...), elle confirma d'années en années, de
recueils en recueils, un amour philanthropique rehaussé de serments tangibles tenus à leur endroit, nous
révélant au passage la complicité magnétique les reliant, réciprocité confiante d'une telle ampleur que le
terme communion serait plus adapté !
D'une manière générale ou individualisée, elle eut le courage de dénoncer les cruels méfaits
exercés à leur encontre par une gent humaine s'arrogeant trop fréquemment le droit de les enchaîner,
dispensant le droit de vie ou de mort à sa guise, et qui, du haut de son pouvoir absolu de tyran (que voulez-vous, la raison du plus fort est toujours la meilleure [20] ) s'applique à trahir, en les asservissant, les
héros de sa foucade qu'elle a auparavant élus !
Quant à notre partisane de la probité, (vénérable Orphée moderne, auquel nul ne saurait
rester totalement indifférent), elle se plut à cultiver une liaison affective d'une constance exemplaire,
ignorant l’engouement, cet inconstant, s'efforçant, incité en cela par son instinct, son intuition, à les aimer
pour elles-mêmes ces créatures, tissant avec elles, une relation privilégiée, dénuée d'affectation ou de
sentimentalité mièvre, un rien sucrée, en un mot franchement " bébête", tandis que le commun des mortels
pétri d'une souveraine condescendance dans son for intérieur, et prêchant, orgueilleux, pour sa paroisse, c'est-à-dire en faveur de la Possession du Monde [21], fait preuve d'une fâcheuse disposition à dénaturer
l'essence originelle de celles-ci, s'égarant même, en allant jusqu'à leur prêter une psychologie ridicule,
réservée à ceux que notre auteur surnommait à l’égard de son prochain, "les Deux pattes."
Baignant dès son apparition en ce bas monde, dans l’omniprésence florale et "faunesque ",
elle eut, en l'occurrence, la prescience, que, pour nous accomplir, il nous faut dépasser la seule apparence
des choses, puisque :
" On ne voit bien qu'avec le cœur, et que
l'essentiel est invisible pour les yeux [22]",
afin de vivre en accord avec notre frère le pampre et notre sœur la groseille (pour paraphraser la poétesse
Anna de Noailles) et d’être capable de goûter au bonheur de jouir de la présence charismatique de sa
seigneurie "chat", "objet" d'une prédilection clamée envers et contre tout à la face du monde, ou plutôt,
crânement assumée.
Ne proféra-t-elle pas à nombre de reprises son assuétude proche de "l'assujettissement
frénétique" pour la chatte, son modèle, la chatte, son amie 13 bis, incarnation, transposition de l'éternel
féminin, qui la fit sacrifier au culte de l'espèce Felis Catus, détentrice d'inaliénables qualités, élan admiratif
surpassant, et de loin, l’entourage réconfortant d’un "fidèle" entre les fidèles, le chien, en dépit de son
penchant servile, que d’aucuns se complaisent à juger admirable, ne cessant de s’esbaudir sur la constance
de l’attachement du dit Canidé, sans doute en corrélation de la maxime suivante :
" Les chiens ont des maitres,
Les chats des serviteurs [23]."
Faisant fi d'un égoïsme (ou égocentrisme) inhérent à notre genre, ainsi qu'abstraction de tout
calcul personnel servant ses intérêts, notre héritière de Sido (mère non pas" idéalisée" mais à laquelle elle
se réfère, louant sa bonté, sa grâce de " thaumaturge" attentive aux opprimés, au sort funeste des
démunis ... ), sut se montrer d'une prodigalité inouïe, en étant digne des petits compagnons fleurissant la
sente de sa destinée d'artiste, chérissant avec un véritable altruisme, tant les Aristochats blasonnés se
prélassant comme des princes dans les intérieurs de leurs luxueux appartements ... mondains, que les
"Gavroches "de faubourgs, "gouttières "de la roture juchés en équilibristes sur les toits des bâtisses de nos
cités ou villages...
