"Mars ou la guerre jugée" est un ouvrage du philosophe Alain (Emile Auguste Chartier, 1868-1951), publié par l'auteur en 1921, au sortir d'une guerre qu'il avait faite en s'engageant volontairement, alors qu'il était libre de toute obligation militaire, simple soldat, comme son maître Lagneau avait été humble fantassin en 1870. En une suite de courts chapitres, ramassés et vigoureux, qui n'ont le plus souvent qu'une page et demie ou deux pages, ayant l'allure et la beauté d'autant de poèmes en prose. Alain a "dessiné... le visage ambigu de Mars, dieu de la guerre". Avec la rigueur de l'homme de science, avec la pénétration du philosophe, avec le bonheur d'expression du poète, Alain démonte pièce par pièce tout le mécanisme de cette "catastrophe périodique", la guerre, dans ses causes profondes, dans ses aspects multiples, dans ses conséquences, dans ses contradictions, dans ses illusions, dans ses mensonges. Il s'abstient de redire ce qui a déjà été dit, ce qui est évident: le risque, la souffrance, la mort, la destruction, ces aspects immédiats de la tragédie, ne sont qu'effleurés. Dans la guerre, soufferte humblement, mélangé à la masse anonyme, où le stratège et le politicien ne voient plus que le "matériel humain", il a continué, lui, de coudoyer, de voir, l'homme, "sentencieux toujours, observateur étonnant, sachant tout du ciel et de la terre et embarqué pour les dix ans du siège de Troie". Le mépris de la personne, l'abolition de la personnalité, la toute-puissance du galon, même si elle doit se confondre avec la toute-puissance de la bêtise, c'est là pour lui le plus hideux visage de ce "dieu vaniteux, triste et méchant" qu'est la guerre. Il en arrive parfois à prendre le ton de pamphlet: "Je ne finis par apercevoir ceci, que les hommes de troupe pensaient beaucoup à faire la guerre à l'ennemi, et que les officiers pensaient beaucoup à faire la guerre aux hommes de troupe; et quelle que fût la fortune des armes, nous étions vaincus, nous autres, dans cette guerre-là". Selon Alain, le ressort intime de la guerre se trouve dans les passions de l'homme, des passions qui le plus souvent sont nobles et que Mars utilise à ses fins, en les dénaturant et en les détruisant dans les convulsions de l'effort. "Nul ne se battrait pour un différend entre nations, alors que n'importe quel homme se battra pour prouver qu'il n'est pas un lâche". La genèse de la guerre, la psychologie de la guerre, sont ramassées en des formules incisives, rapides: "La guerre a cette puissance qui lui est propre, qu'on ne peut plus rien contre elle dès qu'on voit par expérience ce qu'elle est". Et ailleurs: "Si l'on croit au fatalisme, par cela seul il est vrai. Si tout un peuple croit que la guerre est inévitable, elle sera réellement inévitable". "Il y a deux erreurs capitales également dangereuses, au sujet de la guerre; l'une c'est de la croire inévitable, et l'autre, c'est de la croire impossible". "La guerre vient principalement de ce qu'on suppose trop vite une méchanceté chez les autres". Et c'est ainsi que l'esprit de guerre se continue dans l'établissement de la paix. Alain examine alors les rapports du Droit et de la Force. "Si vous voulez un ordre de droit, il faut plaider, non frapper. Discuter, concéder, persuader? Tel est le prix de la Paix et ce n'est pas trop cher. Mais jamais la guerre n'établit la Paix. Je n'ignore point qu'il est difficile de faire la paix: je dis seulement que les moyens de force n'approchent point de la paix, mais au contraire en éloignent. Je ne veux ici que rétablir le sens des mots -n'appelez point paix ce qui est guerre". "La fureur de ceux qui acceptent la guerre et qui prennent cette acceptation comme un accomplissement, comme une perfection de leur destinée d'hommes, voilà ce qui m'épouvante". Ces mots résument, en définitive, assez bien l'attitude du philosophe face à ce grave problème. "Mars" est donc le livre d'un "penseur sans hypocrisie et qui voit la guerre comme elle est" (ainsi qu'Alain dit de Josph de Maistre, en citant une boutade des "Soirées de Saint-Pétersbourg". Il était naturel que ce livre soulevât le scandale, la réprobation des uns, l'enthousiasme des autres, au moment où il parut. On ne touche pas sans danger aux Idoles, surtout lorsqu'on a la main sûre, le ciseau acéré et la précision de frappe d'Alain. Il professait alors au Lycée Henri IV et les élèves de l'Ecole Normale "séchaient" leurs cours pour aller écouter ses leçons. On peut aujourd'hui lire son livre comme il le voulait: "Je demande qu'on pense à ces choses sans colère".
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Commentaires
Ne disait-il pas : « Qui veut la guerre est en guerre avec soi. »
de Alain
Pensons donc à ces choses sans colère.