J'aime les images photographiques, cinématographiques, fixes ou mobiles. J'ai tant vu mon père, quand j'étais gamin, quand j'étais ado, maniant sa caméra "8 normal" (et le "Super 8", ensuite).
J'en garde un appétit visuel assez considérable.
L'appareil photo, qui me suit, par monts et par vaux, en est témoin.
Et j'aime emporter, chez moi, sur mon PC ou dans mes albums traditionnels, des ambiances de quais de gare, des champs de blé qui s'étendent à perte de vue, des fleurs de toutes les couleurs, des ponts, des canaux, des gens que je croise ...
On n'arrête pas la liste.
Quand le hasard (qui n'existe pas) me (re)met face aux gens, que j'ai capturé, figé, immobilisé, le temps d'une photo, et dont le retour en images me séduit, je me fais une joie de leur dire ... que j'ai une trace d'eux chez moi et que je suis prêt à leur en faire cadeau, s'ils le souhaitent.
Pas mal d'entre eux sont contents.
Merci, merci, la vie !
Par contre ...
Un certain nombre de gens, parmi ceux que je (re)croise, marquent ou manifestent leur désapprobation. Faut le savoir dès le départ : tout le monde n'aime pas être pris en photo.
Y a quelques mois, je me trouvais sur un quai de la gare des Guillemins, à Liège.
Emporté par un élan photographique tourbillonnaire, lié à l'atmosphère locale, je saisis mon appareil, j'appuie sur la touche "clip", je capture en images : un train qui s'arrête, les escalators, le toit hypermoderne, des gens qui descendent, des gens qui montent, des gens qui marchent, des gens qui s'arrêtent, un voyageur (que j'aperçois de dos) qui
s'éloigne ...
Une voix m'interpelle soudain. "Vous ne m'avez pas pris en photo, au moins ?". Je repère une jeune ado qui, en r'pérant mon viseur, a baissé brutal'ment la tête.
Ca arrive, oui.
Tout comme ...
La tenancière d'un cabaret où je chantais régulièr'ment, qui ne voyait pas d'un bon oeil l'idée d'être prise en photo et d'être exposée sur INternet.
Alors que ...
La démarche, qui était la mienne, de la montrer sur Internet me paraissait cohérente.
"Mais enfin", lui dis-je, "c'est un lieu public, ici"
"Non", m'a-t-elle répondu, "ici c'est chez moi"
Evidemment, on se frotte à tous les points de vue.
Une dernière anecdote qui me revient ...
Y a une semaine ou deux.
J'effectuais ma tournée de facteur. Je retombe sur une pote, qui, en son temps, habitait dans une rue où je travaillais (et où je travaille encore).
Quelques mois auparavant, avec elle, j'avais partagé, un soir, un très chouette moment avec elle autour d'une table, à une terrasse bien sympa.
J'avais pris des photos, ce soir-là.
J'avais appuyé, à un moment donné, sur l'objectif, sur la copine.
Quand j'avais revu les photos, par la suite, j'en avais été enchanté. Oui oui. La copine ressortait particulièr'ment bien, à mon sens, sur les photos.
Donc : c'est avec le plus grand des enthousiasmes que je lui en ai parlé.
Et ... le retour ne s'est pas fait attendre de sa part.
"Je ne suis pas d'accord avec toi ... je trouve que c'est un manque de respect ... mon image, ça fait partie de ma personne privée ... c'est important de demander l'autorisation à la personne ... on ne sait pas où les photos s'ren vont ..."
Bon bon bon.
Même si ça m'en coûte, sur le moment ...
Je garde, évidemment, quand je réexamine ces propos avec quelques jours de décalage, un profond respect, une profonde reconnaissance envers ces personnes qui me disent clair'ment ce qu'elles ont à me dire, sans détour, sans chichis, sans non-dits, et surtout ... sans me tirer dans l'dos.
Ceci dit, quand je me (re)positionne ...
Ces propos me dépassent quand même un peu, encore toujours.
