Surprises
— Attends, Delphine, jetermine... Voilà. Bébé trente avait réussi à sedébarrasser de ses électrodes. Pour une préma de cet âge-là,elle est d'une vivacité surprenante.
Delphine poussa un long soupir,mais elle s'interrompit lorsqu'elle vit le visage fermé de lapédiatre.
— Je t'appelais pourNoémie. Elle a régurgité le lait de sa maman. Ce ne serait pasgrave si elle était plus âgée, mais là... nous avons à faireface à un autre problème.
Cécile désigna l'emplacementoù Noémie dormait. Delphine était passée devant sans y prêterattention, croyant que c'était bébé trente l'objet de sespréoccupations. Elle se tourna et sentit sa gorge se serrer. Noémieavait été placée en couveuse stérile.
— Elle estimmunodéficiente.
D'instinct, Delphine jeta unœil sur la température de Noémie.
— Merde !
— Tu peux le dire.J'attends les résultats de la prise de sang. Ça va être une coursecontre la montre.
L'infirmière comprit tout desuite qu'elle passerait le reste de la nuit à monter et descendreles étages.
— Je dois réveiller lamaman ? On a besoin de nourrir Noémie.
— Non, j'ai desréserves. Tu vas les lui donner.
— Mais...
— J'ai besoin de toiici, Delphine. Maintenant.
— D'accord.
Delphine récupéra dans letiroir isotherme le colostrum de maman Noémie. Il en restaitlargement assez. Elle plaça à nouveau la sonde et entreprit denourrir Noémie avec délicatesse.
Sa maman était arrivée denulle part : aucun dossier n'était ouvert pour elle àl'hôpital, la majeure partie de sa grossesse s'était déroulée àl'étranger. C'est d'ailleurs pour cette raison que personne n'avaitappelé son bébé par son nom. Bien entendu l'hôpital avait fait lenécessaire lors de son arrivée pour connaître d'elle ce qui étaitutile à l'accouchement. Mais ces informations ne remplaçaient pasle dossier établi au sujet de l'enfant tout au long de la grossesse.Et de ce côté-là, visiblement, les informations étaientlacunaires.
Avec pour résultat que latempérature de Noémie frisait les 39 degrés, et que seule la prisede sang pouvait peut-être en donner l'explication.
Si Noémie acceptait de senourrir du colostrum de sa maman, elle bénéficierait de sesanticorps, qui constituaient sa meilleure arme du moment.
— Elle doit absolumentse nourrir, soupira Delphine.
— Ce ne sera passuffisant. Dès que j'aurai les résultats j'espère pouvoir attaqueraux antibios.
Delphine ne releva pas. Ellesavait bien que les antibiotiques ne pouvaient aider Noémie que dansun nombre limité de cas. Mais le personnel soignant s'interdisaitd'exprimer la moindre pensée pessimiste, surtout en néonatologie.
***
Delphine n'aimait pas du tout la pensée qui venait de lui traverser la tête : au moins Noémie tientMarc à distance.
Comment osait-elle s'autoriser de tels arrangements avec sa conscience ?
Ça ne tourne vraiment pas rond.
Elle releva la tête.
— Nous y sommes. Elle atout avalé.
— Bon, dit la pédiatre.Tu réveilles sa maman si elle monte à quarante, ou si ellerégurgite. Je file au labo.
L'infirmière s'étonna :
— Ils ne peuvent pas tetéléphoner pour ça ? Ou t'apporter les résultats ?
Le médecin répondit d'un tonexaspéré :
— Tu vois les résultatsquelque part ? Tu as entendu le téléphone sonner ?
Delphine ne dit rien. Ellesavait que dans la majorité des cas, le laboratoire faisait vite,mais à tout moment le service des urgences pouvait le solliciter,retardant inévitablement les informations que Cécile attendait.
Et le cas de Noémie étaitvraiment préoccupant.
