Les Concerts Brodsky, texte de Joseph Brodsky, composition piano de Kris Deffoort, dramaturgie et jeu Dirk Roofthooft.
Le plateau du Grand Varia est désert à part un piano à queue quelque peu usé, surveillé par la modernité d’un keyboard blanc immaculé et son monitoring informatique, hautement fidèle. Kris Deffoort, jazzman hautement timide échange une bise de connivence et nombre de verres d’eau avec le lecteur-comédien qui va nous transmettre son interprétation des poèmes de Brodsky.
L’eau, source de vie, source d’amour ? Souvenir d’enfant ? Alors qu’un officier accompagnant le retour de guerre de son père avisait dans leur appartement de 16 Mètres carrés, une carafe remplie d’eau avec un clin d’œil interrogateur ou complice. L’enfant ne répondit pas, trop occupé par l’instant présent, l’instant inoubliable de l’avènement de la paix et du retour du père avec ses trois énormes malles chinoises. Un instantané balayé par 45 ans de vie.
« If you were drowning, I’d come to the rescue...” Et voilà, qu’ici ce soir, avec son jazzman s’installe soudain l’accomplissement des gestes de la connivence. Le voilà enfin qui répond au clin d’œil « de l’homme de pique », si longtemps après. Où est le sens ? Est-on toujours décalé ? Pas ce soir, le canevas musical qui se greffe sur le souffle du comédien a tout de l’improvisation réussie: dans le bon rythme, dans la complicité totale, avec l’intensité de l’émotion voulue. C’est dire que dans les moments de colère et d’épouvante, le timide pianiste qui joue en fermant les yeux, se déchaînera : debout, battant le piano de ses poings fermés, du coude, comme s’il terrassait une bête féroce. Mais au moins la rencontre y est.
Poète russe jusqu'au fond des os et de nationalité américaine suite à son douloureux exil en 1972, Joseph Brodsky est un enfant du renouveau dû au dégel des années après la mort de Staline. Si on se passait ses poèmes sous le manteau en URSS, il n'était pas vraiment connu en Occident. Après la publication de ses poèmes dans les années 1960, il est arrêté et condamné en 1964 à cinq ans de travaux forcés pour « parasitisme social » et connut les hôpitaux psychiatriques. Emigré aux Etats-Unis, accueilli par W.H.Auden, Brodsky, (prix Nobel en 1987), il avait l’habitude de déclamer ses poèmes en public. Transparaissait alors toute la nostalgie de la Russie et la tristesse de la séparation avec sa famille qu’il ne revit jamais.
Le désir du comédien Dirk Roofthoot est d’incarner tour à tour le désespoir de l’exil, la puissance de la révolte, la puissance de la mort qui attend l’homme inéluctablement, la suprématie du temps qui nous réduit en poussière. « La poussière est la chair du temps : la chair et le sang… » « Choses et gens, hurle-t-il, nous entourent et nous déchirent l’œil. Mieux vaut vivre dans le noir. » Il décrit l’automne gluant, la boue, l’hiver, la décomposition, la nature morte. « Il y a des trous dans ma poitrine et le gel s’infiltre… » Contrairement au gens, « les choses ne recèlent ni bien ni mal ».
Et l’amour trouve si difficilement l’harmonie et la conjoncture favorable. « Ensemble nous vivrons sur le rivage derrière une haute digue...écoutant la mer déchaînée». «Notre enfant silencieux, Anna ou Andrei, pour garder l'alphabet russe, regardera sans rien comprendre un papillon se débattant contre la lampe quand viendra pour lui le temps de repasser la digue dans l'autre sens ». «Etre éphémère, ta vie soyeuse pèse moins que le temps, tu miroites, poudre parmi les fleurs».
Des mots anglais de la très belle ballade du début, composée par l’immigrant russe nous apporte l’apaisement après la longue colère orgasmique du poète. «Des mots qui ne peuvent être prononcés que par ta voix comme avant… celle de l’amie qui ne ment pas. » La mère ? L’amante ? L’épouse?
«If you were drowning, I’d come to the rescue,
wrap you in my blanket and pour hot tea.
If I were a sheriff, I’d arrest you
and keep you in the cell under lock and key.
If you were a bird, I‘d cut a record
and listen all night long to your high-pitched trill.
If I were a sergeant, you’d be my recruit,
and boy I can assure you you’d love the drill.
If you were Chinese, I’d learn the languages,
burn a lot of incense, wear funny clothes.
If you were a mirror, I’d storm the Ladies,
give you my red lipstick and puff your nose.
If you loved volcanoes, I’d be lava
relentlessly erupting from my hidden source.
And if you were my wife, I’d be your lover
because the church is firmly against divorce. »
LOVE SONG – Joseph Brodsky
http://www.varia.be/fr/les-spectacles/les-concerts-brodsky0/
Les 7, 8 et 9 décembre 2011 à 20h30
Un spectacle de LOD en coproduction avec le Grand Théâtre de Luxembourg, deSingel (Anvers) et le centre de recherches et de formation musicales de Wallonie (Liège).