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Le joli buisson de jeunesse

« Le joli buisson de jeunesse » est un dit à insertions lyriques de Jean Froissart (vers 1337-vers 1410), composé en 1373 et conservé par deux manuscrits de la fin du XIVe siècle.

 

Le Joli Buisson de Jeunesse, qui se développe sur 5 442 vers, est le troisième et dernier des grands dits à insertions lyriques de Froissart. Répondant à l'Épinette amoureuse, qui retraçait l'entrée du poète dans la carrière amoureuse, il en donne le dénouement: l'écrivain fait maintenant ses adieux à l'amour et se tourne vers Dieu en implorant la médiation de la Vierge.

12272824290?profile=originalHommage à la vierge Marie (XIVe siècle) 

Poussé par le souvenir, par Nature grâce à qui il est à même de faire «biaus dittiers», par ses pensées qui lui rappellent la dignité de l'homme de lettres et les devoirs qu'il a à l'égard de ses mécènes, le poète entreprend de raconter le songe qu'il fit la trentième nuit de novembre 1373 (v. 1-871). Vénus lui apparaît et il lui reproche de ne pas avoir tenu les promesses faites autrefois (l'Épinette amoureuse, v. 534-618): elle l'incite à se lever et lui propose de le conduire au Joli Buisson de Jeunesse. Avant de partir, le poète chante un virelai, puis, chemin faisant, en interprète un autre. Enfin ils arrivent au Buisson: c'est un espace sphérique, dont on ne peut évaluer la circonférence car chaque endroit paraît en être le centre. Un jeune homme vient à leur rencontre, c'est Jeunesse, qui conduit le poète vers un lieu charmant, enclos dans le Buisson, où se divertissent jeunes dames et jeunes filles, parmi lesquelles la dame aimée du narrateur, aussi jeune et aussi jolie qu'elle l'était dix ans plus tôt. En recourant à deux fables mythologiques, Jeunesse explique ce défi aux lois de Nature: le véritable amour rend les êtres immuables l'un pour l'autre. Le poète hésite à rejoindre sa dame et s'informe sur l'identité des jeunes filles qui l'entourent; Jeunesse lui révèle leurs noms: Manière, Atemprance, Franchise, Pitié, Plaisance, Connaissance et Humilité (on aura reconnu, à deux variantes près - Plaisance et Connaissance remplaçant Courtoisie et Charité - les vertus de la dame du Temple d'honneur). Sollicité par Doux Semblant et par Désir, le poète rejoint la courtoise assemblée. Danses, chants, jeux se succèdent. Le poète essaie de gagner la bienveillance de sa dame, mais il se heurte souvent à l'hostilité de Refus, d'Escondit et de Dangier. Au milieu d'un jeu, alors que le poète se réjouit à l'idée de rencontrer le dieu Amour, on le pousse et il se réveille (v. 872-5 081). Ramené au présent, le poète quitte le printemps ensoleillé du rêve et retrouve la réalité; il se détourne des valeurs futiles et décide de se consacrer au salut de son âme. Pour l'aider dans sa démarche vers Dieu, il adresse un lai à «la Mere du Roi celestre», sur lequel l'oeuvre s'achève.

 

Bien que l'on retrouve dans ce poème bon nombre d'éléments présents dans d'autres dits de Froissart - omniprésence du Roman de la Rose (songe, allégories, art d'aimer), foisonnement d'allusions mythologiques, insertion de virelais, rondeaux, ballades, lais -, le Joli Buisson de Jeunesse occupe une place bien particulière dans l'oeuvre de l'écrivain, puisqu'elle consomme la rupture entre le poète et la thématique amoureuse. Le facteur primordial de cette rupture est le temps, partout présent dans ce dit, et figuré en abyme dans le Buisson dont les sept branches maîtresses représentent les sept planètes qui scandent la vie humaine (v. 1 596-1 704). Déjà l'Épinette amoureuse soulignait qu'il est un âge pour aimer, la jeunesse; toutefois, la réflexion n'allait pas au-delà, puisque l'histoire du héros se situait au sortir de son enfance. Tel n'est plus le cas pour le poète du Joli Buisson de Jeunesse: n'est-il pas lors de cette seconde rencontre avec Vénus (la première ayant eu lieu dans l'Épinette) «un peu...chenus» (v. 881)? A Philosophie (sa conscience poétique) qui l'invite à user de ses dons, il oppose la fuite du temps, et quand il récapitule son oeuvre passée, tout entière centrée autour d'Amour, il mentionne qu'alors il «estoi[t]... toutes nouveletés sentans», que ce type d'inspiration poétique n'est plus de saison, qu'il lui faut penser au salut de son âme. Ce n'est que par le biais du souvenir - très habilement éveillé par le portrait que le poète sort d'une malle où il était enfoui depuis plus de dix ans (v. 480) - et par la médiation du rêve que l'amour peut encore être à l'origine du poème. Mais le réveil ramène à la réalité, à l'hiver déjà installé en cette dernière nuit du mois de novembre, bien loin du printemps idyllique du rêve, à l'âge du poète: alors les subtilités du désir ne sont plus que «wiseuses» [futilités], véritable danger pour l'âme et pour son salut. Après le temps de l'amour vient celui de la sagesse, où il n'est plus d'autre dame que la Mère du Roi céleste.

 

Guillaume de Machaut tentait dans ses dits de concilier amour et sagesse; pour Froissart, dans le Joli Buisson de Jeunesse, ils ne sont pas complémentaires, ils se succèdent; encore une affaire de temps, ici de chronologie.

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Galant séduisant une fileuse (XIVe siècle)

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Commentaires

  • Un buisson de jeunesse qui conduit à la fontaine de jouvence de la spiritualité : quel beau rêve !  Comme la vie, les rêves passent et laissent des traces.  Merci pour celui-ci.  Amitiés, Claudine.

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