"Lettres de mon Moulin est un recueil de nouvelles d'Alphonse Daudet (1840-1897), publié à Paris chez Hetzel en 1869; réédition augmentée - et définitive -, portant de 19 à 24 le nombre des nouvelles, chez le même éditeur en 1879. Annoncé par des Lettres sur Paris et Lettres du village, l'ouvrage rassemble des textes parus dans plusieurs journaux (le Figaro, l'Événement ou le Bien public) de 1866 à 1873.
Daudet est à l'époque un jeune homme apprécié, mais qui se disperse et auquel on ne prête pas un grand avenir littéraire. Depuis 1859, il a rencontré Mistral et repris contact avec une Provence natale où il aime à rejoindre amis, amours et impressions de nature: quittant Paris, lassé et fatigué, il se réfugie au château de Montoban, une propriété de famille, et dans les divers moulins des environs, notamment le moulin Tissot à Fontvieille près d'Arles. Daudet a fait appel, pour ces lettres, à des éléments fort divers: des souvenirs de Mistral et de Roumanille, des épisodes autobiographiques («l'Arlésienne», «les Vieux», les notations de voyage), et aussi à la collaboration de sa femme et de Paul Arène (d'où, par la suite, une polémique avec certains partisans de ce dernier).
Après une «Installation» où le narrateur rencontre les animaux vivant près du moulin qu'il a acheté (voir l'«Avant-propos» sous forme d'acte de vente), les récits se succèdent. «La Diligence de Beaucaire» raconte l'histoire d'un rémouleur trompé par sa femme et dont se moquent les autres voyageurs de la diligence. «Le Secret de Maître Cornille» est celui d'un meunier abandonné de ses anciens clients et qui fait croire qu'il continue à travailler: découvrant son secret, le village lui donnera volontiers le grain nécessaire pour continuer à faire tourner son moulin. «La Chèvre de Monsieur Seguin» est à l'image du poète dédicataire de la nouvelle: désireuse de découvrir les espaces sauvages et de goûter de la montagne, elle sera finalement mangée par le loup, après s'être vaillamment battue toute une nuit. Dans «les Étoiles», un berger et Stéphanette contemplent les astres de la nuit. «L'Arlésienne» est le drame d'un jeune homme pris entre sa passion amoureuse et la honte d'épouser une jeune fille sans honneur. «La Mule du pape» est un animal vindicatif qui, après bien du temps, lancera un coup de sabot magistral à un mauvais plaisant dont elle a été la victime. «Le Phare des Sanguinaires», «l'Agonie de la Sémillante» et «les Douaniers» rassemblent des récits et des impressions corses. L'abbé Martin, «le Curé de Cucugnan», rêve qu'il va au paradis et au purgatoire: il n'y trouvera aucun de ses paroissiens, qui sont tous en enfer; ce qui, selon son sermon, doit les inciter à une confession urgente. «Les Vieux» accueillent le narrateur avec une gentillesse émouvante: il vient de la part de son ami Maurice. «Ballades en prose» est composée de deux textes: l'un consacré à «la Mort du Dauphin», l'autre, «le Sous-préfet aux champs», montrant un fonctionnaire oubliant ses discours pour aller faire des vers dans la nature. «Le Portefeuille de Bixiou» rapporte les farces de ce blagueur en même temps que son amour de père pour la petite Céline. «La Légende de l'homme à la cervelle d'or», métaphore de l'écrivain, évoque le sort tragique de celui qui s'arrache de sa propre substance pour la donner aux autres. «Le Poète Mistral» nous présente le maître et l'ami de Daudet. «Les Trois Messes basses» racontent la punition céleste de ce curé trop pressé et trop gourmand qui bouscule la liturgie de Noël pour avancer l'heure du réveillon. «Les Oranges» évoquent quelques impressions embaumées et savoureuses. «Les Deux Auberges»: l'une est prospère, l'autre complètement désertée, et une pauvre femme l'habite. «A Milianah» rapporte des scènes algériennes, ainsi que «les Sauterelles». «L'Élixir du Révérend Père Gaucher» est une boisson alcoolisée dont un moine retrouve la recette qui enrichit le couvent et expose son inventeur à bien des tentations. Enfin, derniers textes, «En Camargue» et «Nostalgies de caserne».
La première couleur du livre est celle du Midi: Mistral félicitera Daudet d'avoir réussi à écrire en «provençal français» et c'est certainement cette langue aux tournures ensoleillées, aux vocables originaux qui peut séduire le lecteur (sans trop l'effaroucher). C'est aussi toute la vie d'un peuple avec son décor: le curé gourmand ou gourmandeur, le berger et le joueur de fifre, le hâbleur, le poète, le berger, l'amoureux. Et encore l'odeur forte des plantes aromatiques, la présence des animaux qui, dès le départ, est comme le signe sous lequel écrit le narrateur. Au-delà même de la Provence, il y a la Corse et l' Algérie, plus généralement le début d'un exotisme, presque d'un orientalisme qui attire le public parisien et ces lecteurs-destinataires des Lettres: ils sont entraînés, dépaysés, parfois jusqu'à une sorte de fantastique discret.
Le deuxième charme du livre est l'alliance qu'on y trouve entre la malice et la tendresse. Le narrateur ne cache pas la paresse de tel compatriote, l'amour de tel ecclésiastique pour la dive bouteille, les infidélités d'une belle volage, les manies d'un pape avignonnais; mais il les conte avec gentillesse, sans sarcasme. Et sans jamais se départir d'une grande compassion: pour les humbles douaniers, mal payés et malades, pour les naufragés de la Sémillante, pour le cocu déshonoré, pour l'écrivain dépossédé et mangé par les «loups». On ajoutera à tout cela une très grande variété d'écriture: récits rapportés, impressions personnelles, légendes ancestrales, c'est à chaque fois un ton différent, un nouvel angle d'attaque ou de narration. Le sujet proprement dit est moins important que ces inflexions variées d'une voix pourtant familière, complice, séductrice.
Commentaires
Même si le calendrier n'est plus de saison puisque nous parvenons à l’Épiphanie, je ne résiste pas au plaisir de vous communiquer ce poème... si tant est que vous ne le connaissiez déjà :
Tout à coup, le vent fraîchit. La montagne devint violette; c'était le soir. En bas, le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Un gerfaut la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit. Puis ce fut un hurlement dans la montagne: «Hou! hou!»
Elle pensa au loup. Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin.
- Hou! hou! faisait le loup.
- Reviens! reviens! criait la trompe.
Blanquette eut envie de rentrer; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa qu'elle ne pourrait plus se faire à cette vie et qu'il valait mieux rester.
un texte qui a bercé mon enfance!
http://herve.flores.online.fr/V-illus/liens/chevre.html
Livre de chevet de mon enfance, de toute mon enfance, même si elle fut courte ........ Magie de cette écriture superbe, gorgée de couleurs, de senteurs ; un ressourcement à chaque fois, puis après, j'y repensais ; j'étais comment dirais-je "ensoleillée", joyeuse, du noir, je replongeais dans le vert et le bleu ! lire était devenu presque un jeu ; du métro, en un instant, j'étais propulsée au cœur de la garrigue, d'une figueraie, d'une amanderaie ; bref, l'ondée sombre devenait bleue, l'école triste et grise se métamorphosait en un lieu incroyablement vivant, d'où l'accent de Pagnol jaillissait, résonnait, à l'instar d'une source vive et claire. Merci pour ce bel hommage Monsieur Paul. NINA
Lecture de ma jeunesse et bien après encore, ce billet le donne envie de relire ces "historiettes" sentant bon le chaume et l'olive provençale.....
Un des livres de chevet de mon enfance.... et le moulin tourne toujours dans mes souvenirs.