C’est en 1960 que Montherlant nous livre sa pièce en trois actes « le cardinal d’Esagne ». A la mort de Ferdinand, la régence fut donnée au cardinal Ximénez de Cisnéros qui, par sa tyrannie, se fit détester du peuple. Il mit sur le trône le jeune archiduc d'Autriche Charles, fils de Ferdinand et de la reine Jeanne qui, devenue folle, est cloîtrée dans son palais. Nous sommes à Madrid, en 1517. la pièce se déroule en trois jours -un acte par jour- durant lesquels le cardinal Cisnéros attend l'arrivée du jeune roi Charles. Et, durant trois actes, il s'acheminera vers la retraite, c'est-à-dire vers la mort.
Le cardinal Francisco Ximénez de Cisnéros, archevêque de Tolède, primat des Espagnes, grand chancelier et grand Inquisiteur, régent de Castille, a quatre-vingt-deux ans. Il nous est dépeint comme un être tyrannique: "J'accorde quelquefois ce qu'on ne me demande pas, mais je n'accorde jamais ce qu'on me demande", dira-t-il à Luis Cardona, son petit-neveu et capitaine de sa garde personnelle. Tous, à la cour, voudraient voir mourir cet homme qui porte le mal. Sur l'ordre du cardinal, Cardona ira avertir le roi de l'état de santé de sa mère, la reine Jeanne. Mais l'ambitieux capitaine trahit le cardinal: il le blâme auprès du roi, dont une lettre annonce à Cisnéros sa mise à la retraite. Cisnéros meurt de désespoir, victime de son aveuglement.
Cette oeuvre développe le problème de l' action et de l' inaction déjà évoqué par Montherlant dans "Service inutile" et "Le maître de Santiago". "Il n'y a pas, dit-il, de problème plus essentiel pour un homme que celui de décider si ses actes ont un sens ou n'en ont pas." Ce problème est ici illustré par trois caractères: celui de Cisnéros, homme qui a une fausse idée de lui-même; dès le premier acte il se vante qu'aucun affront ne peut le blesser, et quand le roi lui fait un affront, il meurt de douleur. Le caractère complexe de Cardona, qui mêle l'admiration à l'animosité, l'affection et la perfidie. "Il aime tout en trahissant, c'est-à-dire qu'il n'aime pas." Il trahit par petitesse, par rancune, mais surtout à cause du sentiment de son infériorité. Enfin, le caractère de la reine qui oscille de la sagesse profonde à la folie, et dont Cisnéros dira: "elle voit l'évidence, c'est pourquoi elle est folle". Un des éléments dramatiques de la pièce est le conflit permanent entre deux tendances du cardinal: son goût du pouvoir et son goût de la contemplation. Cette tragédie de l'aveuglement laisse peu de place à l' action: tout est dans les caractères et les élans des personnages. Ceux-ci sont fouillés et analysés à la perfection dans des dialogues souvent dépouillés et directs, parfois somptueux et imagés, qui donnent toujours une part importante à une langue variée, riche et puissante.
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