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HISTOIRE COURTE 5.

LA MANUCURE;

 

La petite fille avait appris à se faire oublier pour mériter un sourire et la considération des adultes.

Ses vacances, elle les passait en compagnie de son parrain et sa marraine; déjà dans la maturité, ils n'avaient pas eu l'enfant désiré et projettaient sur elle une affection réelle quoiqu'un peu rigide...

La première fois que le regard de la fillette fut vraiment attiré par des mains, elle devait avoir 7 ou 8 ans. Assise sur le long tabouret du piano, elle regardait sa tante faire des gammes, puis choisir une mélodie et se mettre à chanter.

Elle observait donc ces mains si soignées dont les ongles courts mais rouges attiraient l'oeil plus encore que le solitaire ou le rubis. Des mains précieuses qui caressaient les touches d'ivoire avec une telle désinvolture! Silencieuse et admirative la fillette était médusée.

La voix de mezzo caressait son oreille, mais se sont surtout ses yeux qui se régalaient.

C'est assez pour aujourd'hui s'interrompit la pianiste qui ajouta :-Nous allons bientôt déjeuner et cette après-midi, avant mon rendez-vous chez le professeur de chant, nous irons nous promener au Tuileries; tu prendras un livre, la leçon n'est pas longue, j'espère que tu ne t'ennuieras pas trop! Justement, j'entends ton oncle rentrer...

Un index caressa la joue de l'enfant qui couru accueillir l'arrivant à la porte de l'appartement. Il rentrait comme souvent, chargé de livres qu'il lui destinait.

Quelques vacances plus tard, ayant frappé à la porte de la chambre, Julie surprit sa tante à sa coiffeuse. Il y avait une odeur un peu forte.

-Cela sent bizarre, dit-elle.

-C'est l'acétone, lui fut-il répliqué, mon verni était écaillé.

Julie fixait fascinée les limes en carton souple, les petits instruments aux manches d'ivoire, les minuscules flacons avec les vernis incolores et aussi de différents rouges, et puis les crèmes dans les pots givrés...

-Je deviens maladroite soupira sa marraine. C'est cette arthrite que j'ai hérité de ton grand-père! C'est bien la seule chose qu'il m'ait donnée, il aurait pu garder le cadeau! Regarde, mes doigts se déforment, bientôt j'aurai beau les soigner mes mains ne seront plus jolies...

-Si tu m'expliques, puis-je essayer de te mettre du verni? Je ferai très attention, s'il te plait ma petite tante... interrogea la fillette.

Et c'est ainsi, qu'à chaque vacances, Julie retrouva un emploi de manucure attitrée et bientôt très habile...

C'est vrai que petit à petit les jolies mains se sont déformées, c'est même la raison pour laquelle un jour le piano à queue fut vendu. Le grand châle des Indes qui le recouvrait et que l'enfant adorait disparut aussi. la vieille amie et merveilleuse professeure de chant avait été emportée par la maladie...

Les promenades au Tuileries se sont allongées, mais Julie avait gardé le regret de ses visites où dans un coin, elle se faisait toute petite en observant l'ardeur des jeunes femmes qui venaient pleine d'humilité chez la vieille dame pour y receuillir de précieux conseils...

C'est toujours avec la même complicité qu'elle demandait :-Une manucure aujourd'hui, ma petite tante? -Mais oui, et toi aussi chérie...

Et c'est ainsi que Julie prit l'habitude de se soigner les mains...

On peut donc dire que son premier travail entre 9 et 18 ans, ce fut la manucure...

 

Puis la vie a passé, Julie a aimé, a souffert, s'est mariée, elle a eu des enfants et pratiqué d'autres métiers, mais elle a toujours soigné ses mains.

-Tes très jolies mains disait sa tante.

Parfois, elle songeait qu'un jour peut-être elles se déformeraient aussi.

Et puis un soir, alors qu'elle rendait visite à la vieille dame et lui demandait comme à l'accoutumée:-Tu veux une manucure? La réponse fusa :-Tu sais une fois par semaine à l'institut cela suffit maintenant, j'ai renoncé au verni rouge, l'incolore s'écaille moins vite et c'est plus discret à mon âge, ne trouves-tu pas?

