Les mains de ma mère
Elles avaient raclé les miettes sur les tables,
grapillé le charbon au flanc des terrils,
ramassé branches et planches pour allumer
un feu de pauvre.
Mordues par la vie, elles restaient pourtant des mains d'enfant
qui habillaient des poupées imaginaires
et dessinaient des soleils sur des bouts de carton.
Entre la lessive et le devoir d'écolière,
elles avaient gratté d'irréelles guitares
où leur âme se fendait en notes secrètes
Entrte leurs gerçures,
elles avaient étouffé des colères de rebelle
et, mouillées de larmes, s'en étaint allées
cueillir la fleur rare, éclatée d'une graine aventureuse
entre deux pavés.
Captives dans un atelier et tirant l'aiguille,
elles semblaient sur les taffetas, satins, broderies,
deux papillons voletant de corolle à corolle.
Du lot des meurtrissures, elles émergeaient aériennes
comme si leur vocation était d'apprivoiser les tourterelles.
Un jour d'amour, elles déposèrent leurs fines nervures
dans les poignes d'un ouvrier.
Les unes et les autres avaient de longues racines
gorgées de la houille du Sud et des sables du Nord.
Elles se nouèrent au temps des primevères, dans le souvenir commun
du pain noir.
Quand elles caressèrent mon premier battement de paupières
je reçus leur grâce au plus profond de ma chair.
Quand elles m'apprirent à cueillir un myosotis
ce fut pour le piquer dans mon coeur, que vivant
il y demeure à travers doutes et trébuchements.
Du langage des mains, elles me montrèrent tous les signes,
puissants et délicats.
La tendre pression d'amour et la forte pression d'espoir,
le signe de l'adieu et celui du baiser,
les mains qui prient, s'offrent, maudissent,
et le signe dur
du poing fermé pour la lutte finale,
les mains sur les yeux écrasant les larmes,
celles se frappant l'une l'autre dans l'enthousiasme,
et celles qui se creusent en coupe pour recevoir l'ondée,
ou s'écartent en croix ou dressent le flambeau,
tous ces signres, enfin, qui fusent du coeur...
Les mains, les siennes,
sculptées dans la glaise des corons,
ne se refusant jamais à l'appel d'une détresse,
multiples et uniques, comblées de prodiges
et de poignantes tendresses.
Elles sont vieilles aujourd'hui, traversées de veines bleues,
belles, comme le combat du blessé contre la mort,
comme une justice qui se montrerait nue,
comme l'obstination de l'aveugle à voir le jour
dans sa nuit.
Barbara Y. Flamand
Commentaires
Merci cher Robert d'avoir remis à l'ordre du jour "Les mains de ma mère" qui suscitent toujours une émotion,
le texte ayant été écrit avec amour.
Émouvant de vérité, de réalité sans concession. Émouvant de tendresse et d'ouverture de cœur. Émouvant d'amour, tout simplement. Merci à Barbara pour ce moment de cri et de recueillement.
En ce jour de fête des mères, je salue ce texte avec émotion, et je partage.
Bel hommage! Bravo
Quel bel hommage à cette mère et à toutes les mères dont les mains nous ont bercées avec toute leur tendresse quand nous en avions besoin et nous guider en nous montant le bon chemin.
C'est un très beau poème.
Cet hommage à la mère (à toutes les mères) me fait penser au poème bien connu de Darwich : http://www.barapoemes.net/archives/2016/08/29/34249275.html
Oui & quel courage inné en chacun de nous de vivre l'expérience humaine aussi avec un esprit de mère nourricière ! Humhh ... n'est-il pas venu le temps d'accepter transcender les galères, de retourner à notre Essence avec les dividendes de nos expériences d'âmes ?
Un seul mot : MA GNI FI QUE !!!!
Très bel hommage pour toutes les mères...Bisous