Les légendes de la mort en Basse-Bretagne, d'Anatole Le Braz furent publiées en 1893. Désireux de fixer les croyances de la vieille Bretagne, encore si vivaces au début de ce siècle, l'auteur nous entraîne à travers le Goëlo, le Quimpérois et surtout le Trégor, en particulier dans les communes de Begard, de Penvénan et du Port-Blanc. "La Bretagne, dit-il, est pleine d' âmes errantes qui pleurent et guérissent". Les morts n'y sont point les habitants d'un autre monde: ils continuent leur route sans issue parmi les vivants, comme s'ils ne pouvaient se détacher de la terre. Aussi les personnages qu'Anatole Le Braz évoque ici, sont-ils familiers: les morts conservent les mêmes passions que les vivants: on dit par exemple que la veille de la Toussaint, ils vont coucher dans la maison où ils habitaient autrefois. Certains reviennent chez eux pour labourer leur terre, d'autres pour réclamer leur dû à quelque mauvais payeur, quelques-uns tout simplement pour fumer leur pipe!
Toutefois, si l'ancienne Bretagne a le sentiment d'une continuelle présence des morts parmi les vivants, elle ne parle jamais d'eux sans une expression de terreur. Les faits de la maladie, de la mort, ne sont point rattachés à des causes naturelles et physiques, mais à l'action personnelle de l' "ouvrier de la mort", l' "Ankou", qui frappe sans pitié avec sa faux et emporte ses victimes sur sa charrette. Il arrive qu'on le rencontre à la tombée du soir. Parfois c'est un homme décharné, très grand, et dont la figure est cachée par un feutre. Parfois, c'est un squelette drapé dans un linceul: il n'a pas de nez et ses yeux sont comme des chandelles. La Mort a ses auxiliaires: ce sont, en particulier, les "groat'ch", vieilles qui guettent, aux carrefours, le passant attardé. On redoute la mort, on redoute aussi l' âme en peine, l' "anaon", qui déambule dans les lieux où elle vécut et où elle est morte. A la Noël, à la Toussaint, mainte légende assure que le cortège des morts s'ébranle en silence dans la campagne. Sur mer, par les nuits de tempête, les noyés s'appellent entre eux et plus d'un s'attache à la coque des navires. Dans l' âme bretonne qui songe aux morts, la tendresse se mêle cependant à l'effroi et les vivants ont pour les défunts mille gentillesses: comme celle qui consiste, à la Saint-Jean, à allumer des feux pour que les morts puissent revenir s'y réchauffer. Une telle familiarité avec la mort entraîne naturellement une croyance aux sorts, aux malédictions, à la magie noire. Ainsi la légende bretonne fait-elle peu de cas de ce qui est proprement féérique. Elle est au contraire dominée par le souci de fixer l'homme à sa terre, à son village, aux siens. Toujours la légende des morts se déroule dans un cadre familier, celui du village ou de la maison. Et les acteurs sont ceux que tout le monde connaît, les proches parents et les amis du défunt. Sans doute aujourd'hui ces superstitions sont-elles disparues. La poésie des légendes n'en demeure pas moins et, grâce à cet ouvrage, le lecteur moderne peut, en particulier dans les "Cloarec", poèmes pleins de pittoresque et de violence, retrouver cette angoisse de la mort que la Bretagne connaît depuis plus d'un millénaire.
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