 

Les années ont passés. La petite tante devenue une très vieille dame prit la décision de choisir une maison de retraite dans son pays d'origine, près de sa famille.

Julie, ravie prit donc la douce habitude de passer l'embrasser souvent. Elle la trouvait toujours pleine d'entrain, parlant du dernier livre lu, du dernier spectacle qu'elle avait vu à la T.L. ou entendu à la radio. Elle ironisait pleine d'humour sur le feuilleton de la politique. Elle encourageait la jeune femme à s'ouvrir encore d'avantage au monde et aux arts.

Ses visites semblaient à Julie toujours courtes et elle en sortait pleine d'énergie et le coeur léger.

 

L'année suivante, une fin de matinée, elle trouva la vieille dame couchée et pâle-C'est toujours mon sang, trop épais- maugréa-t-elle.

Qurelques semaines plus tard, elle ne se levait plus mais son regard restait vif et son intérêt pour les choses intact. Julie un peu inconsciente ne s'inquiéta donc pas trop.

-Le médecin m'a conseillé de rentrer en clinique pour des examens, expliqua-t-elle un jour. Il faut faire quelque chose, je ne puis rester ainsi couchée... Tu veux bien venir demain m'aider à faire une petite valise?

-Bien sûr que Julie viendrait!

-Demain matin si tu veux, ensuite je te conduirai lui répondit-elle

-Non ma chérie, le docteur a prévu une ambulance pour 2H. Tu viendras me voir là-bas le soir si c'est possible?

 

Le lendemain, la petite valise étant rapidement bouclée, la vieille dame dit soudain à Julie : Tu sais ce qui me ferait vraiment plaisir?  Une manucure...

 

Mais bien sûr, j'aurais du la proposer!... Et, elle retrouva les gestes, lima les ongles, caressa les mains avec les crèmes, puis posa le verni incolore.

-Elles sont douces et magnifiques tes mains malgré leurs déformations dit Julie.

-Profite de la crème pour enlever les bagues lui fut-il répondu. A l'hôpital ce n'est pas prudent. et porte les ma chérie, tu me les rendras si je reviens, elles sont pour toi de toute façon, je garde juste l'alliance. A ce soir...

Le soir en arrivant, Julie une fois encore remarqua d'abord les mains. Posées à plat sur le drap si blanc, elles étaient un peu jaunes, comme en cire... et reprirent vie au son de sa voix-Tu es un peu pâle, tout va bien demanda-t-elle?

-Ils m'ont fait mal, lui fut-il répondu sobrement. Reste un peu chérie, cela ira mieux demain...

Julie avait les pieds lourds pour quitter l'hôpital. Lorsqu'elle s'y décida, elle embrassa les mains et les caressa avec douceur, elles étaient froides, pourtant il faisait chaud dans la chambre par cette belle soirée de mai-Dors bien, je viendrai demain soir-Tu sais chérie, l'infirmière m'a dit que j'avais de jolies mains, tu as bien travaillé lui sourit sa tante.

 

Au milieu de cette même nuit, lorsque Julie fut appelée, les mains taient devenues de glace et ses pleurs ne les ont pas réchauffées...

J.G.

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Commentaires

  • Merci de songer à nos nuits....et au temps qui passe avec une douceur infinie...
  • Une histoire de tous les jours, une belle rencontre de générations,  écrite avec beaucoup d' humanité... Merci Jacqueline de ce partage !

    Amicalement, Nicole 

  • Une histoire pleine d'humanité. Ainsi va la vie : les mains se déforment puis se glacent. Et même l'amour ne peut les protéger.
  • sans faire de "redondance" toujours une belle émotion dans tes textes !!! que je lis toujours avec plaisir.

    andré

  • Merci à Arlette et à Eve pour vos commentaires, je suis très heureuse si ces histoires courtes que je prends beaucoup de plaisir à écrire peuvent vous toucher et vous plaire

    Merci à vous.

    Jacqueline

  • Une belle histoire touchante et une grande tendresse ressentie sobrement. Souvent un détail chez un enfant reste gravé toute une vie

    Merci Jacqueline pour cette aventure pleine de charme de la vie qui va

    Arlette

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