En vertu de la consigne RGN (Règlement Général des Navettes), le chef de train donna un premier coup de
sifflet pour ordonner l’ouverture du journal suivi d’un second qui donnait le départ de la lecture.
Si je ne prenais le train de temps en temps aux heures de pointe, je ne crois pas que je n’eusse jamais eu un contact quelconque avec la presse écrite. Chaque fois que je suis soumis à cette obligation, je suis choqué par la dureté des évènements qui y sont évoqués. Ils me semblent effectivement plus cruels à lire qu’à voir en images.
Est-ce à cause de la disposition des titres ou des photos qui figent les scènes les plus horribles ? Méditation…
Je tentai de me concentrer sur les faits relatés à la une. Les parties du monde traitées par ces articles semblaient se complaire dans une existence effervescente et malsaine qui m’attristait à me blesser l’âme fragilisée par mon parcours encore vierge de personnage de roman.
Pour ne pas pleurer, je tentais de me rassurer en me rappelant que tout dans ce monde n’est qu’une comédie orchestrée par celui qui tient le stylo.
J’observai les figurants assis autour de moi. Je me rendis compte de la qualité de leur jeu de scène. Chacun dissimulait son chagrin et son étonnement que suscitaient les émanations des journalistes du jour.
Pour éviter tout débordement, le contrôleur de sentiments qui nous accompagnait fit le tour du compartiment, évaluant les visages, juste avant le départ. Comme son travail devait être difficile !
Dans une chronologie parfaite, le train se mit en route. Je me sentais bien, malgré l’article qui relatait tous ces gens qui mouraient dans des souffrances atroces, dont la vie était déchirée comme une feuille de papier. Je tentais de relativiser en me persuadant que ma position d’émanation d’inspiration d’auteur ne me permettait pas de compatir pour quelle exaction que ce soit, même pour celle dont je serais l’auteur.
Transcendance… Je devais m’en tenir au rôle que moi-même m’étais attribué…
Pour jouer ce rôle, j’avais enfilé un beau costume de scène littéraire. Chaussettes vertes dans des souliers rouges, short mauve m’arrivant aux genoux, chemise assortie aux chaussettes. Je me sentais conforme à mon personnage. J’avais remonté mes lunettes de plongée au-dessus du front pour éviter qu’elles s’embuent.
Imperturbable, le train roulait vers la destination que chaque voyageur voulait rejoindre.
- Où allez-vous ? Demandai-je à mon voisin immédiat.-
- Je n’ai pas encore décidé. Me répondit-il en souriant. La surprise sera d’autant plus grande lorsque je le découvrirai en descendant du train. J’adore l’aventure. Et vous, Où allez-vous ?
- À Bruxelles !
Je posai la même question à un autre voyageur qui semblait vouloir s’immiscer dans notre conversation.
- Moi, je vais à Paris ! J’y ai un rendez-vous important. Qu’allez-vous faire à Bruxelles ?
- Rien de particulier !
- L’avantage du train est qu’il peut nous transporter dans des directions différentes, voire opposées, alors que nous peuvons demeurer ensemble durant le voyage.
Je ne trouvai pas utile d’ajouter quoi que ce fût à cette affirmation qui était, on ne peut plus juste. Je fermai
les yeux et simulai le sommeil du matin afin de me détacher de la conversation.
Vraisemblablement suite à une délation, le contrôleur arriva rapidement pour me réveiller. Il prit le journal qui gisait sur mes genoux et, d’un geste agressif, me le tendit pour que j’en poursuive la lecture.
Je soupirai en signe de protestation, mais me soumis à sa volonté. Je me forçai à lire un article concernant la dégradation des relations entre les Wallons et les Flamands.
Malgré le comique du sujet, je n’arrivais pas à lui consacrer mon attention.
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