Mons, 16 mai
Il a été pris au dépourvu ! Je ne puis pas jurer qu’il soit persuadé du fait que je ne suis pas coupable du crime qui m’a été attribué avec tant de générosité. Il m’a même proposé de plaider coupable en y ajoutant des circonstances aténuantes pour attendrir les jurés. Je me suis opposé avec virulence à ce projet funeste. Je n’admettrai plus d’endosser une culpabilité qui ne m’appartient pas ni que l’on doute de mon innocence !
Lorsque je suis rentré au tribunal, les gendarmes m’ont directement entraîné vers le banc des accusés.
Toutes les attentions m’ont accompagné. Arrivé à la place qui m’avait été désignée, j’observai les spectateurs, tous ces voyeurs à entrée gratuite. Certains d’entre eux avaient le regard colérique qui semblait expliquer leur présence dans ce cirque romain.
Aucun des membres de l’assistance ne me regardait avec la sollicitude que l’on réserve au présumé innocent. Je ne la trouvai même pas dans les yeux des membres du jury ! C’eût pu m’inquiéter dans d’autres circonstances.
Le témoin était assis loin de moi, sous la fenêtre, à quelques mètres des magistrats déguisés. Il me lança un regard franc, haineux, mais sincère.
L’espace d’un instant, j’hésitai, je doutai de moi-même : n’aurais-je pas quand même tué ? L’acte n’aurait-il pas été effacé de ma mémoire en réponse à un choc émotionnel ? »
Je ne pouvais pas croire à une telle éventualité. Je ne la retins donc pas dans le cadre de ce qui était réellement à envisager.
Le témoin avait un noir dessein dont j’étais incapable de déterminer la nature. Il était mon ennemi, le seul et unique que je n’eusse jamais eu !
Avouer aurait été mettre de l’eau au moulin de sa vanité, lui donner l’opportunité d’être félicité par une société en mal de vengeance.
Mon regard rencontra le sien. Je le maintins jusqu’au moment où il baissa les yeux. Je refusais sa présence à mon spectacle, je ne voulais pas qu’il se délecte de ma mise à mort due au piège qu’il avait tendu et dans lequel j’avais été entraîné. Mais il était là, pour jouer la pièce qu’il avait écrite, probablement avec la collaboration du Commissaire
de Police ou du Juge d’Instruction.
Le cirque pouvait commencer. Les présentations furent vite faites. J’entrais d’emblée dans la cage aux lions sous la houlette du magistrat entouré de ses adjoints.
Le spectacle comprenait l’image de la malheureuse étranglée par le vilain dentiste, le témoin qui avait vu le méchant assassiner et jeter ensuite sa victime à l’eau !
Je ne pouvais en entendre plus. Je mis mon esprit en veille, comme j’avais appris à le faire en prison pour ne plus percevoir les bruits parasites qui troublaient ma quiétude.
Un gars de la bande des magistrats se leva et vint briser mon isolement. Il me posa des questions auxquelles je répondis vaguement pour satisfaire sa curiosité et l’éloigner le plus rapidement possible.
Cette séance de méditation d’isolation fut suivie par plusieurs autres que je décrivis dans mon journal.
Je les consacrai à des sujets aussi nobles, toutes dans l’esprit de mon refus d’exister dans le contexte de la justice que l’on voulait m’imposer.
Physiquement, j’étais assis parmi ces chacals sans qu’ils pussent s’adresser à moi, ni aiguiller mon attention vers le jugement. J’étais auto anesthésié.
Mes prédateurs ne parvenaient même plus à avoir de l’influence sur ma pensée.
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