Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

La mort de Thérèse

   

Thérèse, ma femme, a perdu la raison avant de mourir. Cela s'est fait lentement. Au début, elle s'obstinait sur des détails sans intérêt, je le lui disais, et nous finissions par nous disputer. Un jour cependant, à un carrefour, alors que nous nous apprêtions à traverser parce que les feux étaient passés au vert, elle m'a retenu  par le bras.

- Il y a quelque chose?

- Non. Mais où va-t-on?

- Voyons, Thérèse, ne me dis pas que tu as oublié. Nous allons chez le chausseur. En face.

Elle s'est accrochée plus fort à mon bras.

- Je veux rentrer.

Elle a répété: je veux rentrer, et j'ai vu son regard vaciller.

Depuis une zone d'ombre s'était installée entre nous. C'est ainsi que je définissais nos silences et nos regards qui se fuyaient. Je me disais: il faut que nous nous parlions sinon notre couple va se défaire rongé par notre peur de parler, et d'autant plus vite que nous avons peur de nous blesser.

Le comportement de Thérèse se modifiait. Ce n'était pas de la distraction, c'était plus que cela. Par exemple, elle qui était d'une minutie quasi rituelle elle mettait les couverts dans un ordre parfait mais elle oubliait de cuire le repas. Elle devenait imprévisible dans les actes les plus simples.

Un jour je suis rentré du bureau au début de l'après-midi, Thérèse était en pyjama, et elle s'est serrée contre moi.

- Fais-moi l'amour.

Jamais elle ne s'était conduite de cette manière. Elle dont il m'arrivait de regretter qu'elle soit si pudique  avait eu des gestes qui m'avaient surpris et exaltés tout à la fois. C'est elle qui nous avait conduits jusqu'à la jouissance.

Désormais je rentrais du bureau de plus en plus tôt pour des retrouvailles dont il faut bien reconnaitre qu'elles étaient d'abord sexuelles.

C'était une période étrange. Un jour j'ai acheté en même temps que mon quotidien une revue pornographique. Nous l'avons feuilletée côte à côte. Jamais je n'ai ressenti avec autant de vigueur à quel point Thérèse était à la fois ma femme et ma propriété, et ma maîtresse. A la pensée qu'elle pourrait accueillir un autre homme dans son lit, la rage me soulevait la poitrine. J'avais envie de la tuer.

La plupart du temps c'est elle qui décidait du jour et de l'heure où nous faisions l'amour. On eut dit tant elle y mettait d'invention, qu'à chaque fois elle se livrait à une expérience. J'avais le sentiment de devenir un objet sexuel qu'elle découvrait avec surprise.

- Thérèse, tu ne penses pas.…

Je ne savais pas comment le dire et elle, elle me regardait comme si j'étais un étranger qui s'efforçait de lui faire des propositions inconvenantes.

Un jour alors qu'à moitié nue elle m'avait poussé sur le lit mais qu'elle s'était refusée à moi au moment où je m'étendais sur elle, je me suis écartée en l'insultant.

- Tu agis comme une pute. Ou comme une folle, et moi, j'en ai assez.

Elle s'est mise à pleurer.

Je l'ai violée ce jour-là. C'est elle qui ne voulait plus que je m'écarte.

Je me répétais: elle est malade, elle est malade, il faut l'obliger à consulter un médecin. En même temps, je me demandais si c’était vraiment nécessaire.

Je me disais qu'un peu d'organisation, un peu de vigilance de ma part, l'amour que je luis portais, aboutiraient à rendre notre vie aussi naturelle que possible. Je me disais que chez de nombreux couples, ce qui me paraissait hors de la normalité convenue était le lot quotidien depuis toujours et n'étonnait personne.  

Une nouvelle vie s'offrait à nous. Je ne pouvais plus me passer de Thérèse. Il n'y a pas si longtemps, je me demandais si la routine n'était pas en train de ronger

notre   union. Je comprends aujourd’hui le sens de ces mots qui me faisaient sourire: je l'ai dans la peau.

Thérèse est morte sans s'en rendre compte. Elle a eu un léger soubresaut, puis elle s'est raidie. Durant des jours entiers, je ne suis pas sorti de chez moi. J'étais prostré et je pleurais. J'espérais que si je m'efforçais de pleurer et de rester sans bouger, moi aussi je deviendrais fou.

 

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

  • Ah!  ce que les hommes peuvent se montrer durs et impitoyables parfois.

    Rien à faire, nous vivrons toujours sur deux planètes opposées.

     Et pourtant, beaucoup d'amour pourrait certainement panser tant de souffrances. Mais il est souvent trop tard lorsque l'on s'en rend compte. Quel dommage et pauvre Thérèse, incomprise comme trop de femmes.

    Bonne soirée.

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles