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Les « Mémoires » du Cardinal de Retz

12272734295?profile=originalIl s’agit d’un ouvrage de Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679), publié à Nancy chez Jean-Baptiste Cusson en 1717.

 

Lorsque, au début de la Régence, parurent à Nancy (dans la Lorraine encore indépendante), puis à Amsterdam les Mémoires de Retz, on fut tenté d'en mettre en doute l'authenticité. Le libraire Cusson ne donnait aucune indication sur la provenance du texte; dans tous les passages consacrés à la Fronde, on retrouvait de nombreux et évidents emprunts au Journal du Parlement; en 1715 avait commencé en France une nouvelle régence, comparable, dans ses débuts, à celle d'Anne d'Autriche: le neveu de Louis XIV, comme jadis la veuve de Louis XIII, avait eu recours au Parlement pour s'octroyer un pouvoir régalien, et ces Mémoires auraient pu être forgés pour montrer l'iniquité et la malfaisance du despotisme, pour justifier en quelque sorte la sédition des frondeurs et pour proposer un équilibre des pouvoirs conforme aux anciennes traditions françaises. Même s'il subsiste bien des mystères dans ce texte, qui est d'ailleurs brutalement interrompu, il paraît plus raisonnable d'en admettre l'authenticité. Ce n'est pas sans arrière-pensée qu'on l'a fait paraître en 1717, mais nous pouvons penser que Retz l'a composé dans sa retraite de Commercy: ce travail l'aurait occupé à peu près dix-huit mois, de l'automne 1675 au printemps 1677.

 

Les Mémoires, dans l'état où nous les connaissons, comportent trois parties. La première va de 1613 à 1643; nous y trouvons l'évocation de la famille de Retz, de sa jeunesse désordonnée (duels et galanteries), de la folie de son père de mettre dans l'Église "l'âme peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l'univers". Il se mêle aux complots du comte de Soissons contre Richelieu, qui a abaissé sa famille. Le cardinal-duc meurt le 4 décembre 1642, et Louis XIII le 1er mai 1643. La régente, un mois plus tard (le 12 juin), le nomme coadjuteur de son oncle à l'archevêché de Paris. Dans la deuxième partie, nous assistons à tous les événements de la Fronde. Quand Broussel est arrêté et que le peuple de Paris se révolte, Retz concourt à apaiser cette sédition. Mazarin et Anne d'Autriche ne lui en savent aucun gré et le considèrent comme un factieux. Il demeure à Paris lors de la retraite de la cour à Saint-Germain et essaie vainement d'entraîner Condé dans le camp du Parlement. Il devient, avec Bouillon et Turenne, l'un des chefs de la rébellion et voit se conclure en mars 1649 la paix de Rueil. Puis c'est l'arrestation des princes, Condé, Conti et Longueville, la guerre civile, la fuite de Mazarin, enfin la victoire du roi, qui proclame, le 22 octobre 1652, une amnistie générale. Cela ne l'empêche pas de faire arrêter Retz le 13 décembre. Il est enfermé à Vincennes, puis à Nantes. Il s'évade le 8 août 1654, gagne l'Espagne, puis la Toscane, où il parvient trois mois plus tard. Là commence la troisième partie. Retz est à Rome; il est reçu par Innocent X (novembre 1654). Le pape meurt le 7 janvier 1655. S'ouvre un conclave qui durera quatre-vingts jours: Retz parvient à faire élire le cardinal Chigi, qui prend le nom d'Alexandre VII. Il apprend que la cour a remis l'administration de l'archevêché de Paris au chapitre de Notre-Dame. Il s'agite pour faire reconnaître ses droits et recouvrer son diocèse. C'est là que le récit s'arrête, de la manière la plus abrupte.

 

Au début du texte, Retz affirme entreprendre ces Mémoires à la prière d'une dame de ses amies, qui lui a demandé un récit fidèle de ses aventures. Cette dame a des fils, auxquels l'écrivain adresse, dans les dernières pages, quelques conseils et réflexions. Les historiens ont cherché à identifier cette mystérieuse destinatrice. On a cité Mme de Lesdiguières, Mme de Sévigné, Mme de La Fayette, Mme de Grignan. Aucune certitude, aucune preuve formelle; notons toutefois que les "fils" de la dame semblent encore des enfants au moment où le cardinal écrit, ce qui doit restreindre l'enquête.

