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12273095261?profile=originalDocument Bibliothèque nationale de France

Les « Cahiers » sont l’œuvre de l'écrivain français Simone Weil (1909-1943), publiée en trois volumes posthumes: 1951, 1953 et 1955. En mai 1942, lorsqu'elle s'embarquera pour les Etats-Unis via l'Afrique du Nord, Simone Weil remit au philosophe Gustave Thibon, qui l'avait accueillie au cours des mois précédents dans sa maison de Saint-Marcel-D' Ardèche, une série de petits cahiers rédigés à partir de 1940. Six nouveaux cahiers furent encore écrits pendant le séjour aux Etats-Unis; un dernier, achevé en Angleterre, a été publié séparément sous le titre "La connaissance surnaturelle" (1950).

 

Ces divers textes ne forment pas un journal proprement dit: on n'y trouve aucune date, aucune allusion à des événements contemporains, aucun trait directement relatif à la vie personnelle de la jeune philosophe. Il ne s'agit pas non plus, comme dans les "Pensées" de Pascal, de notes en vue d'un ouvrage à venir. Ces cahiers sont simplement le mémento d'une intelligence en marche, réflexions sur des lectures, résultats d'une méditation, échos d'une prière, consignés systématiquement sous une forme impersonnelle et abstraite, sans le moindre souci d'une éventuelle publication. Aucune recherche de style, et souvent même un tour extrêmement abrégé, allusif, une abondance de citations grecques, sanscrites, etc., qui rendent l'abord du texte assez difficile -quoiqu'on puisse recourir à l'excellente anthologie intitulée "La pesanteur et la grâce", parue en 1948 et qui révéla pour la première fois au public la pensée de S. Weil.

 

Cette pensée, les "Cahiers" ne nous la restituent pas à l'état de doctrine achevée, mais au contraire à l'instant de paroxysme de la crise spirituelle de l'auteur, en ces années 1940-1942 où la tentation catholique fut la plus vive. Lisant alors l' "Evangile" avec passion, Simone Weil ne sacrifiait pas pour autant ses autres curiosités multiples: Platon, les mythes grecs, les mystères égyptiens, les doctrines de l'Inde, etc.

 

Les "Cahiers" nous font connaître les faims spirituelles du philosophe plutôt que les certitudes déjà acquises. Il y a donc forcément quelque arbitraire à essayer d'en dégager des idées centrales cohérentes. L'entrée dans ces "Cahiers" a quelque chose de vertigineux: quand Simone Weil hausse la transcendance jusqu'à rendre Dieu impersonnel et à peu près inaccessible; quand elle abaisse la création jusqu'à lui refuser toute véritable consistance ontologique et éthique, jusqu'à soutenir que tout ici-bas est régi par une invincible nécessité et que le bien et le mal s'y équivalent, le lecteur peut se sentir accablé, il perd pied, au bord du désespoir. Il faut se rappeler alors que les "Cahiers" sont avant tout le témoignage d'une expérience spirituelle particulière: l'âme qui s'y exprime sous la pudeur des abstractions est ravie par Dieu, brûlée par l' illumination qu'elle a reçue, et cette nature fragile, ayant eu une révélation si soudaine et si totale de l'exigence surnaturelle, ne parviendra plus jamais à équilibrer en elle l'humain et le divin. De là ses excès apparents: considère-t-elle avant tout Dieu et le Bien absolu, Simone Weil penche alors vers un optimisme sans mesure et nomme divin tout ce qu'elle trouve bon sur la terre: divin Platon, divine l' antiquité grecque, divin le génie philosophique ou artistique. Mais se retourne-t-elle vers la terre et ce mélange qu'elle nous impose de vérité et d'erreur, de mal et de bien, Simone Weil s'abandonne alors à l'obsession du mal, elle ne voit plus que néant dans tout l'ordre humain, et il lui semble que Dieu ne se manifeste parmi nous que par son absence, qu'il s'est retiré de sa création en l'abandonnant à la loi du mal, de la "pesanteur", ennemie de la grâce.

 

En opposition avec la plupart des philosophes chrétiens et contemporains, Simone Weil sera donc résolument anti-humaniste, anti-personnaliste -la personne ne pouvant recevoir selon elle qu'une définition négative: elle exprime ce par quoi nous ne sommes pas Dieu. Le seul salut réside dans un véritable effort de dé-création, un anéantissement volontaire et total du moi, et ce mouvement, chez Simone Weil, paraît plus proche de la tradition indienne que du mysticisme chrétien. Toute tentative pour concilier l'humain et le divin, qu'elle prenne une forme philosophique (Aristote), ou messianique (les Juifs de l'ancienne alliance), ou théologique (le dogme catholique), ou administrative (l'organisation de l'Eglise), trouvera chez Simone Weil une insurmontable répugnance. Nul doute que ce soit là la raison profonde de son refus final du baptême, en dépit de tout ce qui l'attirait vers le catholicisme et ses mystères essentiels, tels l' Eucharistie.

 

Mais Simone Weil, qui savait infiniment de philosophie, n'était pourtant pas une pure philosophe. sa "doctrine" peut heurter, prêter à discussion; on peut y retrouver, en plein XXe siècle, une curieuse résurgence de l'antique manichéisme. Les "Cahiers" nous offrent cependant à profusion de ces formules de feu qui ne trompent pas: inconnue, dans le silence et la misère volontaires, une grande mystique a vécu parmi nous, rappelant à un temps  idolâtre du social le sens perdu de la transcendance, de la disponibilité au surnaturel, et vivant jusqu'au vertige la passion de l' absolu.

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