Il s'agit d'une oeuvre d'Emmanuel Kant (1724-1804), publiée en 1793. Elle se propose de distinguer, à l'intérieur de la religion, les éléments d'une foi morale purement rationnelle, qui en constitue le sens, des éléments révélés, cultuels, et de montrer la nature des rapports qui les lient. Après avoir défini la nature morale de l'homme comme ce fond subjectif, originel, impénétrable, préexistant aux actions individuelles, mais non déterminé par des causes physiques, en vertu duquel l'homme se fixe une règle fondamentale de conduite, Kant découvre en elle une disposition au bien, qui trouve son expression la plus parfaite dans l'adoption de la loi morale comme critère absolu, mais aussi un penchant au mal, qui consiste non pas dans les inclinations sensibles, en elles-mêmes innocentes, mais dans la tendance à établir entre le mobile sensible et le mobile moral un rapport inverse à celui de l'ordre éthique, en subordonnant le second au premier. L'origine de ce mal est incompréhensible, puisqu'on ne saurait l'attribuer, ni à l'hérédité des premiers ancêtres, ni à aucune autre cause temporelle, mais seulement à notre liberté même, sans laquelle il ne saurait nous être reproché. Non moins incompréhensible est la possibilité de rétablir en nous la disposition au bien, qu'il nous faut admettre, puisque la loi morale nous en donne l'ordre impératif. Nous ne pouvons l'atteindre que par nous-mêmes, en vertu d'une révolution intérieure, véritable renaissance, où l'homme est soutenu par le sentiment de la noblesse de sa destination morale. Seules les religions impures font dépendre la conversion et le redressement progressif de la conduite qui en résulte, d'un Dieu dispensateur de "faveurs"; la religion morale au contraire pose l'effort personnel comme condition première d'une aide d'en haut, la grâce, nécessaire à suppléer à la faiblesse de l'homme. Dans la vie sensible, comme l'homme ne peut que se rapprocher graduellement de l'idéal du bien sans jamais l'atteindre, la lutte entre le principe du mal et celui du bien ne cesse jamais. Elle est représentée dans l'Ecriture comme l'histoire d'une lutte entre deux principes extérieurs à l'homme. La théocratie judaïque ne connut que des lois du culte et des moeurs sans rapport avec l' intériorité de l'intention morale; mais avec l'apparition de Jésus-Christ, le principe du bien s'incarne parfaitement en un homme réel, modèle de tous les autres. Ainsi Kant découvre au Nouveau Testament un sens qui s'accorde avec la religion morale enseignée par la raison. L'acquisition du bien suprême, fin morale ultime, suppose la constitution d'une société éthique "fondée par et pour les lois de la vertu", qui s'étendrait progressivement à tout le genre humain. Dieu seul peut être le législateur d'une telle communauté, étant donné qu'en elle tous les devoirs fondés sur le commandement de la raison doivent pouvoir être représentés comme les commandements de Celui qui scrute les coeurs et connaît les intentions cachées. Une telle union morale des justes en une Eglise invisible ne peut se traduire en pratique que sous forme d'une Eglise visible, que l'homme doit soutenir par son activité. Mais, étant donné la faiblesse de la nature humaine, on tend dans celle-ci à concevoir la religion comme un culte et non comme un accomplissement de devoirs moraux, e qui nécessite l'introduction de statuts qui présupposent une révélation et s'appuient sur la tradition et sur un livre déclaré sacré. Mais l'observance des statuts ne devrait pas être considérée comme une condition indispensable au salut, puisque tous les hommes ne peuvent les connaître, ni comme une fin en soi. La fin morale suprême implique donc la foi en un Dieu seigneur moral du monde, législateur sacré, conservateur bienveillant et administrateur, juge équitable, sur l'essence duquel nous ne pouvons avoir toutefois aucune lumière théorique. Ce "mystère", auquel l'homme ne peut accéder que sous forme d' "idée pratique", est devenu le fondement moral de la religion, lorsqu'on commença à l'enseigner publiquement au moyen de formules solennelles, comme symbole d'une nouvelle ère religieuse. Reconnaissant dans le Christianisme tant les éléments de la religion naturelle que ceux de la religion cultuelle (ou "savante"), Kant met en lumière les premiers par une analyse des enseignements moraux de l'Evangile, qui prêchent tous la pureté de l' intention plutôt que l'observance du culte ou le simple accomplissement de gestes extérieurs. Quant aux articles de foi révélée, ils présupposent la connaissance de faits historiques et de miracles, elle de textes sacrés dans la langue originale, c'est-à-dire toute une érudition (science des Ecritures); aussi ne saurait-on en faire dépendre le salut de l'humanité: les ignorants ne peuvent l'accepter qu'avec une foi servile. Une Eglise où domine le culte, quelle que soit la forme de son organisation (hiérarchique comme dans l' Eglise catholique ou démocratique comme dans l' Eglise protestante), est nécessairement un régime sacerdotal despotique qui "confisque à la multitude sa liberté morale". Pour qu'il en soit autrement, l'enseignement de la doctrine de la vertu doit, dans une Eglise, précéder celui de la doctrine de la piété. En effet, l'idée de vertu existe en soi, puisqu'elle est gravée dans les coeurs, et l'homme s'élève jusqu'à l'idée de la divinité, législatrice de la vertu, en prenant conscience de celle-ci et de la dignité humaine. Avec cette philosophie de la religion, Kant dépasse nettement les positions des philosophes de son temps: en effet il découvre dans la raison la source d'une "foi pratique", capable d'explorer, par delà le domaine étroit de la connaissance intellectuelle, le monde supra-sensible.
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