Nanties d'une vivacité et d'une acuité de raisonnement, bon sens et amour désintéressé qui la
firent se pencher au hasard d'une étape providentielle sur les déshérités (et cela, soulignons-le une fois de
plus, au risque de nous répéter, sans rien attendre ou quémander en retour !), elle persévéra dans son rôle
de protectrice, en recueillant quelques miséreux la "démêlant" d'emblée parmi une foule d'anonymes,
" Poulbots" des rues errant sans "domicile fixe", victimes, la plupart du temps, de lâches abandons de nos
congénères soit disant civilisés, dont elle eut l'opportunité, mais surtout, la bienveillance, d'adoucir les
jours !
Nous en voulons pour preuve de son abnégation, qu'elle répugna à prétendre à quelque
contrepartie que ce soit, en échange "du gîte et du couvert" – et plus si entente cordiale ou affinités – que
nous leur assurons, s’insurgeant volontiers contre de froids pragmatiques appartenant au cercle de ses
amis, qui avaient l'audace de répéter sempiternellement, indéfiniment, le semblable questionnement:
"Cet animal est joli, mais ... est-il affectueux [24]" ?
et notre "sage" de commenter :
"Je les trouvai bien osés de poser si crûment la question, leur question toujours la même
question. Que d'exigences, et quel bas commerce avec la bête ... Donnant, donnant et que donnons-nous?
Un peu de nourriture, et une chaîne."
Voilà, en quelques phrases lapidaires de Colette, toute sa philosophie résumée en analogie de
sa pratique de vie. Elle ne se contenta pas de cultiver de grands principes ... théoriques, mais les mit en
application au rythme du quotidien, dès qu'elle le put.
En vérité, elle aurait pu faire graver en exergue de toute la somme monumentale de ses
bouleversants écrits qui s'inscrivent à jamais dans la postérité, la sensible pensée du "père" du Petit Prince
au préalable mentionnée, où il est question de s’acclimater à l’essence d’autrui, sans jamais le délaisser,
une fois devenu notre familier.
Encore faudrait-il pour ce faire, "d’abord avoir soif", selon la magnifique expression d’une
mystique médiévale, Sainte Catherine de Sienne…Soif d'apprivoiser pour tenter d'approcher sans doute, si
ce n'est d'atteindre (une utopie !) les voix intérieures de son congénère ou d’un "Étrange étranger" à la
Prévert, quel louable et noble dessein !
Ne s'était-elle pas assignée, en "missionnaire naturaliste" émule du Panthéisme, la charge, de
servir la cause animale, associée à une authentique déférence éprouvée à l'égard des "fleurs de simples"
de notre continent, formulant le souhait :
" D'aller à la rencontre de la perfection d'une vie végétale et animale qui proclame : je resplendis
encore. Déjà, je me fais active, avide [25]..."
Avide de reviviscence salvatrice, programmée par le gentil Primavera [26] au sortir d'une longue
hibernation, de "l’Ombre des Jours"[27]relative à toute forme de vie.
Écoutons un chantre de Lutèce nous dessiner une pléiade d'exquis Portraits de famille dont celui
de notre Bourguignonne, se métamorphosant également en Parisienne "pur jus" :
" Adorable Colette, qui savez tenir un porte-plume comme personne au monde, renifler
le mensonge, reconnaître un melon honnête, un vrai bijou, un cœur d'or ... Colette pour vous
particulièrement, la nature a travaillé dans le genre génie.
Vous êtes une reine des abeilles. Toutes les abeilles françaises, de la grande dadame
à la modiste, sentent comme vous sur le plan de la confiture, de la confiance, du confort, et
vous êtes la seule qui sachiez l'exprimer dans les siècles et des siècles [28]…"
Visions profondes, et non fugitives, qui ne firent guère hélas, l'unanimité, étant donné qu'à
quelques temps de là, en amont, et surtout, en pleine ère baroque précisément, un certain Maître des Eaux
et Forêts, auteur du Chêne et du Roseau, poursuivit un autre projet ...