Je n'ai pas de difficultés avec mon image (que du contraire, hélas ou heureus'ment). Forcément, j'ai du mal à imaginer les souffrances, les difficultés que d'autres éprouvent à ce sujet.
Je me demande souvent si on rend réell'ment service aux gens qui ont du mal avec leur image ... en s'abstenant de les photographier, de les filmer.
Que des gens aient du mal avec leur physionomie, OK.
Mais à partir du moment où moi, le spectateur, qui les aperçoit, qui les trouve beaux, attrayants, photographiqu'ment intéressants, qui sait qu'on voit parfois mieux les choses ... de l'extérieur, dois-je me renier pour eux ? Dois-je cautionner leurs complexes, leur manque de confiance en eux, leur égocentrisme (légitime, à leur échelle) ... et en payer les pots cassés ?
D'accord, je pourrais leur demander leur avis.
Mais là aussi, je marque des nuances.
Quand je connais les gens, dans leurs sensibilités, leurs limites, je peux toujours en tenir compte et m'arranger en connaissance de cause.
Mais quand je me trouve dans une ambiance de fête, de bal, de kermesse, de foire aux artisans, où y a du monde à n'en plus finir, et que plus d'un visage attire, excite mon objectif, je me vois mal, toutes les cinq minutes, aller interpeler la personne (qui me donne envie de la photographier) en lui d'mandant : "Madame, je peux bien vous prendre en photo ?". C'est pas que je rechigne à la tâche, mais, dans certains contextes, la tâche me paraît difficile, fatigante, épuisante et peu réaliste. Même si, dans l'absolu, cette solution serait adéquate, adaptée, je me doute que ... si je l'appliquais au pied de la lettre, je pass'rais les trois quarts de mon temps à demander des permissions, à balancer mes élans créatifs dans ma poche et je ne ferais plus de photos.
Maint'nant, la résistance que j'affiche est peut-être d'un autre ordre.
"j'aime pas qu'on me prenne en photo ... ça fait partie de ma vie privée ... faut demander l'autorisation à la personne"
Je prends note de ces trois demandes ... que je comprends, et qui me font mal, quelque part.
"Ca fait partie de ma vie privée", par exemple.
Mmm. J'ai du mal à entendre parler de "vie privée", non pas pour le sens profond que ça recèle, mais, sans doute, pour les résonnances que ça éveille en moi. Suffit, peut-être, que je creuse dans ma p'tite enfance. J'ai si souvent vu, dans le village où on avait notre maison de campagne, des touristes venus de la grande ville fermer leur porte, leurs grillages à double tour, avec un chien "méchant" pour garde du corps, et l'inscription "propriété privée", pour couronner le tout. J'aimais pas ça, quand j'avais huit, neuf ans. Malgré le temps qui passe (je deviens quinquagénaire dans treize mois), y a toujours un gosse, en moi, qui s'accroche et digère mal certaines images. Quand, aujourd'hui, des gens de mon âge, quand d'autres gens qui portaient encore des courtes culottes quand j'atteignais déjà l'âge civil de la majorité ... insistent, le plus sérieus'ment du monde, avec la mention 'vie privée", j'ai toujours envie de leur dire : "allez vous moucher !", "arrêtez de vous la petter !" ou "le cirque, c'est dans les académies que ça s'apprend et que ça se dév'loppe"
"Faut demander l'autorisation de la personne"
Celle-là aussi, je la retiens. D'accord, en tant qu'adulte, je la comprends, je la respecte. Mais dans les tripes, un scénario différent se noue aussi, chez moi. J'ai le sentiment bête de rev'nir au temps de l'école, quand on devait lever son doigt pour obtenir une faveur. Non, c'est p'têt pas ça. C'est vrai, c'est important de coinsulter la personne. Mon coeur le comprend. C'est une autre douleur qui me revient : l'idée d'être dépendant, de mettre mon coeur à nu, de m'exposer, de me sentir fragile devant la décision de quelqu'un, qui a le droit de me dire oui ou non, qui (quelque part) a droit de vie et de mort sur moi ...
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