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L' amour et l' occident

12272733272?profile=original"L'amour et l'occident" est un essai de Denis de Rougemont (Suisse, 1906-1985), publié à Paris chez Plon en 1939.

 

Lu et commenté par des générations d'étudiants, discuté souvent avec passion, parfois critiqué âprement dans certaines de ses conclusions, mais toujours fertile de questionnements, l'Amour et l'Occident s'est imposé dès sa publication comme un maître ouvrage de la pensée humaniste européenne, alors que le règne de barbarie s'étendait au même moment sur presque tout le continent. On ne saurait en effet séparer l'engagement personnaliste et fédéraliste, auquel est resté fidèle jusqu'à sa mort Denis de Rougemont, de cette tentative subtile et perspicace d'explicitation - à partir du mythe de Tristan - d'une conception de l'amour-passion propre à la civilisation occidentale et dont les métamorphoses au cours des siècles n'ont pas fini de produire leurs effets.

 

Le livre premier expose "le contenu caché de la légende ou du mythe de Tristan": l'amour-passion s'y oppose tant au mariage qu'à la satisfaction amoureuse - de même que la chevalerie courtoise brave la société féodale - et magnifie "l'amour de l'amour" et "l'amour de la mort". Pour Denis de Rougemont, en effet, "la passion et le besoin sont des aspects de notre mode occidental de connaissance": s'ils ne sauraient se passer de la souffrance, c'est qu'ils participent d'un désir de pureté et de rachat, et rejoignent de ce fait une quête mystique.

 

Le livre II remonte jusqu'aux "origines religieuses du mythe" pour avancer comme thèse minimale que "le lyrisme courtois fut au moins inspiré par l'atmosphère religieuse du catharisme" et considérer que l'amour-passion, tel que le glorifie le XIIe siècle, fut "une RELIGION dans toute la force de ce terme", et spécialement "UNE HÉRÉSIE CHRÉTIENNE HISTORIQUEMENT DÉTERMINÉE".

Dans le livre III se voient étudiées les relations complexes entre "passion et mysticisme" au cours desquelles l'hérésie des "parfaits", d'abord vulgarisée par la métaphorisation poétique et rendue profane par le passage d'Éros à Vénus, se trouve réinvestie par la mystique chrétienne qui l'utilise comme habit "pour en revêtir l'Agapê".

 

Le livre IV étudie, à travers la littérature occidentale, "l'histoire de la déchéance du mythe courtois dans la vie "profanée"", dont le "désir romantique", en son conflit avec le "désir bourgeois", marque une étape primordiale, cependant que "Wagner vient restituer le sens perdu de la légende" et, ainsi, "l'achever".

Le livre V se penche sur "le parallélisme des formes" entre l'amour et la guerre, de même qu'entre la passion et la politique, dont la rupture au XXe siècle libère "le "contenu" mortel du mythe" et semble ne trouver comme réponse à l'instinct de mort que l'État totalitaire.

 

Le livre VI analyse "la crise moderne du mariage" comme résultante de la dégradation du mythe de Tristan. Son horizon mystique s'étant perdu depuis longtemps, la passion n'a plus pour fin une quelconque transcendance: "au lieu de mener à la mort, elle se dénoue en infidélité" et aboutit à un appauvrissement de l'être "qui ne sait plus posséder, ni plus aimer ce qu'il a dans le réel".

Soulignant la nécessité d'un parti pris, Denis de Rougemont propose alors, dans le livre VII, le choix d'Agapê contre celui d'Éros: il engage à un mariage conçu comme "décision", fidélité qui "fonde la personne", "engagement pris pour ce monde", et non pour un autre fantasmatique.

 

Révisé avec soin en 1954 de manière à préciser et à nuancer un propos qui, certes, pouvait souvent apparaître provocateur, l'Amour et l'Occident ne manqua pas de susciter dès sa parution de nombreuses critiques, tant de la part des théologiens que des historiens. Les premiers lui reprochèrent une séparation trop tranchée entre un Éros qui "veut l'union, c'est-à-dire la fusion essentielle de l'individu dans le dieu" et qui, ainsi, glorifie et idéalise l'instinct de mort, et une Agapê [plaisir] qui, refusant de chercher "l'union qui s'opérerait au-delà de la vie", est "l'origine d'une vie nouvelle, dont l'acte créateur s'appelle la communion", et le ciment, la fidélité.

 

Les historiens, quant à eux, contestèrent vivement la collusion entre troubadours et cathares qui est le pivot de la démonstration de Denis de Rougemont, mais ne paraît s'appuyer sur aucun document décisif. "Il faut dire plus, l'idéal courtois s'oppose intrinsèquement à la théologie dualiste des néomanichéens: quoi de commun entre leur idéal ascétique, leur condamnation radicale de la matière, de la chair, et nos troubadours éperdus d'enthousiasme devant la beauté physique de la femme, médiatrice d'absolu?", écrit ainsi Henri-Irénée Marrou dans les Troubadours. Au-delà, c'est la conjonction non seulement du manichéisme et de la courtoisie occitane mais aussi des légendes celtiques de la "matière de Bretagne", voire de la mystique arabe, en une "fureur dialectique", qui se voit mise en question par le même auteur, lequel regrette profondément l'abus "d'une assimilation entre l'amour courtois des troubadours et une définition de la "passion" issue tout entière à travers le Tristan de Wagner [...]".

 

Quelles que puissent être l'influence sur Denis de Rougemont d'une érudition germanique nourrie tout autant de Novalis et de Nietzsche, et la valeur de rapprochements qui tendent à démontrer que "l'esprit catastrophique de l'Occident n'est pas chrétien" et que "la passion serait la tentation orientale de l'Occident", on ne saurait ignorer la perspicacité de l'auteur à chercher dans une ébauche d'histoire des mentalités les origines d'une crise de la culture européenne. Du tragique de celle-ci, de la remise en question qu'elle induit de l'optimisme béat du rationalisme et du positivisme, bien d'autres auteurs discourront par la suite, après la catastrophe que fort peu ont vu se profiler. L'auteur de l'Amour et l'Occident écrit, lui, face au danger - dont il saisit toute l'ampleur -, dénonce tout autant l'État totalitaire communiste que la religiosité nazie et avance, face aux forces obscures, le sens d'un engagement.

 

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