Liebestod
"L'odeur du sang ne me quitte pas des yeux Juan Belmonte".
Sous-titre tiré des "Conversations avec Francis Bacon" : "On ne sait pourquoi certaines choses vous touchent. C'est vrai, j'adore les rouges, les bleus, les jaunes, les gras. Quand je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place des morceaux de viande. Et puis il y a un vers d'Eschyle qui hante mon esprit : L'odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux.»
Inspiré par "Liebestod" (Mort d'amour), l'air final de Isolde dans "Tristan et Isolde" de Wagner, et par la vie de Juan Belmonte, un matador sévillan, considéré comme le créateur de la corrida moderne qu'il voit comme un rite spirituel, Liebestod est une descente au coeur même de la pulsion de mort génératrice de création artistique. Alors que Belmonte se suicide, frustré de ne pas avoir trouvé la mort dans l'arène comme Joselito, son modèle, Angélica ira au bout de ses démons dans une confession lyrique et érotique, une recherche de beauté absolue d'où émergerait le visage de Dieu.
Atteindre la catharsis et le sacré nécessite selon elle de passer par la violence, par la terreur et par la compassion qui sont liés aux trois éléments fondamentaux de la vie que sont le sexe, la naissance et la mort, dans une offrande au public. Pour atteindre le sublime, il faut atteindre la transe, un état religieux où l'amour, la beauté et la mort se rencontrent.
Une succession de levés de rideau sur des tableaux vivants (dont un malabar promeneur d'une nuée de chats en laisse) avant d'atérrir sur un plateau nu avec une piste d'arène en arrière-fond. Une chaise et une petite table, une bouteille de vin, du pain, des serviettes et un rasoir. Angélica au bout du rouleau crie son désespoir de femme amoureuse abandonnée au-delà de toute pudeur. Sur le thème de "Asingara" de Las Grecas, elle va s'immoler devant le public en s'auto-mutilant pour essuyer ensuite le sang qui coule le long de ses jambes avec un morceau de paix qu'elle dévore, se nourrissant de sa propre douleur. Au-delà de la performance, Angélica raconte ici "l'histoire de ses racines et de ses abîmes". Dans une mise à nu radicale, elle se présente comme une artiste et non pas comme une actrice (elle précise bien qu'elle hait les acteurs) qui met en doute l'utilité de son art dans un système théâtral toujours plus encadré, instrumentalisé. Dans ce contexte, sa vie apparaît vaine, elle qui a consacré sa vie à l'amour du théâtre et du public, elle n'a rien construit à côté et se retrouve seule dans un environnement théâtral qui a perdu la foi. En furie, elle injurie ce public qui l'a acclamée nourrissant son narcissisme et regrette sa folle quête de reconnaissance, elle qui a échoué à se hisser au niveau des grands qu'elle admire, Rimbaud, Cioran, Pasolini, Artaud...
Liebestod a été créé dans le cadre de la série "Histoire(s) du Théâtre" où le NTGent pose chaque année à un artiste la même question : « en tant que créateur, quelle est votre histoire ? » Après Milo Rau et ses réflexions sur la représentation de la violence sur scène, Faustin Linyekula et le postcolonialisme, Angélica Liddell relève le défi de plonger dans son histoire intime et écorche de sa voix rauque et cassée à force de vociférer la société bien-pensante qui a sacrifié l'art sur l'autel du consensus et de l'engagement social.
Palmina Di Meo
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