Or, si Messire Jean de La Fontaine (vous aviez naturellement deviné, j'espère, de qui il s'agissait...)
sut nous décrire et célébrer avec justesse, l’éclat de la nature, quel que soit son destin implacable, notre
savant fabuliste de Château-Thierry, aspira, pour sa part, à emprunter le costume ou le déguisement
fantasque de force membres du bestiaire, afin, sous ce masque de convention le libérant des entraves de la
royale censure d'un monarque ne badinant pas avec les règles de sa politique au règne absolutique ... de
dépeindre le caractère bien souvent malfaisant de ses semblables (comportement aux antipodes des
Hommes de Bonne Volonté de Jules Romains) ne cherchant jamais, au grand jamais, à les humaniser,
s'adonnant entre autre, à brosser une esquisse peu louangeuse de notre affectionné "Mistigri", n'hésitant
pas à l'affubler de surnoms parlants d'eux-mêmes (repris de la facture de Rabelais ou sortis de son
imaginaire ...) sobriquets chattesques répondant à la dénomination de Grippeminaud, le bon apôtre, de
Raminagrobis, vivant comme un dévot ermite faisant la chattemite (contraction de chatte et de Mitis : ce
qui signifie, doux en latin ),un saint homme de chat bien fourré (allusion rabelaisienne évoquant les juges),
"gros et gras", bref, usant à son endroit d'un vocable abondant en superlatifs de circonstance, teinté
indéniablement d'une ironie caustique, satire frôlant la caricature, égratignant quelque peu ce pauvre mal
aimé de Minet, en droite lignée d'us et coutumes séculaires, du Moyen Age occidental, où notre souricier
exterminateur, dit aussi mignard sourien [29], la terreur des rongeurs, vécut un abominable martyre,
souffrant d'une réputation sulfureuse le conduisant "sans autre forme de procès", au bûcher.
Perdurant à le croquer dans une sombre effigie, le desservant notre narrateur du Voyage en
Limousin persiste et signe sa critique préjudiciable, redoublant de pittoresque ... méprisant, afin de mieux
discréditer notre « raticide » salutaire, le noircissant à souhait en le taxant de fourbe notoire, commettant
force tartufferies, fieffé coquin arborant un air patelin, tramant avec une adresse de dissimulateur né, une
pléthore de complots maléfiques !
Traversant les âges, telle se répand la légende du genre félin, légende encore abondamment
tissée de nos jours, de clichés stéréotypés, d'images d'Épinal ou autres vignettes abusives, accréditant que
trop une rumeur ô combien ancrée dans l'imagerie collective populaire !
Égérie encensée par les uns, les mystiques initiés adorateurs se dévouant à le réhabiliter, désigné
du doigt comme un diable et honni par les autres, ses détracteurs, persévérant, hélas, dans une haine
immémoriale contre notre chat bien aimé, le Chéri de Colette, et heureusement, de tant d’autres !!!
Que de procédés diplomatiques, de subterfuges industrieux, devons-nous à fortiori mettre au
point, afin d'atténuer, de temporiser les exagérations fétichistes ou digressions anthropomorphiques,
nuisant gravement à sa renommée, ainsi qu'à la pertinence de ses traits de caractère !
Pour clore cet entretien naturaliste, où nous devisions tant du Règne végétal que de celui de nos
favoris d'Aristochats, nous avons formulé le vœu de vous présenter une moisson de maximes et pensées
illustrant notre dernier propos les concernant (" Pauvres bêtes" suffisamment accablées d’une multitude d’
imperfections, pour que nous nous consolions en chœur, leur dédiant cet hommage), citations d'écrivains
les saluant avec ferveur et entendement, dans un "unanimisme" de rigueur, suivant leur penchant commun,
semblant nous murmurer cette invite en préambule :
"Suis ton cœur, pour que ton visage
rayonne durant ta vie [30]."
