Cette journée avait pourtant commencé comme toutes les autres.
Chez Fernand.
Monsieur, Madame, l'un aux fourneaux -ou à la cuve, l'autre au comptoir.
Tôt le matin, arrivage des sacs de pommes de terre - fraîches. Passage des légumes dans la machine à débiter les frites.
Préparation des fricadelles. Filtrage des huiles usées. L'huile de cuisson est toujours fraîche et propre, Fernand y met son point d'honneur.
Midi, deux heures, et puis l'après-midi, au mois de mai.
Car à Bruxelles, il n'y a pas d'heure pour manger des frites. Ou des caricoles.
Madame Fernand, rêve. Elle regarde dehors. Puis s'immobilise.
Comme c'est étrange! Dehors, comme ici, voilà que se répand, en volutes de plus en plus épaisses, une fumée sur la ville.
Noire.
Et l'odeur! une odeur qui brûle, grésille, carbonise, consume, réduit en cendres!
Madame Fernand fixe le vent d'un regard de plus en plus halluciné, des voisins, des commerçants, tout le monde dans la rue court, parle, s'exclame, s'interpelle.
Bruxelles, un après-midi de mai 1967.
Une rumeur gronde, s'amplifie, se déchaîne, s'enchaîne.
Un bruit de mort et de sirènes.
Eclatement.
Le grand magasin "A l'Innovation", rue Neuve, est en feu.
Depuis les mannequins, dans les vitrines, jusqu'aux infimes fleurs et feuillages de chêne, sous les combles.
"A l'Innovation", brasier de l'espérance.
"A l'Innovation", bûcher de mon enfance.
Et pourtant, même cette journée-là, avait commencé comme toutes les autres.
(c) Pivoine Blanche,
Hurtebise, le 17.06.2006.
***
1902 : construction des nouveaux magasins « A l'Innovation », rue Neuve, sur les plans de Victor Horta.
22 mai 1967 : Incendie de «l'Innovation», rue Neuve ; 253 morts ou disparus dont 67 membres du personnel.
Commentaires