En vérifiant la couche de lapetite fille – rien à signaler, dommage – Delphine pensa à lamaman de Noémie. Dormait-elle, ou bien n'osait-elle pas fermerl'œil ? Peut-être savait-elle quelque chose ? Un incidentdurant sa grossesse avait-il permis de découvrir un souciparticulier pour son enfant ?
Cécile était un excellentmédecin, mais comme pour nombre d'entre eux, la science avaittoujours la priorité pour aider son combat. Ici, peut-être quemaman Noémie détenait une information qui pourrait écartersa fille du danger qui la menaçait.
Elle saisit le combinétéléphonique et appela le camp de base. C'est Bertrand quirépondit.
— Cécile t'akidnappée ? Elle te garde en néonat toute la nuit ?
— Pas vraiment, non.Elle est partie au labo pour mettre la pression. On a un problèmeavec Noémie, elle a un gros défaut d'immunité, Cécile l'a placéeen couveuse stérile. Il faut réveiller sa maman et lui demander sielle a une quelconque idée...
— Attends, tu veux qu'onréveille la maman pour quoi exactement ? On a son dossier,Cécile peut le consulter depuis la néonat, je ne vois paspourquoi...
— On n'a pu établir quele strict minimum, tu le sais bien.
Elle entendit une voix derrièrecelle de Bertrand.
— Delphine, si tapatiente a quelque chose à dire, on le lui demandera après que laprise de sang ait livré ses infos. Entretemps tu laisses Cécilegérer ça. Et si tu peux rappliquer, ce sera encore mieux.
— Je suis seule ennéonat, Bertrand. Je ne peux quitter ni Noémie ni les autres bébésavant le retour de Cécile.
— Mouais... si tu resteslà-haut, au moins ça t'évitera d'écouter tes messages vocaux surnotre ordi.
Delphine sursauta. Elle avaitoublié de fermer son accès à la messagerie vocale.
— À propos, tu n'asaucun nouveau message. Mais ce n'est pas pour rafraîchir ta page quetu dois rappliquer...
— J'arrive...
— ...c'est parce qu'il ya du boulot ici.
— ...dès que Cécileest là.
— À la bonne heure.
Elle raccrocha. Le téléphonesonna immédiatement.
Le labo.
— Delphine ?Cécile. J'ai les résultats. Je te donne la liste de ce qu'il fautadministrer à Noémie et j'arrive. Démarre, on va devoir segrouiller.
— Je note.
De mauvais frissons vinrentparcourir les bras de Delphine au fur et à mesure qu'elle écrivait.
A la fin de la dictée, elle neput s'empêcher de laisser planer un regard incrédule en directionde la petite couveuse où Noémie tentait de digérer le colostrum desa maman.
Mon Dieu. Cécile veut qu'on tire sur tout ce qui bouge.
***
Cécile apparaissait derrièrela vitre au moment même où Delphine achevait de « charger »la perfusion de Noémie.
— Quelle est satempérature ?
— Stationnaire,s'entendit dire l'infirmière.
Cécile attendit quelquessecondes avant de dire :
— Tu es sûre ?
L'infirmière leva le nez. Latempérature était montée à quarante degrés.
— Merde...
— Delphine, depuiscombien de temps n'as-tu pas regardé l'écran ?
— Depuis le moment oùtu m'as appelée.
— Alors tu vas réveillersa maman. Tout de suite.
Delphine ne voulut même passavoir s'il y avait un quelconque reproche dans le ton utilisé parla pédiatre. Elle sortit immédiatement du service et se rua dans lecouloir.
Elle était sûre d'avoirregardé la température de Noémie juste au moment de luiadministrer les premiers antibiotiques. Cinq minutes s'étaientécoulées, tout au plus.
Elle est passée de 39°4 à 40° en très peu de temps. Pourvu que lesantibios agissent vite.
Elle s'engouffra dansl'ascenseur, et regretta immédiatement son choix : la moindreimmobilité faisait revenir Marc au-devant de la scène.