Ainsi, avant de nous séparer, feuilletons ensemble cette floraison de sentences "chattesques"
liée, nous semble- t- il, à l'état d'âme et d’esprit de notre narratrice intrinsèquement animée du monde du
vivant, qui, déchirée, par les tourments que celui-ci endure, déclarait :
"C'est toujours pitié que de voir détruire par la violence,
ce qui implore seulement la permission de vivre [31]" !
Florilège de Devises félines
Signées de la plume
de Théophile Gautier :
" Conquérir l'amitié d'un chat est chose difficile. [... ]
Il veut bien être votre ami si vous en êtes digne,
mais non pas votre esclave.
Dans sa tendresse, il garde son libre arbitre et il ne fera pour vous ce qu'il juge déraisonnable ;
mais une fois qu'il s'est donné à vous, quelle confiance absolue, quelle fidélité d'affection"!
à celle d'Ernest Hemingway :
" Le chat est d'une honnêteté absolue :
les êtres humains cachent pour une raison ou pour une autre leurs sentiments.
Les chats, non".
ou bien encore de celle de Mark Twain :
"Si l'on pouvait croiser l'homme et le chat, cela améliorerait
l'homme mais dégraderait le chat".
de celles traitant de notre inaptitude à cerner
ces "Félidés miniatures" composées par :
I Paul Morand :
"Les chats sont incompris parce qu'ils dédaignent de s'expliquer.
Ils ne sont énigmatiques, que pour qui ignorela puissance expressive du mutisme".
II : et Georges Bernard Shaw:
"L'homme est civilisé dans la mesure où il comprend le chat".
Texte de Valériane d’Alizée
Collectrice-raconteuse de l'histoire de la flore
et Auteur interprète du patrimoine littéraire naturaliste.
Tous droits de reproduction réservés.
Œuvre de Susan Herbert d'après La Ghirlandata
de Dante Gabriel Rossetti
[1] : Emprunt au titre d’un ouvrage de Colette.
[2] : Allusion au peintre Camille Corot…
[3] : Citation reprise par Maurice Goudeket au sein de son témoignage "près de Colette", 1956
[4] : Allusion au recueil de Paul Verlaine, datant de 1871.
[5] : En référence à l'œuvre poétique de Verlaine portant ce titre, tirée du corpus : "Jadis et Naguère".
[6] : À propos de Vers dorés de Gérard de Nerval, in " les Chimères".
[7] : Expression empruntée au compositeur Claude Debussy.
[8] : En référence à la poétesse Marie Noël.
[9] : Titre d’un ouvrage de Georges Ribemont Dessaignes.
[10] : Nouvelle de Colette éditée au sein de "Journal à rebours",1941.
[11] : Détournement d'un titre dû à Jean-Jacques Rousseau, grand connaisseur de botanique.
[12] : En référence à l’un des recueils de Colette.
[13] : Emprunt à l’œuvre de Francis Jammes portant ce titre, surnom qu’il s’était lui-même délivré !
[14] : Ouvrage éponyme de Colette.
[15] : Citation extraite de "Belles Saisons" de Colette.
[16] : Extrait d’un de Colette paru au cœur du corpus "Les Vrilles de la Vigne", (1908).
[17] : En référence à l’un des fameux romans de notre auteur.
[18] : Allusion à l’un des succès littéraires de Colette.
[19] : Proses de Jules Renard célébrant la nature, datant de 1896.
[20] : Fameuse morale provenant du "Loup et de l'Agneau", fable de Jean de La Fontaine.
[21] : Titre d'une œuvre signée Georges Duhamel.
[22] Devise d'Antoine de Saint -Exupéry issue du "Petit Prince".
[23] : Maxime fort explicite signée de Dave Barry, résumant combien le genre félin dans son entité, ne saurait devenir l’esclave de l’homme !
[24] : : Citation provenant de la nouvelle consacrée à "Pitiriki", L'Écureuil du Brésil que l'on avait offert à l'écrivain ; émue de
son sort, Colette lui dédia cette histoire appartenant à "Prisons et Paradis", publication datant de 1932.
