"L'art d'oublier le déplaisir" est un essai de l'écrivain anglais John Cowper Powys (1872-1963), publié aux Etats-Unis en 1928. Pour donner toute son importance à ce petit "pamphlet", il faut y voir l'expression d'un point particulier de la philosophie du bonheur par la communion de l' individu avec l' univers élémental dont Powys se fera l'avocat dans ses essais plus largement orchestrés: "L'apologie de la sensualité", "Pour une philosophie de la solitude" et "L'art du bonheur".
Le chapitre-clé de ce petit livre s'intitule, par référence au titre général, "N'est-ce pas le secret de l'art de vivre?" Pour Powys, la vie telle que nous la vivons n'est qu'une série d'états subjectifs. D'autre part, l' univers est moitié horreur et souffrances, moitié beauté et sécurité. En conséquence, "si nous nous mettions à pénétrer dans la vision subjective de ceux qui souffrent, la vie ne manquerait pas de devenir intolérable". Ceux qui sont assez malheureux pour n'oublier rien ni jamais, sont les fous. Il faut vivre avec l' oubli, il faut oublier pour vivre. Pour évoquer l' oubli, Powys a recours aux très belles images de la mythologie grecque: le Léthé est le grand fleuve de l' oubli.
Oublier quoi? Presque tout, dit Powys. Surtout oublier la peur. Powys ne parle jamais d' angoisse -mais il est tellement plus vrai de dire que nous avons tous peur, dans nos plexus, dans nos yeux, dans notre comportement. La peur aveugle et amorphe, non pas de quelque chose de précis, mais, plus profondément, de la peur elle-même. La Peur, c'est la possibilité métaphysique de n'importe quelle horreur, exactement identique, selon Powys, à la possibilité de n'importe quelle vision béatifique. La peur est "l' émotion dominante et ultime de tous les coeurs humains". Pour oublier la peur, nous avons deux armes. D'abord l' amour. "Derrière notre folle envie de "faire l' amour", comme le dit pathétiquement notre langage commun, est tapi l'aveugle désir intuitif d'oublier les chiens de la peur, les Euménides à nos talons -de nous perdre dans l' identité d'un autre." Il y a dans la formidable énergie du sexe quelque chose qui se lève comme "un indomptable titan prêt à rendre coup pour coup aux noires terreurs dont nous sommes entourés". Seule, mais seconde et mineure, face à la puissance du sexe dans l'élimination de la peur par l'oubli, est "la monotonie mesurée du travail". Carlyle le neurasthénique, Zola le laborieux, Flaubert l'irrascible "intimident le monde en écrivant". C'est pourquoi la vraie voie est un retour: vers la charrue métaphorique, vers notre passé préhistorique, vers la solution homérique des "voyageurs de la mer". Et puis, il y a le sommeil. Prospero dut être trahi dix fois avant d'apprendre que la "petite vie" que concevait sa sagesse n'était ceinte que du "sommeil béni" dont rêvait Sancho Pança.
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