Ce nouveau spectacle des Baladins du miroir est un divertissement théâtral doublé de satire, ourlé de bribes poétiques, bourré de truculence et combiné avec des numéros d’acrobatie faisant partie du drame, au sens propre. C’est une façon très appropriée de donner vie à la galerie de personnages du chef d’œuvre de Vladimir Minac, auteur slovaque: « Le producteur de bonheur» (1964). Une façon de débusquer le désir de bonheur qui se cache dans les interstices de la réalité.
Il y a cette séquence inoubliable de l’homme virevoltant dans son cerceau géant, hésitant comme une pièce de monnaie qui roule sur une table. Pile ou face ? Deux côtés de la réalité. La créativité et la liberté s’invitent de toutes parts : depuis l’excellente dramaturgie et mise en scène de Nele Paxinou jusqu’à l’extraordinaire « conception et mise en espace des rêves » de Marco Taillebuis. Oui, vous avez bien lu. Dans cette histoire imaginaire et cocasse il y a un double fond : trois terrifiantes incursions dans le rêve ou dans le cauchemar kafkaïen. La création musicale trouve également sa place puisqu’une « musical band » de personnages tous habillés de noir à la Charlie Chaplin s’empresse d’effectuer les changements de décors, sous forme de jongleries, tout en jouant trompettes, violons et accordéon. Un peu intempestifs parfois. Les décors dynamiques dont l’imaginatif concepteur est Lionel Lesire convoquent le surréalisme et la dimension onirique. Eclairage et costumes de saltimbanques donnent une touche finale d’illusion bienvenue sous un chapiteau qui ouvre sur d’autres réalités.
En attendant Tobago ou la promesse d’une île. L’histoire est celle d’un escroc bouffon et de son valet, tous deux paumés. Frantichek Oïbaba a le verbe haut et le gosier en pente. Il promet une île à son valet et il en fera le roi! Avide du rêve de bâtir des entreprises florissantes, cet original fait miroiter à ses proies le rêve, le voyage, la liberté, la fantaisie dont l’auteur, écrasé par le régime communiste, semble avoir rêvé lui-même. L’escroc de troisième classe choisit l’oisiveté pour lui, l’exploitation pour ses « associé(e)s ». Oïbaba, sorte de Don Quichotte de l’Est, part à l'assaut de la dictature, de la bureaucratie et de la pensée unique. Il se dit être un homme libre qui a le courage d’être différent et de s’extraire de la fourmilière. « Saisir son couteau à rêves et ciseler l’avenir.» « Tenter sa chance ! Ça veut dire sortir du rang. Rêver à un destin unique. Tout qui marche dans un régiment, veut en sortir. » On est bien d’accord et c’est la phrase qui fait tomber toutes les défenses de ses collaborateurs forcés.
Et ce gueux abusif, porte-parole du droit à la liberté sera gagné par la chaleur de la fraternité. Il se définira à la fin comme escroc honnête, le fils prodigue d’un autre temps. Le propos est chaleureux, parfois grave, la mise en vie des personnages burlesques est bouillonnante et baroque, à mi-chemin entre le théâtre et le cirque.
Le texte a été traduit par Maja Polackova et Paul Emond.
Sur scène: Robert Guilmard (Ojbaba), Alexandre Dewez (Lapidus), Jimena Saez (la
veuve), Sophie Lajoie (Kataerina), Diego Lopez Saez, Geneviève Knoops (l’épouse
du peintre), David Matarasso, Simon Hommé, Aime Morales Zuvia et aux instruments
Grégory Houben ou Johan Dupont, Aurélie Goudaer, Wout De Ridder)…
http://www.lesbaladins.be/b_fr.html
Du 20 septembre au 6 octobre 2012
Sous chapiteau non numéroté – Parking Baudouin Ier http://www.ateliertheatrejeanvilar.be/fr/saison/detail/index.php?spectacleID=482
Commentaires
Quand un homme promet une île, qui ne le suivrait pas ? Surtout s’il y ajoute un emballage de mots défiant la plate réalité. Cet homme, poète pragmatique, séducteur faible et créateur de rêves carburant sec a la picole, s’appelle Frantichek Oïbaba. Et celui qui le suit, Cyril. Rebaptisé Lapidus, un nom de roi soi-disant et aussi d’esclave. Ensemble, le maître et le disciple vont tenter d’atteindre leur objectif imaginaire. Le maître en usant de stratagèmes et de combines bancales et le disciple en y croyant vraiment mais aussi en désenchantant.
La nouvelle création des Baladins du Miroir, habitués de Théâtre au vert, combine burlesque, rêverie et envolées poétiques. Disons un coup d’envoi efficace pour le festival parce qu’il s’y dénoue du jeu fédérateur et du spectaculaire. C’est d’ailleurs sans doute le secret des Baladins. Dans le sens : "en sortant d’ici, vous ne pouvez pas être déçu". Rien d’exceptionnel mais une pièce très bien construite par contre. La troupe possède surtout cette polyvalence artistique de haut niveau et offre la richesse des arts entremêlés. Le travail du texte amène quant à lui un côté vrai et des dialogues vivants, même si on se situe plutôt du côté des années 60 dans un système communiste qui a pris la poussière mais intelligemment critiqué. La langue est à la fois populo et subtile, situant le spectateur dans une strate narrative entre terre et ciel. Comme dans un mythe.
Des "cauchemars" d’Oïbaba viennent interrompre l’histoire en nous faisant participer aux problèmes de conscience de cet homme "original". S’ils colorent la pièce de délires ubuesques (pour reprendre les mots de Paul Emond) ou encore à la Lewis Carroll, ils empêchent peut-être le libre cours à l’imagination. Bref, ils font partie du texte et les comédiens ont réussi à leur donner une jolie teinte fantastique.
La chute moralisatrice de ce roman adapté au théâtre se rabat sur l’amour et sa puissance éternelle. Un Happy end qui clôt gentiment le spectacle. Que dire de plus ?
Merci de l' info, Deashelle ! Belle journée ! Nicole
Merci Deashelle