Pourquoi reviens-tu continuellement ? Tu ne peux pas me laissertranquille ? S'il te plait... j'ai une maman à réveiller, etelle sera « grave inquiète », alors, zut, finis taroute, où qu'elle te mène, mais ne reviens plus.
Elle fit basculer ses penséesvers la maman de Noémie. Il fallait la réveiller, l'informer del'état de sa fille, la rassurer, sans véritable espoir. Elle pritson élan lorsque la porte de l'ascenseur s'ouvrit, et entra encollision avec Henri.
— Où vas-tu ?dit-il.
— Chez maman Noémie.Sa fille...
— Inutile. Je sors de sachambre.
— ...a quarante defièvre, et... tu as dit quoi ?
— J'ai dit que j'ensortais. J'étais près de Bertrand quand tu l'as appelé. Je suisallé trouver ma patiente, qui ne dormait pas, et j'en ai profitépour lui poser quelques questions tout en l'examinant.
Bravo. Et elle ne s'est inquiétée de rien. Et maintenant, à peine troisminutes plus tard, je vais devoir la prévenir de toute façon. Je megarde le mauvais rôle. Super.
— Et ?
— Et rien. Noémie estle produit d'une FIV1pratiquée au Brésil avec un donneur anonyme. Elle a fait un bébétoute seule, entourée de médecins. Rien à signaler tout au long dela grossesse. Elle voyage beaucoup. Elle a eu ses premièrescontractions dans l'avion, on l'a prise en charge dèsl'atterrissage.
— Elle venait duBrésil ?
— Du Maroc. Elle a de lafamille à Rabat.
— Et elle va bien ?
— Pas de température,pas de fatigue excessive, rien qui témoigne d'une quelconqueinfection.
Delphine réfléchit à toutevitesse. Une grossesse sans histoire. Il ne restait que deuxexplications. Soit la déficience de Noémie était d'originegénétique – mais a priori les hôpitaux brésiliens avaient bonneréputation : elle aurait été mise au courant durant sagrossesse – soit Noémie se battait contre un agresseur que samaman avait repoussé sans même s'en rendre compte, depuis quelquesheures seulement.
— Je dois lui parlermaintenant, dit Delphine. Que me conseilles-tu ?
— À toi de voir. Elleest en état de rejoindre sa fille, à condition qu'elle ne quittepas son fauteuil.
— Ce n'était pas maquestion, Henri.
Elle savait pertinemment queles médecins n'avaient pas pour habitude d'interférer avec letravail des infirmières. Il n'allait pas l'aider à « annoncerla chose » à maman Noémie.
— Si tu veux savoir ceque je lui dirais...
Delphine se vexa :
— Laisse, je vais lefaire.
— ...c'est bon, j'y vaisavec toi.
Il tourna les talons et sedirigea vers la chambre. Elle écarquilla les yeux.
Un revers lifté. J'en avais bien besoin. Merci.
— Henri ?
— Oui ?
— Pourquoi fais-tucela ? Tu n'as pas à te préoccuper de Noémie, ni de lamanière dont je dois mettre sa maman au parfum.
— Cela ne t'empêche pasde me demander mon avis.
Touchée.
Delphine trottait derrièreHenri, qui avançait à grands pas. Elle insista :
— Pourquoi, Henri ?
— Parce que je suisinquiet.
— On le serait à moins.Tu devrais voir quel cocktail je lui ai mis dans sa perfusion.
Elle baissa le ton : ilsétaient arrivés.
— Non, Delphine. C'estpour toi que je suis inquiet.
Et il ouvrit la porte de lachambre.
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1Fécondation In Vitro
Commentaires
j'attends donc la suite...
VIVEMENT DEMAIN, trop intéressant!!et en plus, je suis née et ai vécu de nombreuses années à RABAT, vous me poursuivez..en tout cas, super et merci..amicalement, dominique JOUX