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12272721865?profile=original« Invectives » est un recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Léon Vanier en 1896. Dix-huit poèmes avaient auparavant paru en revue entre 1884 et 1886, puis entre 1891 et 1895.

 

Les premiers poèmes d'Invectives sont contemporains de Sagesse et constituent l'ultime reliquat de Cellulairement (voir Sagesse, Jadis et Naguère et Parallèlement). Verlaine avait d'abord songé à placer cet ensemble dans Amour, sous le titre Res publica. Plus tard, en 1895, il semble vouloir réduire Invectives à un chapitre du Livre posthume. L'organisation de l'édition originale est finalement due à l'éditeur plus qu'à Verlaine lui-même. En effet, peu près la mort de ce dernier, Vanier publie le manuscrit d'Invectives que le poète n'avait pas eu le temps de mettre définitivement en ordre.

 

Invectives est un long recueil comportant soixante-neuf poèmes, pourvus chacun d'un titre. Les formes poétiques sont variées, quoique sans audace, mais le recueil trouve son unité dans l'utilisation constante d'un ton polémique particulièrement agressif. Bien que l'ouvrage ne soit pas divisé en sections, des ensembles se dessinent. Ils correspondent aux divers domaines que prend pour cibles la fureur du poète. Celle-ci est très intense et semble infinie, tant sont nombreux les objets qui la suscitent. Verlaine s'en prend ainsi à la poésie et aux écrivains contemporains ("l'Art poétique ad hoc", "Littérature", "Metz", "Portrait académique", "A Édouard Rod", "Ecce iterum Crispinus", "la Ballade de l'école romane", "Jean-René", "Conseils", "Pour Moréas", "l'Éternel Sot", "Arcades ambo"). Il invective également les éditeurs dans "Anecdote", "Un éditeur", "Ballade en faveur de Léon Vanier et Cie". Ailleurs, il stigmatise violemment la République et les politiciens ("Buste pour mairies", "Thomas Diafoirus", "Nébuleuses", "Opportunistes", "Un peu de politique"). Il fustige aussi bien les responsables de l'urbanisme ("Un peu de bâtiment") que les Parisiennes ("Contre les Parisiennes", "Sur la manie qu'ont les femmes actuelles de relever leurs robes"). Les institutions qui assurent le maintien de l'ordre social, c'est-à-dire surtout la justice ("A un magistrat de boue", "Autre magistrat", "Compliment à un magistrat", "Sonnet pour larmoyer") et la police ("Petty larcenies", "Cognes et flics") sont également l'objet de la vindicte du poète.

 

Invectives est le recueil de la haine et des rancunes, d'une hargne généralisée à laquelle seule, semble-t-il, la mort du poète put mettre un terme. Si Verlaine n'a pas lui-même clos l'ouvrage, c'est peut-être en effet en raison du caractère inépuisable de sa verve accusatrice. Le recueil, qui n'a d'autre principe de cohésion que l'infini des matières abordées, donne en tout cas l'impression que l'imprécation est intarissable, que rien ne pourrait en interrompre le flot.

 

Dans cette parole acerbe, Verlaine puise à l'évidence délectation et jubilation. Dès la caractérisation initiale de l'ouvrage, le plaisir apparaît comme étroitement lié à la médisance: "Ce livre où mon fiel s'amuse" ("Post-scriptum au Prologue"). Dans un poème où il parodie son propre "Art poétique" (voir Jadis et Naguère), le poète dévoile la part de jouissance inhérente à une telle écriture atrabilaire: "[...] l'ire, / [...] Sort de moi pour un grand festin à belles dents [...] Ce festin, je ferai des milliards de lieues / Pour me l'offrir et le manger avec les doigts, / Goulûment, salement, sans grand goût ni grand choix" ("l'Art poétique ad hoc").

 

Cri viscéral, la poésie ainsi pratiquée risque de ne pas dépasser le stade de la satisfaction personnelle et le lecteur peut difficilement partager ce festin dont parle Verlaine, pas toujours du meilleur goût en effet. Invectives, recueil polémique, cherche peu à exploiter les subtilités de ce genre pourtant riche, encore moins à le renouveler. La langue est d'ailleurs parfois elle aussi mise à mal, volontairement estropiée ("Rastas"), tout comme la qualité des procédés poétiques demeure médiocre: "Ça rime mal, / Mais c'est égal!", précise une note de l'"Ode à Guillaume II".

 

L'énoncé s'exprime directement et littéralement, sans guère de détours ni d'images. Verlaine se livre ainsi à des insultes franches et nominales: "Ghil est un imbécile" ("Conseils"), "L'éternel sot qui fut jadis Fréron / Et maintenant se nomme Brunetière" ("l'Éternel Sot"). Le trait est parfois mesquin lorsque, faisant feu de tout bois, le poète n'hésite pas à mêler à la querelle littéraire la vie privée de ses ennemis: "H. Fouquier, auquel E. Feydeau / Légua sa veuve avec ses rentes" ("Arcades ambo"). Verlaine puise aussi abondamment l'inspiration de ses Invectives ou de ses "Griefs" dans son expérience personnelle, par exemple dans ses fréquentations féminines: "Elle est méchante, c'est la gale! / Et vraiment pour t'avoir "gobée", / Il m'a fallu quelque fringale, / Mademoiselle Machabée" ("Pour Mademoiselle E... M...").

 

Lentement mais sûrement épuisé au fil des recueils qui continuent pourtant de se succéder, le souffle poétique verlainien connaît ici comme un dernier sursaut d'impuissance. Le poète en est peut-être conscient lorsqu'il écrit dans "Post-scriptum au Prologue": "Je récuse comme Muse / Celle qui ne sut m'aimer." Dans Invectives, la poésie est en effet congédiée au profit des dépits rageurs et des règlements de compte haineux.

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