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L’enfant de papier JGobert

Une jeunesse que l’on dit insouciante se termine et une vie d’adulte commence, brillante, scintillante comme un tourbillon de lumière et s’enchaine dans une course folle. Des nouvelles expériences que l’on veut comme une rivière pétillante, étincelante. Une existence qui se dessine et s’installe heureuse. Des choix à faire, un logement, une voiture neuve, les premières vacances qui donnent une couleur inédite à cette vie fraichement découverte.

Le bonheur tant attendu, recherché, n’est pas loin, à portée de main.  Toutes les illusions et les rêves de l’enfance s’installent dans un monde d’adultes, de préjugés, de folie. Les songes se matérialisent en partie, s’accomplissent avec le sentiment qu’il échoit. La route s’ouvre sur l’inconnu raffiné, sophistiqué. Mais ce temps d’émoi, à l’éclat lumineux sonne, annonce déjà des jours sans lendemain.

Les premières désillusions s’installent dans cette vie que l’on veut parfaite. Les premiers pleurs amers font terriblement mal et s’inscrivent comme des blessures ineffaçables. La vie rappelle ce qu’elle a de difficile.  Les noceurs se réveillent fêtards déboussolés dans un monde inconnu.

Au fil du temps, la vie quotidienne revient et reprend sa place sur l’esplanade bancale. Celle que l’on veut construire a des difficultés à tenir debout. Les fondations vacilles,  les sentiments sont moins solides, convaincants et redeviennent instables, voir incertains.  L’histoire n’a pas réellement changé si ce n’est l’endroit. Elle titube, chancelle. Les contraintes sont différentes mais se ressemblent. Rien d’important n’a bouleversé l’existence, la vie. D’instinct, tout est de nouveau pareil. Une déconvenue en entraine une autre et le destin fragile fait comprendre que la vie s’enchaine de durs combats.

Un matin, Rose aperçoit l’enfant de papier blotti dans un coin. En quelques heures, celui-ci prend une énorme place dans sa vie. Il l’accompagne et ne la quitte plus. Ils font tendrement connaissance. Il l’apprivoise, la rassure avec douceur. Il lui raconte la vie sous un angle qu’elle ne connait pas encore et l’ensorcelle de rêves, de pensées qui lui plaisent. L’espérance se joint à eux, exquise, enchantée.

La solitude de Rose qui transparait diaphane, s’apaise et laisse place à des projets à long terme.  L’enfant de papier est son bel avenir. Pelotonnée contre sa tendresse, il la réchauffe et lui rend la vie supportable.  Le sentiment d’abandon a disparu et sa présence la bouleverse, la remplit de joie. A lui seul,  il englobe subitement tous ses désirs, toutes ses ambitions, tous ses appétits. Il l’ouvre à la vie comme par miracle.

Dans cette société, à cet instant, l’enfant de papier n’est pas le bienvenu. Le déroulement des choses a un ordre établi, bien précis. Il n’y a pas de place pour l’enfant de papier dans la vie de Rose.  Rose sent l’angoisse l’envahir et déjà elle entrevoit les jours tristes qui  s’annoncent. Sourde à certains propos, elle refuse d’écouter les discours qui ne la concernent pas. On lui demande un renoncement inhumain. Elle est constamment rattrapée par ces mots et elle arrive à peine à résister. L’enfant de papier doit partir. Cette décision lui arrache le cœur et la blesse. Elle est en souffrance. Elle résiste encore un peu et enfin, malgré ses pleurs, son chagrin, sa solitude, elle sait qu’il va partir.

Les heures ultimes en sa compagnie sont cruelles, un jour sans lumière. Il se prépare sachant qu’il va l’abandonner, la quitter comme s’ils ne s’étaient pas connus, comme s’il n’était pas venu.  Il connait trop son chagrin. Chagrin qu’il ressent lui aussi intensément. Il l’emportera avec lui.

L’enfant de papier prend une autre route, un autre chemin. Une destinée que personne ne connait. Il n’est pas triste mais il laisse Rose désenchantée par son départ. Tous leurs projets communs se sont évanouis et disparaissent l’un après l’autre.  Les dernières minutes les hantent et passent moroses au triste son de la vieille horloge. Le désespoir envahit Rose.

Depuis le départ de l’enfant de papier, Rose se résigne, maussade, chagrine. Il lui manque. Les jours de grande tristesse, elle pense à lui comme à un être d’exception.  Sa mémoire l’enferme dans cette pensée, l’apaise parfois. Le souvenir de l’enfant de papier reste blotti en elle.

