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12272729481?profile=original« Parallèlement » est un recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Léon Vanier en 1889.

 

Tout comme Sagesse ou Jadis et Naguère, ce recueil contient des poèmes écrits durant le séjour de Verlaine en prison (de juillet 1973 à janvier 1875) et destinés à Cellulairement, ouvrage auquel le poète finit par renoncer. Certaines pièces de Parallèlement sont plus anciennes encore. Les sonnets des "Amies", notamment, avaient déjà été publiés en plaquette en 1867 chez Poulet-Malassis. Ce n'est toutefois qu'à partir de 1885 que Verlaine se consacre à la composition de Parallèlement, contemporaine de celle d'Amour. Ces deux recueils, joints à Sagesse - qui les a précédés - et à Bonheur - qui les suivra -, forment pour l'auteur une tétralogie. Cette dernière, ainsi que Verlaine l'écrit en 1892 à un journaliste, retrace "l'histoire en quelque sorte d'une conversion". Parallèlement y occupe une place particulière, quelque peu décalée, "parallèle" en effet: alors que les trois autres recueils célèbrent les bienfaits de la foi et les vertus de la religion chrétienne, Parallèlement exalte la chair et ses péchés. L'inscription de l'ouvrage dans une tétralogie chrétienne procède sans doute de la volonté de conjurer une tentation charnelle que le condamné exprime pourtant en toute autonomie, sans la réprouver mais sans non plus vraiment l'absoudre: "Parallèlement [...], comme son nom l'indique, n'est à côté des professions de foi d'auparavant et depuis [...] qu'une odieuse [...] confession de bien des torts sensuels [...]. Ce livre ne vient pas le dernier, ni tant s'en faut! le définitif de cette tétralogie, laquelle se clôt par Bonheur, un livre sévère et tout, tout chrétien" (ibid.).

 

Parallèlement s'ouvre sur un poème galant au ton satirique et grinçant, adressé à la "cocodette un peu mûre", à la "coquine détestable": "Dédicace". "Allégorie" offre ensuite le tableau d'une somptueuse décrépitude de toute chose. La première section du recueil, "les Amies", comporte six poèmes décrivant des amours saphiques. "Filles" consacre ensuite six pièces aux prostituées côtoyées par le poète. Puis vient un cycle de sept poèmes, "Révérence parler", qui fut composé en prison. La dernière section, "Lunes", est nettement plus longue que les précédentes. Parodique et nostalgique à la fois, elle met en perspective l'oeuvre antérieure dans des pièces telles que "A la manière de Paul Verlaine", "la Dernière Fête galante" ou "Poème saturnien". Le poète s'y livre également à une sorte de bilan de son existence, par exemple dans "l'Impudent" ou dans "l'Impénitent". Le souvenir de l'aventure rimbaldienne est évoqué à plusieurs reprises; on le trouve notamment dans "Explication", "Autre explication" et "Laeti et errabundi", ce dernier texte ayant été écrit après l'annonce erronée, en 1887, de la mort de Rimbaud. L'organisation d'ensemble de Parallèlement ne semble toutefois pas obéir à un rigoureux principe d'unité; le recueil est formé de poèmes très divers dans le ton et l'inspiration.

 

Verlaine écrit le 28 novembre 1887 à Lepelletier que Parallèlement est un "livre orgiaque, sans trop de mélancolie". Le corps et les plaisirs de la chair y occupent en effet une place importante, quoique non exclusive. Bravant les interdits de l' homosexualité et de la prostitution, cette poésie érotique offre le spectacle d'amours transgressives et convie le lecteur, qui devient ainsi complice, à y assister. Spectateur d'étreintes jugées coupables par l'opinion, il contemple des unions secrètes et intimes et se trouve placé dans une position perverse de voyeur.