 

Cela donne, en tout cas, aux Mémoires, un accent très particulier. Retz n'écrit ni des Confessions comme Rousseau ni un poème du temps et du rêve, comme les Mémoires d'outre-tombe. Il ne revit pas son passé et ne s'y plonge pas comme dans un songe éveillé. Il a en face de lui une lectrice qu'il ne faut pas lasser, qu'il importe d'amuser constamment, et peut-être de jeunes lecteurs qui ont quelque chose à apprendre de ses expériences. C'est ainsi que le ton est brillant, vif, et que le passé - peu coloré d'ailleurs, peu pittoresque - conduit, à chaque page, à des analyses et à des réflexions généralisantes. Cette intellectualisation presque permanente n'atteint pas la haute métaphysique; elle se borne à la morale et à la politique; elle demeure dans les limites qu'exigent la conversation et la plus souriante pédagogie.

 

Cette démarche qui ne fait, au fond, de la vie de Retz qu'une longue suite d'exempla, n'empêche nullement, impose peut-être même, une extrême précision. Tous les détails importent à qui veut persuader et éclairer. Avouons que ces détails n'ont pas tous la même valeur et qu'une sorte de myopie embarrasse souvent la narration. L'écrivain se perd un peu dans le pointillisme: il se retrouve heureusement, quand son impétuosité et sa vive intelligence interrompent cette trame trop serrée, réintroduisent des aperçus cavaliers et de séduisantes fulgurances.

 

L'autobiographe était, malgré tout, un historien, et il se plie, comme dans la Conjuration du comte Jean-Louis de Fiesque, aux topoi du genre - longues harangues, maximes, et cette célèbre galerie de portraits où défilent tous les protagonistes de la guerre civile. Mais une ironie subtile mine tous ces procédés. Les discours trop beaux paraissent à demi rêvés. Les portraits trop brillants éclairent moins sur le héros que sur le peintre, qui étale, presque jusqu'à la parodie, sa virtuosité: "M. de La Rochefoucauld [...] a voulu se mêler d'intrigue dès son enfance, et dans un temps où il ne sentait pas les petits intérêts, qui n'ont jamais été son faible; et où il ne connaissait pas les Grands, qui, d'un autre sens, n'ont pas été son fort."

 

La philosophie de l'Histoire est celle du XVIIe siècle - de La Rochefoucauld précisément, de Saint-Réal et de Fontenelle. Les hommes sont faibles; ils se trompent souvent; le hasard est souverain; on peut croire à une Providence, mais elle est presque toujours voilée, et relève de la foi bien plus que de l'examen des faits. Retz appartient au clan des dévots. Il n'est pas très loin, au temps d'Anne d'Autriche, du populisme aristocratique et clérical de la Ligue. Il démontre, comme tant d'autres à son époque, que la monarchie française s'est émancipée du joug des lois et des coutumes, et est presque devenue un despotisme. Il ranime discrètement le vieux rêve d'un monarque pieux, entouré d'hommes de robe, et proche de son peuple. Y croit-il encore? Y a-t-il cru en 1648? Il semble traiter la politique des dévots comme il traite la grande Histoire de Salluste et de Tacite: avec un respect que ronge l'ironie.

 

Il voudrait, nous dit-il, éviter, comme de Thou dans ses Mémoires, à la fois la fausse gloire et la fausse modestie, et il y réussit assez bien. Il ne cache pas ses erreurs. Il se montre dupé parfois par des apparences, manipulé par de mauvais conseillers. Il n'en éprouve aucune honte et ne marque aucune animosité contre ceux qui l'ont abusé. Il n'en veut à personne, et sa clairvoyance évite l'amertume. D'ailleurs il sait reconnaître les qualités. Il nous fait comprendre que l'action politique n'est qu'un jeu et recourt souvent pour la décrire aux métaphores théâtrales (pièce, actes, parterre, violons): c'est la clé de son oeuvre, ce qui en assure le charme le plus fort. Retz ne cherche pas à faire son apologie ni à nous transmettre un idéal; il rêve parfois aux belles âmes et à la vraie vertu, mais le rêve passe vite; il nous suggère que tout est à peu près équivalent et plus comique que triste: les conventions du récit historique, les grands principes politiques font partie de la représentation. Tout au plus ce spectacle peut-il, en nous distrayant, nous conduire à quelques idées assez sages et assez simples sur la nature humaine, nous faire supposer que nous ne voyons que l'envers des choses, et que pour Dieu l'Histoire a un tout autre sens, se dépouille de ses oripeaux comiques et va vers de vénérables fins.

 

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