En 1992, pour le journal ou j'occupais le poste de correspondant de presse,, j'avais « osé » le titrer du nom du ministre en poste à l'époque des faits, suivi de.... Père et fils, import / export.. Le père (ministre dans les années 60) ayant « importé » des enfants noirs de l'île de la Réunion et le fils 30 après proposant l'inverse pour je ne sais plus quelle fumeuse raison. Bref mon titre n'a pas plu, et mon papier est passé aux oubliettes. Le voici, 26 ans après sa rédaction par votre serviteur.
Ces témoignages recueillis sur les lieux d'un tournage en Creuse, et cette page de notre histoire ont fait l'objet de plusieurs films à la télévision.
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L’île Creuse.
Jeu de mots sur le titre – Travelling arrière sur l’île de la Réunion, et travelling avant sur la Creuse, département français, qui est devenu un jour d’août 1965, leur nouveau pays.
Au départ de « l’aventure » je dirais plutôt « enlèvement », un problème démographique existait en l’île de la Réunion jugée surpeuplée, et le département de la Creuse, où, peut-être s’amorçait déjà une fuite de la population cherchant vers d’autres cieux l’illusion d’un avenir meilleur. La solution était d’une simplicité élémentaire (sur les papiers, pas dans les cœurs.) il suffisait d’accréditer la thèse des vases communicants.
Seulement voilà, en 1965, l'homme, les politiques, n’ont pas joué avec des chiffres ou des haricots, mais avec des enfants qui avaient les yeux grands ouverts pour voir s’éloigner la terre de leur enfance. Des mômes avec un cœur qui battait la chamade dont une moitié déchirée voulait rester avec les frères, les sœurs et les parents, sur l’île…. leur île ; et l’autre moitié qui voulait espérer que cette France, cette Creuse, dont on leur avait tant et tant parlé en leur faisant miroiter la magnificence, leur apporte les cent pour cent de bonheur auquel ils avaient droit, c'était promis, juré.
Ces enfants, petits et ados, étaient classés, pour certains « enfants à problèmes » car venant souvent de la DDASS. Comment, par cette appellation arbitraire, a t-on pu sans aucune déontologie mais en alignant une colonne de chiffre, décider pour autrui ce qui serait le bien et le mal ?
En un peu moins de cinq ans, deux cent jeunes Réunionnais et Réunionnaises (1600 en 1981) vont être transférés, déracinés de leurs attaches familiales pour satisfaire une idéologie au-dessus de tout soupçon, puisque soi-disant bénéfique à ces jeunes, « malades » de la déstabilisation du monde des adultes vivant dans l’île de la Réunion.
Stop ! Le bateau aborde le quai bétonné d’un port français - Plus loin, la gare, on embarque rapidement car en France on essaie de respecter les horaires. Le train roule maintenant entraînant Alain dans le staccato…staccato lancinant des rails sur les traverses. Alain qui nous parle maintenant et qui vingt cinq après (en 1992) ne comprend toujours pas… !
Alain : « C’était dur au début, très dur. Monsieur H…, chez qui j’avais été placé, était gentil. C’est vrai que j’avais une famille mais ce n’était pas la mienne ; c’est vrai que le ciel était toujours au-dessus de ma tête mais le bleu était différent ; et puis, en Creuse, en comparaison de mon Île, bonjour le froid ! J’avais l’impression d’avoir été abandonné par la terre entière. Au pays, le père et la mère entourés de la grand-mère, des frères et sœurs, continuaient de vivre, et moi j’étais seul. Bien certes, mais seul…avec ma peau noire. Ce que je ne savais pas, c’est que mes frères et sœurs seraient déracinés à leur tour. »
Vingt cinq après (en 1992) Alain est creusois et fier de l’être, mais une partie de son cœur est malgré tout restée dans son île, celle qui l’a vu naître. Il ne comprend toujours pas qui a pu signer en bas d’une page officielle la décision de placement dans une famille française, à des milliers de kilomètres de là ! Ce n’est ni son père, ni sa mère et encore moins sa grand-mère, alors qui ? Aujourd’hui il n’en veut à personne mais il aimerait bien comprendre et pouvoir expliquer à ses enfants qui sont nés sur la terre de France, en Creuse, qu’un jour pour « son bien » l’homme cultivé ou se réclamant comme tel, l’a arraché à ses racines, sans autre forme de procès.
A notre table, il y avait aussi Jean-Pierre, qui lui, constate les méfaits de cette décision moyenâgeuse.
Jean-Pierre : « Que reste t-il aujourd’hui des quelque deux cents Réunionnais arrivés en France entre 1965 et 1969 ? Beaucoup sont repartis au pays après quelques années, d’autres se sont suicidés parce qu’ils n’ont pas eu la possibilité de s’adapter à leur nouvelle vie. Je connais même des filles qui ont terminé sur les trottoirs de Pigalle, et, si dix pour cent d’entre-nous ont réussi à se faire une situation honorable et à s’intégrer complètement à notre nouvelle île, la Creuse, c’est bien le maximum ! Mais ici aujourd’hui on y est bien, on fait partie des meubles. Nous sommes Creusois car nous sommes restés dans ce pays qui nous a accueilli. Il n’en reste pas moins que quatre vingt dix pour cent d’échec c’est énorme, mais c’était prévisible, trop de différences nous séparaient…
Alain, Jean-Pierre et d’autres nous ont parlé, ou simplement souri, parfois prononçant des phrases simples, courtes, mais empreintes de nostalgie et de…prudence. Et pour cause, moi le petit «écrivain», je suis blanc, Français, né en France, et peut-être que je ne fais qu’écouter sans chercher à comprendre. Peut-être que je suis raciste et que je ne vais pas les défendre dans mon « papier » en écrivant l’erreur impardonnable commise à leur encontre. Peut-être que je ne vois pas au fond de leurs yeux ce que le cœur me crie ? Peut-être que les mômes qui chahutent autour de nous, nous sont indifférents parce que nous n'avons pas la même couleur de peau ? Et peut-être aussi, qu’après tout, nous sommes là pour faire un film, écrire sur journal, et qu'on s'en fout !
Et bien non ! Depuis quelques années ce scandale à été filmé plusieurs fois, et aujourd’hui Alain, Jean-Pierre et les autres vont pouvoir le lire. Il reste de cette pitoyable histoire, qu'en cette fin de vingtième siècle, quelques hommes ont décidé du destin de leurs semblables sans chercher à introduire les mots: amour, fierté, honneur et racines dans leur démarche. Ceci a inévitablement conduit ce projet à un échec total, sauf pour les quelques exceptions qui sont restées et qui aujourd’hui sont profondément attachées à la Creuse.
Lise Deramont a réalisé un film en 1992 sur ce sujet, son titre à lui seul suffit à la fin de cet article…IMAGINE, ON A SURVECU.
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