LES IMAGES DU PAUVRE
Enfant je possédais des images pieuses que j’échangeais contre des capotes anglaises aux soldats américains venus libérer notre territoire occupé par des images de bottes.
J’en faisais des ballons.
Enfant sans fric, je préférais le mystère de la bulle d’air et le terrible pouvoir qui la saignait quand elle partait découvrir un monde que je me contentais d’imaginer plein d’avions, de bombes et de types méchants avec des couteaux partout, même dans le coeur, jusqu’à la garde des rêves.
Je n’écrivais pas encore.
J’avais le temps de rêver, suprême délice, le temps de percevoir le temps, jusqu’au jour où mes images se mirent à tournoyer, à encombrer mes instants, à grelotter à la porte de mes mains, à écumer des métaphores.
J’aurai voulu les tuer. J’ai tenté de les fuir. Elles ne se laissèrent pas faire, dévorant mes répits, broyant ma vie, je devins inconscience.
J’étais en perdition.
Les sauveteurs de tous mérites m’offrirent leurs services : j’abusais de leur mansuétude couarde, car ils ne désiraient pas m’aider à canaliser, à trier, à classer, ils lorgnaient mes images pour les faire à leur semblance. Ils voulaient, les saints hommes, me jeter dans le moule à copie conforme, me faire bouffer du calque, me soumettre à l’offset pourtirer à multiples exemplaires des stéréotypes à leur dévotion. Mes images ne se laissèrent pas duper, elles étaient filles pas faciles d’une insoumission révolutionnaire.
Quand pris-je conscience qu’il fallait que je m’en sorte seul ?
Je ne saurais le dire avec exactitude, mais dès lors je vis un grand nombre de rats sauter du navire et une salubre tempête les noya queue et tout.
Je sus très vite qu’il me faudrait faire un pacte avec les mots : les tractations furent longues et pénibles, j’avais tant à apprendre.
Mes facultés nécessiteuses manquaient de vocabulaire, de connaissances et de livres. Je possédais mes images il fallait leur apprendre à faire l’amour.
Ce ne fut pas une mince affaire : combien de procédés, de recettes, de trucs, de traquenards, de pièges, de tindelles, dus-je utiliser ? mais les malignes trouvaient toujours une issue de secours.
J’appris des autres qu’on pouvait donner langue au hasard, utiliser les lettres et aller promener des squelettes d’images dans des chantiers indifférents, l’agencement scientifique des structures, l’insignification du signifiant, les alléas formidables des ordinateurs, l’impersonnalité des paris suggérants.
Pouvais-je refuser d’en tenir compte ?
Mais que devenaient mes images à langues multiples sans le choix créatif d’une loupe installée à hauteur de quotidien ?
JE VOUS LE DEMANDE.
Commentaires
Bonjour Jean-Pierre un texte émouvant, comme j'aimerais en lire plus souvent. Une mémoire d'enfant particulière, puisque époque difficile. Je reviendrai le lire, il est prenant j'aurais aimé une suite.
A bientôt Jean-Pierre et merci
Marie-Ange