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La vraie école ( 8 )


                                                             Je vois la pluie tomber mais elle ne mouille pas mon visage et je ne cours pas m’abriter dans la grange où les hirondelles me font un ballet d’amour en bâtissant leurs nids. Les vitres sont tristes sous ces gouttelettes qui ne parviennent pas à passer et qui tombent de désespoir. Je m’y attendais, cela ne pouvait durer. Pourtant quand ma mère m’apprête pour ce premier rendez-vous, il y a de la curiosité. Le premier jour d’école de sa vie quand une mère, avec déjà quelques cheveux blancs , fait tout propre son enfant de la tête aux pieds, cela ressemble à une fête. N’est-ce pas pour une fête des souliers vernis qui brillent de lumière, une chemise aux couleurs éclatantes repassée dans les moindres détails, un pantalon à bretelles tyroliennes, les cheveux soigneusement peignés sans le moindre épi ? Prêt pour une danse de salon au chateau de Versailles ! Dieu que l’école demande de préparations ! Y aurait-il quelque princesse à laquelle il faut plaire ?
                                                              “L’école, c’est une fête me dit-elle, tu auras des camarades, tu joueras et tu apprendras à lire ” Je suspecte, sans en connaître la raison, que la madeleine enveloppée dans ce papier gris ne sera pas une récréation comme elle disait. Toute cette mise en scène me noue l’estomac. Je regrette déjà ma chaise à bébé, mes boules de toutes les couleurs, mon hibou qui ne viendrait plus, croyant que je l’ai abandonné et tomber dans la cave me parait moins pénible ! Mais c’est bien pire devant la grille. Il y a là plein d’enfants comme moi qui pleurent, les larmes passent par leurs nez et ils sont secoués de chagrin comme lorsque l’on a le hoquet.
                                                                Derrière les barreaux quatre gardiens en blouse grise, le sifflet à la bouche, réunis en cercle se déplacent d’avant en arrière, méticuleusement, les mains derrière le dos. Ils parlent de nous. Ils savent qu’on ne veut pas s’endormir le soir sans lumière ou qu’on ne veut pas manger quand on n’a pas faim ! Premières simagrées ridicules qui se transforment vite en bagarre quand un coup de sifflet retentit et que je me sens poussé à l’intérieur de la cour. Ma mère s’éclipse. Première grande sensation d’abandon. Et ce gros pantin qui me tire et à qui je flanque un coup de pied dans la jambe. Je reçois immédiatement une gifle et j’entends ” C’est le gamin du bois d’Emblise, c’est un fauve celui-là ! ” Quand la première ligne de tranchée, avec ses porte-manteaux alignés de bonnets et d’écharpes, derniers vestiges de l’amour maternel , est franchie, je connais de plus près celui qui m’avait traité de fauve.
                                                                 Cet homme est un maître d’école. Il va m’enseigner le savoir, l’amour de la connaissance, le plaisir de la liberté, l’égalité entre les êtres humains, la tolérance aussi. Il va le faire à coup de punitions continuelles à genoux devant le tableau, de fessées rituelles. Il m’appelle, je viens et c’est la fessée. Il est rancunier, je paie cher mon coup de pied, un an c’est long ! Comme une récompense pour lui d’avoir bien travaillé. Ca marche, j’apprends bien et vite. Il est comme tout les bourreaux, ceux qui marquent le plus. Je l’ai retrouvé trente ans plus tard derrière une table officielle de bureau de vote. Vieil homme pitoyable qui avait oublié que l’on vieillirait un jour et à qui j’ai glissé : ” Et oui, monsieur Dufauve, je vote , rappelez-vous !

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