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« Préférences », tout entier consacré à la littérature, ce recueil de critiques et d'essais de Julien Gracq a été publié en 1961. Le titre laisse entendre que les hommes et les oeuvres dont l'auteur parle sont ceux pour lesquels il a une affection particulière. Toutefois, une question essentielle le préoccupe: la situation des lettres contemporaines. Des deux textes qui traitent ce problème, le plus célèbre est "La littérature à l'estomac". Dans l'autre, Gracq met en évidence une caractéristique de notre époque, la coexistence de deux courants de qualité. Avant son apparition au milieu du XIXe siècle, l'histoire n'offre, semble-t-il, aucun exemple de ce phénomène. Mais le fait est qu'il y a maintenant des révolutionnaires et des classiques, que Joyce n'efface pas Gide ni Céline.

 

Comment expliquer que les uns et les autres trouvent des lecteurs intelligents, doués de goût et de sensibilité, résolument ennemis du médiocre? Gracq pense (et l'idée mérite d'être retenue) qu'il faut rattacher cette coexistence de deux familles d'écrivains à celle de deux cultures: l'une basée sur le latin et le grec et l'autre qui les ignore. L'obsession de la technique est un second trait que Gracq note comme typique de notre temps. Observant que celle-ci se justifie seulement dans la mesure où elle sert à "mettre en valeur un tempérament", il se plaint de ce qu'elle dépasse souvent son objet, au point d'étouffer ce qu'elle devait canaliser. Dans "Les yeux bien ouverts", il nous entretient de ses rêveries qui, bien que revenant toujours sur les mêmes thèmes, sont pour lui "un printemps imaginatif". Partir en voyage, considérer d'un lieu éminent une vaste étendue de terre, se faufiler dans une chambre un instant désertée par son occupant habituel, voilà les choses qui l'émeuvent profondément et dont ses songeries d'abord, ses livres ensuite, sont nourris. Quant à ses penchants littéraires, ils le portent surtout vers les romantiques et les surréalistes. Plus précisément, il trouve un charme profond et un vif intérêt aux "Mémoires d'outre-tombe" (ce qui ne l'empêche pas de surnommer Chateaubriand le "grand paon" au "Penthélisée" de Kleist (qu'il a librement traduit), au "Beatrix" de Balzac (roman qu'il juge Dostoïevskien), aux "Diaboliques" de Barbey d'Aurevilly (qu'on n'aprécie que si on sait l'écouter, car son art, souligne-t-il, était celui d'un conteur), aux poèmes de "Poisson soluble". (N'oublions pas que Gracq avait déjà écrit et publié en 1947 une excellente brochure intitulée "André Breton, quelques aspects de l'écrivain" où nous lisons: "L'usage du langage chez Breton marque l'achèvement d'une résolution véritable: non seulement le mot souligné s'incorpore désormais étroitement à la phase qu'il irradie souvent d'un bout à l'autre, lui confère seul son sens supérieur et son achèvement, mais encore il y représente le passage d'un influx galvanique, d'une secousse nerveuse qui la vivifie et la transfigure, il y porte tous les caractères d'une véritable sublimation.") Enfin, Gracq nous parle avec admiration de Poe, de Rimbaud et de Lautréamont, ces hommes de génie qui rompirent si radicalement avec leur milieu.

 

Ces choix montrent qu'il se fait de la littérature une conception noble, voire un peu hautaine. Les réalistes et les rationalistes lui paraissent limités, il leur préfère les auteurs qui ont tenté d'aller au-delà, de saisir la réalité intime, trouble et presque indicible des êtres et de la vie. Créateur avant d'être essayste, il s'est lui-même attelé, dans ses oeuvres, à cette tâche ambitieuse. Outre qu'il abonde en aperçus originaux et en analyses nuancées et précises, ce livre permet de le mieux comprendre.

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