[25] : Formule extraite de "Belles Saisons "de Colette.
[26] : Allusion à la divinité latine, fertile du printemps.
[27] : Titre de recueil poétique d’Anna de Noailles, employé ici en guise de métaphore.
[28] : Citation de Léon-Paul Fargue au centre de son livre "Portrait de famille".
[29] : Locution renaissance empruntée à un admirateur adorateur de notre félin de prédilection, Joachim du Bellay, qui à la
disparition de son "cher Belaud", lui consacra en guise d'épitaphe, un poème émouvant.
[30] : Adage oriental anonyme.
[31] : Citation extraite de l'ouvrage " Pour un Herbier " (l'Arum) 1947.
Commentaires
"Nous ne regardons, nous ne regardons jamais assez juste, jamais assez passionnément.
La plupart du temps, c’est l’ordinaire qui me pique et me vivifie."
Colette
Et pour vous, amis bruxellois, une promesse de parcours inoubliable :
http://www.quefaire.be/promenade-colette-456633.shtml
Elle m'en donna, un soir, un exemple saisissant . Nous assistions , au cinéma , à un de ces courts métrages qui montrent des germinations en un moment accomplies, des floraisons qui ressemblent à des luttes, des déhiscences dramatiques . Colette était hors d'elle . Me serrant fortement le bras , la voix rauque et la lèvre tremblante , elle répétait , avec une intensité de pythonisse :"il n'y a qu'une bête ! Tu m'entends , Maurice , il n'y a qu'une bête ."
Homme , animal ou végétal , le plus urgent pour elle était de porter secours . La bonté peut n'être qu'un attendrissement généralement répandu . La sienne cherchait d'abord l'efficacité , elle était agissante , rude volontiers, agressive parfois . Quand elle habitait encore le boulevard Suchet , des tombereaux , attelés de chevaux harassés , passaient souvent tard le soir . Il arrivait qu'elle entendît des charretiers plus ou moins avinés frapper leurs bêtes . Elle enfilait à la hâte un peignoir , descendait dans la nuit déserte , marchait droit sur l'agresseur , échangeait avec lui injure pour injure , et ne le lâchait que dompté . Un jour , elle parvint à faire impression sur une brute particulièrement coriace , en lui disant : "Tu m'entends , tu vas crever bientôt, et dans une autre vie , ce sera toi le cheval ."Contre sa propre espérance , elle le vit baisser la tête et s'éloigner en murmurant des "Ben vrai , alors , Ben vrai " pleins de crainte et de contrition.
Une fois que la discussion l'avait entraînée un peu loin de sa maison , et qu'elle revenait vers deux heures du matin par le boulevard mal éclairé , un autre danger l'attendait .Deux hommes de fort mauvaise allure l'encadrèrent , en lui prenant chacun un bras : Alors , la petite dame , dit l'un deux , en traînant les mots , on n'a pas peur dans le noir ? Non répliqua-t-elle, d'une voix tranquille , puisque j'ai deux costauds pour me protéger .
Ils n'avaient sans doute jamais rencontré de femme d'une espèce aussi assurée . Toujours est-il qu'ils l'abandonnèrent devant sa porte ."
Maurice GOUDEKET
Près de Colette ( 1956 )
Merci d'avoir consacré du temps à la lecture de ce texte, Louis Van Cappellen ; je vous suis reconnaissante de votre commentaire pertinent, et je suppose que lorsque vous faites allusion à tous les équilibres que vous avez cru discerner à juste titre au coeur de ces "regards croisés naturalistes", vous faites appel à la biodiversité indispensable à la vie de notre planète Terre ?
J'y trouve un bel éloge à tous les équilibres qui prédisposent à une vie harmonieuse.
Merci à vous d'avoir consacré du temps à cette lecture de "Regards croisés naturalistes", entre herbier et félins, deux thèmes de prédilection de la "Faunesse de Saint Sauveur en Puisaye".
Quel talent !! J'ai passé, à vous lire, un moment merveilleux !