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Quand Rimbaud se fait voyant

Rimbaud n'est pas un épistolier prolixe: la correspondance du poète n'accompagne pas de façon constante et nécessaire la création littéraire, comme c'est par exemple le cas pour Flaubert ou Gide. Dictées surtout par les circonstances - demande de livres ou d'argent, nouvelles à la famille - et par la solitude - à Charleville puis en Afrique -, les lettres de Rimbaud ne forment pas véritablement une correspondance d'écrivain mais constituent un précieux document biographique et esthétique.

Les lettres de Rimbaud n'ont pas toutes été retrouvées, si bien que leur succession chronologique et leur répartition en fonction des destinataires ne sont pas toujours l'exact reflet de l'existence du poète. A partir de 1878, la correspondance témoigne toutefois de la rupture survenue dans la vie de Rimbaud et de sa décision de renoncer à la poésie. Cette année inaugure en effet une longue série de lettres adressées exclusivement aux siens et décrivant ses voyages, puis surtout sa vie quotidienne en Afrique à partir de 1880. Les lettres précédant cette période forment un ensemble distinct.

Porteuses de l'enthousiasme et de la révolte du collégien puis du jeune poète, elles sont souvent accompagnées de poèmes et de préférence adressées à Georges Izambard, professeur de rhétorique à Charleville dont Rimbaud fut l'élève, et à Paul Demeny, un jeune poète de Douai.

Parmi les lettres de Rimbaud, celle adressée le 15 mai 1871 à Paul Demeny occupe une place à part. Plus longue que les autres, elle contient en effet l'exposé d'une sorte d'art poétique, déjà esquissé dans une lettre à Georges Izambard du 13 mai. Rimbaud y définit le poète comme un voyant: "Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.

Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons pour n'en garder que les quintessences." La poésie est expérience radicale de soi et du monde. Il ne s'agit pas simplement d'écrire mais de "trouver une langue", ce qui engage l'être entier. Le poète est explorateur des limites et il a pour tâche de découvrir l'inconnu. Son chemin est périlleux et douloureux, car son ascèse morale inversée s'apparente à une descente en enfer. Loin toutefois de la conception malheureuse du poète romantique vilipendé par Rimbaud, cette vision prométhéenne du poète "voleur de feu" et "multiplicateur de progrès" est pleine d'élan et d'enthousiasme.

Poète de la rupture, Rimbaud affirme l'illogisme de l'écriture poétique, ses liens étroits avec la déviation, l'instinct, et sa vocation de découverte: "La poésie ne rythmera plus l'action; elle sera en avant."

La lettre-programme à Paul Demeny ouvre la voie de la poésie moderne et permettra notamment aux surréalistes de se réclamer du poète.

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