 

L'écriture est à la fois directe et métaphorique, audacieuse et pudique: "La plus jeune étend les bras, et se cambre, / Et sa soeur, les mains sur ses seins, la baise, / Puis tombe à genoux, puis devient farouche / Et tumultueuse et folle, et sa bouche / Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises" ("les Amies", II, "Pensionnaires"). Les mots et la mise en scène créent un jeu subtil entre ce qui est dit et ce qui n'est que suggéré, entre ce qui est montré et ce qui se dérobe. Ainsi, "Per amica silentia" ("les Amies", III) masque la scène amoureuse derrière de "longs rideaux de blanche mousseline" et n'en livre que les bruits. Dans "Sur le balcon" ("les Amies", I), les trois derniers vers ouvrent le rideau, de façon fort théâtrale, mais refusent pourtant encore le spectacle de l'étreinte qui demeure dans l'ombre et que seules des traces permettent de deviner: "Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre, / Emphatique comme un trône de mélodrames / Et pleins d'odeurs, le lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre." Les poèmes consacrés à l' homosexualité masculine et au souvenir de Rimbaud sont plus voilés encore, laissant par exemple indécise l'identité sexuelle des partenaires ("Lunes", "Ballade Sappho") ou privilégiant le registre métaphorique. Il arrive cependant parfois que le corps soit montré sans détours, que le voile et la retenue verbale cèdent la place à la nudité et à la crudité: "Tes mollets farauds, / Ton buste tentant [...] / Ton cul ferme et gros" ("Filles", V, "+ Mademoiselle").

 

L'écriture érotique sait varier le plaisir des mots tout autant que celui des amours décrites. Cette manière habile de mêler la nomination directe, voire vulgaire, à la métaphore suggestive en témoigne, tout comme ailleurs l'union d'un ton de badinage galant avec le sarcasme ("Dédicace") ou la parodie: "Mignonne, allons voir si ton lit / A toujours sous le rideau rouge / L'oreiller sorcier qui tant bouge / Et les draps fous. O vers ton lit!" ("Filles", I, "A la princesse Roukhine"). Ailleurs encore, la savante composition rhétorique d'un poème tout entier fondé sur une métaphore filée ("les Amies", IV, "Printemps"), loin d'être un froid exercice de style, atteste une jubilation ludique, une jouissance propre au verbe même.

 

Toutes les pièces de Parallèlement n'appartiennent pas, toutefois, au registre érotique. On retrouve dans le recueil cette propension à la confidence personnelle inhérente à la poésie verlainienne et que l'auteur semble impuissant à endiguer. Expression du moi, le poème devient alors ressassant et discursif. L'intensité poétique cède le pas à une sorte de linéarité prosaïque: "J'ai perdu ma vie et je sais bien / Que tout blâme sur moi s'en va fondre: / A cela je ne puis que répondre / Que je suis vraiment né Saturnien" ("Révérence parler", I, "Prologue d'un livre dont il ne paraîtra que les extraits ci-après"). Parfois même, la poésie tourne à l'anecdote et se met au service de polémiques dont l'enjeu est tout personnel et très limité. L'emprise du souvenir provoque une accentuation du caractère narratif, qu'il s'agisse du souvenir de l'union avec Mathilde - dans "Guitare" ("Lunes") par exemple - ou de celui de la liaison avec Rimbaud - dont "Laeti et errabundi" ("Lunes") retrace le "roman".

 

Dans certaines pièces cependant se laisse encore entendre la voix verlainienne des poèmes antérieurs à la conversion, celle dont l'"Art poétique" (voir Jadis et Naguère) a défini les principes. C'est le cas par exemple dans "Impression fausse", "Autre" ou "Réversibilités", mais de tels échos de l'esthétique ancienne sont rares, et n'échappent pas à la suspicion parodique: un titre tel qu'"A la manière de Paul Verlaine" ("Lunes") prouve bien que le poète se perçoit désormais comme capable de s'imiter lui-même.

 

Après Parallèlement, qui est "en quelque sorte l'enfer de son Oeuvre chrétien" (Avertissement de 1894), Verlaine poursuivra cette alternance, ce "parallélisme" entre des recueils mystiques et des recueils "orgiaques". La tentative de réunir la "Chair" et l'"Amour" que proposait déjà le poème "Luxures", dans Jadis et Naguère, demeure un voeu pieux. Furieusement exaltée, quoique non sans honte et remords, la sensualité se déploiera encore dans "Chansons pour Elle" (1891), "Odes en son honneur" (1893), "Chair" (1896) et dans des recueils imprimés sous le manteau et jugés encore aujourd'hui trop scandaleux pour figurer dans les éditions des oeuvres poétiques de Verlaine, Femmes (écrit en 1890 et imprimé en 1891), Hombres (1891 et 1903). Jamais vraiment innocenté en dépit de la délectation avec laquelle le poète s'y adonne, l'érotisme est bien cet "enfer" de l'"Oeuvre chrétien". Après Bonheur (1891), les Liturgies intimes (1892) lui redonneront la parole.

 

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