"L'Homme machine" est un ouvrage du philosophe et médecin français Julien Offray de La Mettrie (1709-1751), publié en 1748, à Leyde chez Elie Luzac fils. Docteur en médecine à l'âge de 19 ans, après cinq ans d'exercice dans sa ville natale de Saint-Malo, il décide d'aller à Leyde, auprès du célèbre Boerhaave, dont il traduit le "Tractus medicus de lue aphrodisiaca"; dans le même temps, il publie son grand "Traité des maladies vénériennes". De retour en France, il devint médecin attaché aux gardes. Suivant les armées dans leur déplacement, il assista au siège de Fribourg, au cours duquel il fut atteint d'une fièvre chaude. La désorganisation psychique qu'entraîna momentanément cette fièvre, le conduisit, après son rétablissement, à soutenir la conception d'un étroit conditionnement des fonctions mentales par notre organisme: c'est ce qu'il développa dans son "Histoire naturelle de l' âme" (publiée à La Haye, en 1745), faisant ainsi son entrée dans la carrière philosophique. Il ne tarda pas à être vivement pris à partie par l'ensemble du corps médical et des dévôts. Après la publication de son pamphlet intitulé: "Politique du médecin de Machiavel ou Le chemin de la fortune ouvert aux médecins" (1745), il se vit dans l'obligation de quitter la France, où l'on venait d'ordonner que ses livres soient brûlés en place publique par la main du bourreau. Il retourna alors à Leyde, où il pubia "L'homme machine" sans nom d'auteur. C'est là, sans aucun doute, le plus célèbre de ses ouvrages. La Mettrie y reprend, avec audace, pour le grand public, les idées qu'il avait précédemment esquissées dans ses autres livres. Pour lui, jamais la philosophie n'a pu et ne pourra prouver, de façon certaine, l'existence de l' âme, et encore moins la Révélation; car si la nature est muette, son Dieu l'est de même: et la raison nous a été donnée pour expliquer également la Révélation et l'accorder à la nature. Pour La Mettrie, les sensations et l' expérience nous enseignent que les facultés de l' âme dépendent du tempérament, du milieu, de l'alimentation, des maladies; les troubles mentaux sont fonction des troubles organiques. "Un rien, une petite fibre, quelque chose que la plus subtile anatomie ne peut découvrir, eût fait deux sots d' Erasme et de Fontenelle". La pensée dépend donc étroitement de la matière; il n'y a dans l'univers qu'une seule substance, diversement modifiée. L' âme est ce principe de mouvement qui s'exerce à l'intérieur d'une machine, le corps, dont elle est le ressort principal et dont les autres ressorts ne sont que l'émanation. Est-ce à dire que l' âme périsse entièrement? Nous n'en savons rien et toute affirmation de principe est vaine; simple vérité théorique qui n'est guère d'usage dans la pratique. On le voit donc, La Metterie n'affirme pas que la matière soit la seule réalité de l'Univers; son matérialisme est anthropologique. Quant à l'existence de Dieu, s'il l'admet comme possible, il n'en dénie pas moins toute valeur aux preuves traditionnelles relatives au premier moteur ou aux causes finales. Comme, par ailleurs, on ne peut déduire de l' existence de Dieu la nécessité d'un culte quelconque, sa négation ne saurait entraîner celle de la morale. Fidèle à une morale du bonheur tout comme Diderot et les Encyclopédistes, La Mettrie estime que "si l' athéisme était généralement répandu", "la Nature infectée d'un poison sacré reprendrait ses droits et sa pureté".
"L'homme-machine" bénéficia d'un énorme succès de scandale: toute l'Europe cultivée le lut. Son succès fut particulièrement important en Allemagne, où Frédéric, le roi-philosophe, avait appelé La Mettrie auprès de lui (février 1748). Certes, La Mettrie ne faisait souvent qu'étendre à l'homme l' automatisme attribué par Descartes aux animaux et ressusciter l' hédonisme d' Epicure (voir son "Art de jouir"). Toute la force de ce livre tient dans sa cohérence, sa sincérité, sa franchise ouverte. Dans ses vues de détail, dans ses observations proprement médicales, -et elles sont nombreuses, - il fait preuve d'un jugement perspicace et aiguisé, et rarement ses explications, si elles sont incomplètes, sont erronées. Pour juger un tel livre, il convient de le replacer dans la lutte pour les idées nouvelles menée à l'époque, avec un courage et un enthousiasme, quelque peu naïf, de pionniers, par tous les partisans des "lumières". La Mettrie introduit la méthode rationnelle, et l' observation, là où régnaient en maître la dispute théologique et la dialectique fatiguée des métaphysiciens. Il faut souligner enfin le caractère particulièrement "cohérent" de son matérialisme, indépendant, comme celui de d' Holbach, d' Helvétius et de Diderot, du matérialisme des écoles sensualistes de leur époque.
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