Le temps est passé, a coulé comme une rivière qui, à chaque évènement, a gonflé son lit et a fini par se vider et se calmer. Les vieilles mains translucides de Rose ne tremblent pas et se joignent comme dans une prière. La douceur s’est toujours rependue autour d’elle prenant soin de ne rien déchirer, de ne rien froisser. Une étrange délicatesse qu’elle a posée sur son cœur blessé, sur ce souvenir si personnel, sur cette croix de papier qui lui remplit les yeux de larmes et que ses doigts décharnés n’arrêtent pas d’essuyer, de sécher depuis ce temps maudit où l’enfant de papier a disparu.



 

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Commentaires

  • Merci Betina pour votre commentaire. Oui, l'enfant de papier peut dormir en nous de nombreuses années avant de partir. Mais il est nous et nous comble parfois de bonheur ou de tristesse. L'enfant de papier est un rêve inaccessible et c'est pour cela qu'il est si beau.  Et surtout si précieux.

    Excellente soirée

    Josette

  • Bonjour Josette,

    Merci de nous gâter avec un si joli texte et si bien mené. Et  si l'enfant de papier n'était que l'enfant qui sommeille en nous,  nous accompagne et parfois veut faire sa vie tout seul  et reste ainsi sur l'étagère de l'oubli et, à ce moment précis notre vie devient insipide. Mais l'enfant de  papier peut être aussi le moteur qui accélère la vie et la rend plus gaie mais il ya aura toujours un départ vers l'inconnu au final. Merci de me faire rêver.

    Betina 

  • Bonjour Rolande,


    J’aime beaucoup tes commentaires qui me facilitent la vie. Tu comprends beaucoup de choses même à mi mots et c’est très agréable de savoir que ce petit texte te plait. L’actualité n’est pas au beau fixe et elle nous laisse craindre de vilaines choses en Belgique également. Toujours l’incompréhension, le manque de dialogue entre les hommes qui mènent à l’obscurantisme et qui répandent des larmes. Mais le temps est venu de réagir et de savoir séparer les idées reçues bonnes ou mauvaises.


    Excellente journée


    Je t’embrasse Josette

  • Bonjour Béatrice.

    Chacun est libre de donner un sens à l’enfant de papier, un livre de papier pour un écrivain qui n’y est peut-être pas arrivé à l’écrire ou pour un autre qui fut un échec ou même un drame.


    Ensuite comme Rolande sait si bien en parler, une femme en mal d’enfant qui n’a pas pris le temps au bon moment ou qui n’a pas pu enfanter. Ou encore une femme qui a perdu cet enfant avant qu’il ne vienne au monde et qui ne l’a jamais oublié. Ou une femme qui n’a pas le choix de le garder. Le débat est vaste.


    C’est selon celui qui lit et selon sa sensibilité. Ce qui est certain, l’enfant de papier est fragile comme un rêve, comme une bulle de savon qu’il ne faut pas toucher.


    Merci Béatrice pour ton commentaire et ton intérêt.


    Amicalement


    Josette

  • Cet enfant de papier qui est-il ? Un simple rêve de femme qui n'a pas eu d'enfants ? Alors qu'elle aurait pu et n'a pas saisi l'instant favorable ?

    J'imagine une jeune femme trop gâtée qui ne songeant qu'à elle, voulait profiter de tous les plaisirs passant à sa portée et se réveillant trop tard, ne pouvait bercer contre elle qu'un enfant de papier ?

    Terrible douleur que la sienne. Focalisation inutile alors que tant d'enfants, réels ceux-là, ne demandaient qu'un peu d'amour, qu'un peu de bien-être. Un seul geste de sa part pour sortir de son féroce égoïsme et un enfant d'amour aurait fait son bonheur.

    Beaucoup de femmes trouvent celui-ci en se consacrant à autrui. Mais toute une éducation les avait formées dans ce sens où l'honneur et la satisfaction du travail accompli n'était pas de vains mots.En était-il de même dans les 30 glorieuses ? Le réveil est rude et que ferons-nous face à l'indifférence où le mot "dévouement" est devenu ringard ???

    Je suis distraite en écrivant ces lignes car mon mari regarde les nouvelles qui sont loin, très loin, d'être réjouissantes. Nous espérons néanmoins toujours ne pas en voir "une troisième" ...

    Il nous faudra beaucoup de courage, d'union, de dévouement etc. .... pour affronter des situations inhabituelles.

    En espérant que le sursaut sera courageux sans se laisser aller à de terribles dérives. Evidemment, le réveil sera dur.

    Bon courage. Il en faudra. Je sais, hélas, ce qu'il en est d'avoir été agressée au milieu d'une indifférence quasi générale, sauf de très rares exceptions.

    Veuillez m'excuser pour ces considérations alarmistes mais ce que je viens d'apprendre ne porte pas à l'optimisme. Car, hélas, ce sont toujours aux plus faibles que l'on s'attaque.

    Mille pensées positives envers et contre tout mais c'est parfois difficile.

    Chère Josette, je t'embrasse et mille amitiés.

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