Voici quelques extraits de critiques :
En ces nouvelles dont nous frappe la grande diversité, Barbara Y. Flamand développe à la fois une inspiration et des techniques très variées. Il est cependant permis d'y trouver des thèmes récurrents, des tournures d'esprit qui la caractérisent et son sa marque propre." (............) "Des nouvelles aux chutes très étudiées, des contes de fées qui auraient mal tourné." (Présentation de Joseph Bodson à l'AEB)
"Apre ou tendre, Barbara Y. Flamand poursuit d'un recueil de nouvelles à l'autre, une sorte de chant du monde pétri d'humanité et d'aspiration au bonheur." (Jean-Michel Klopp dans le quotidien luxembourgeois Zeitung vum letzebuerger vollek)
"Et des sujets importants, j'en passe ! Mais je me sens transfiguré par cette lecture substantielle et d'avenir." (Emile Kesteman dans "La cigogne"
Ce recueil divisé en trois partie : les nouvelles érotiques : "Les vertiges de l'innocence", celles apparentées au merveilleux et au fantastique : " Les métamorphoses insolites" et les satiriques : "Le génie et la peintre des labyrinthes" je choisis, après bien des hésitations
CACAHUETES
Cette porte entrebâillée comme une attente, et si forte était cette attente qu'elle s'exhalait sur le trottoir avec un parfum de venez-y voir. Il revint sur ses pas, persuadé que quelque chose, là au fond, le concernait. Qu'avait-il à craindre ? Rien. Il ne possédait qu'un passé miteux et quelques billets dans un porte feuille râpé.
Il entra, bourré d'appréhensions et d'espérances. Le couloir formait un coude. A peine eût-il dépassé cet angle qu'une odeur d'écurie, d'étable ou d'auge – il ne savait trop – lui emporta les narines. Il avança pourtant jusqu'à une pièce aussi pauvrement éclairée que l'espace qu'il venait de parcourir.
– Peur ? lui cria une voix caverneuse. Entre seulement !
Il entra.
Un homme en caleçon de bain dont la barbe et les cheveux poisseux couvraient la moitié du visage et du corps se balançait sur une échelle de corde au-dessus d'un monceau de détritus. Le jeune homme le regarda, cloué sur place par une de ces sensations qui contiennent tout à la fois stupeur, panique, incrédulité et dégoût. Il ne pensait pas à fuir ; d'ailleurs, l'énergumène ressemblait davantage à un singe amuseur qu'à une bête menaçante.
– Cacahuètes! Cacahuètes! cria-t-il, de sa voix où passait un souffle de préhistoire. Pas besoin de curieux. Cacahuètes ! Me faut des cacahuètes.
Le jeune comprit :
– Si vous voulez, dit-il, je peux aller vous en chercher.
– Mon écuelle !
Il regarda au sol et trouva l'écuelle près du grabat.
La stupeur dépassant de loin le dégoût, il prit l'écuelle qui contenait quelques carottes et pissenlits et la présenta. L'énergumène la saisit, s'installa à l'aise sur son échelon et se mit à mastiquer. Tout à coup, il considéra avec attention le jeune homme mué en interrogation vivante et lâcha en faisant un effort d'articulation :
– Je suis l’homme qui a refusé la condition humaine. T'as jamais entendu ? Le jeune homme fit stupidement non de la tête.
– Mon matelas, articula encore l'autre. Dessous. Le journal.
Le jeune souleva du bout des doigts le grabat et en sortit un journal jauni et moite.
– Lis!
Il tenta de déchiffrer et lut :
« On savait qu'en dehors des voies courantes de la vie civile, politique, militaire, les hommes choisissaient parfois de vivre comme des moines, des ermites, des missionnaires, des pèlerins, des vagabonds. M. R. P. que nous venons de rencontrer a décidé, lui, de vivre comme un singe. Voici ce qu'il nous a déclaré : « L'hominien est une branche dénaturée des primates, né des erreurs de la nature ou peut-être même une vacherie. Cette farce de la nature nous a conduits à endosser cette foutue condition humaine qui, si vous lisez l'histoire des civilisations, s'avère au-dessus de nos forces et de nos possibilités psychiques et morales. Qu'est-ce que la condition humaine implique comme comportement ? Le développement de l'intelligence, de la sensibilité et du sens esthétique ; l'exercice de la bonté et du courage ; la recherche de la vérité. Puisque cette condition n'a jamais pu être assumée – à quelques exceptions près dont nous ne pouvons nous expliquer les causes ni raisons – il me paraît logique, lucide et honnête de réévaluer notre espèce. Quel caractère spécifique de notre nature pouvons-nous effectivement assumer ? Son animalité. Me conformant sagement à ce trait irréfutable, je me classe désormais au rang de mon plus proche parent, le singe. Entendez bien ! Je n'appartiens pas à cette catégorie de singes qui s'ignorent, et s'ignorant, prétendent régenter les lois et les mœurs. Rien de commun entre cette espèce faussement humaine et l'état dans lequel je me place volontairement aujourd'hui. Je ne fus pas plus capable que vous d'assumer ma condition, mais moins hypocrite que vous, je ne continuerai pas à faire semblant d'être un homme ; je n'ai plus qu'un projet : accomplir mon destin animalier. Désormais, je n'ai plus rien à voir avec vos droits de l'homme, ceux du singe me suffisent. Je les revendique. Apportez-moi donc des cacahuètes, des bananes, tout ce que vous portez aux singes du zoo. Et ne vous offensez pas, si en votre présence, je me gratte les aisselles, me branle et chie sur vos têtes. Comprenez que je suis libéré de votre mode de vie qui exige que l'ordure se déverse en secret. »
Le jeune homme remit le journal sous le grabat et partit sans mot dire. Un quart d'heure plus tard, il revenait avec un kilo de cacahuètes et une main de bananes. Il se déshabilla calmement, ne gardant que son slip.
– Fais-moi une place, dit-il simplement.
Commentaires
Eh, oui, chère Barbara !
Qui sommes-nous...réellement ? Bien que tout le monde cherche à sonder le mystère, est-il, in fine, vraiment souhaitable de le découvrir ? J'ai peur de la découverte !
François.
A écouter: un extrait du "Testament des poètes" de Robert Paul: Barbara Flamand nous parle de son oeuvre
(Interview du 20 mai 2002)