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HISTOIRE COURTE 4.

LE CANARD DE FLORENCE.

 

C'est son bleu intense avec une touche de vert évoquant l'océan ou la Chine.

C'est la fierté de son col, l'élégance de sa pose figée. C'est aussi la lumineuse brillance de son fini qui l'ont fait s'arrêter fascinée devant l'étalage d'une des nombreuses boutiques qui bordent les quais de l'Arno avec le ponte Vecchio en perspective.

Qu'il est beau ce canard, quelle couleur, qu'elle allure! Il me le faut pensa-t-elle.

De retour à l'hôtel, Julie allongée sur son lit, épuisée par la chaleur et par la fatigue des visites en cascade de cette journée, rêve au canard bleu dans une demi torpeur.

Encore quelques minutes, je prends ma douche et j'y retourne! Il doit être fragile, il faudra un emballage adéquat. Je le garderai à portée de main dans la voiture, il faut éviter l'encombrement du coffre.

Fraîche, pimpante même, le chignon lisse comme sa peau, le regard clair, le décolleté plongeant, Julie est prête. La jupe large met en valeur la finesse de sa taille et celle de ses jambes bronzées à point et perchées sur des talons déraisonnables dans les ruelles italiennes aux revêtements chaotiques! Qu'importe, il faut qu'elle soit belle! Elle sourit ironique, il faut être à la hauteur du canard bleu...

La porte en s'ouvrant réveille un carillon cristallin. Bonjiorno Signora?

-Parlez-vous le français?

-Mais bien sûr, avec joie.

-Je viens pour le canard bleu, porcelaine ou faïence? Quel est son prix? Pouvez-vous l'emballer pour un long voyage? Il ne faudrait surtout pas qu'il s'abîme.

Volubille, elle est si pressée de tenir le canard dans ses mains que sa peau rosit d'excitation contenue.

Italien jusqu'au bout de ses chaussures, le regard scrutateur et amusé, l'homme sort avec précaution le canard de l'étalage. Il l'attrape du bout des doigts, le fait tourner de gauche à droite...

-Beau, en effet, fragile pas vraiment, mais bien entendu à ne pas laisser tomber! Je peux vous l'emballer très protégé pour demain. Vous revenez le chercher ou voulez-vous que je le dépose à votre hôtel, enchaina-t-il?

-Si ce n'est pas abuser, je préfère la seconde solution, cela me rendrait service.

-Demain 19H après la fermeture du magasin.

La jeune femme griffona l'adresse de l'hôtel sur une carte de visite : Julie Bodricourt, murmura l'homme.

-Marco Pupati lu-t-elle sur le reçu.

 

La journée du lendemain démarra pour Julie au levé du soleil. Sienne et San Geminiano étaient au programme de son dernier jour en Toscane et les lanternes du bord du fleuve étaient allumées quand elle rejoignit son hôtel.

Dans son costume de lin froissé, Marco sirotait un coctail dans le salon baroque.

-Il est plus de 8H, je suis désolée, je pensais que vous laisseriez le paquet à la réception, s'excusa Julie.

-Un canard pour vous si précieux, vous n'y pensez pas, sourit Marco. Le bar est très agréable et le cocktail délicieux, puis-je vous en offrir un?

-Pourquoi pas, dit Julie, qui prit avec délice possession d'un fauteuil confortable. Tous les commerçants sont-ils aussi serviables et charmants à Florence, enchaina-t-elle

-Toutes les femmes sont-elles aussi spontanées et jolies en France? Répliquât Marco.

Aux pieds de Marco, confortable dans son emballage ondulé, le canard bleu s'était mis à rêver...

Depuis qu'il était sorti de la fournaise où il s'était parachevé, il n'avait pas ressenti une telle chaleur ambiante... Moins agréable fut son séjour à la consigne de l'hôtel, mais le lendemain matin, c'est avec tellement de soin qu'il fut callé par deux sacs Vuitton au pied du siège passager, juste à côté des jolies jambes bronzées, malheureusement dissimulées sous un jeans.

Tiens, mais n'est-ce pas Marco qui met la grande valise dans le coffre? Si, et c'est bien son sourire qui se penche et rejoint celui de Julie.

-Faites un bon voyage, soyez prudente, pensez au canard bleu...

 

Celui-ci supporta les 500 km jusqu'à Cannes, jalonnés de plus de 100 tunnels, sans problème.

Julie conduisait vite et bien et arriva à l'appartement au milieu de l'après-midi. Elle aurait sa soirée pour peaufiner les croquis qu'elle présenterait le lendemain pour le nouvel aménagement de l'hôtel dont la décoration lui avait été confiée.

Architecte d'intérieur, la jeune femme désorientait souvent ses clients dans un premier temps, tellement ses idées étaient peu conventionnelles!

Le meilleur exemple était son appartement. Séduite par sa situation au milieu de la Croisette, au quatrième étage avec vue sur mer; il était petit et l'immeuble datait des années 5O; un living en triangle, une cuisine couloir, une salle de bain à l'ancienne, mais une jolie chambre carrée de bonnes dimensions avec une porte fenêtre donnant sur le balcon longeant la façade côté rue de la Tour-Maubourg, et pour couronner le tout, une entrée défigurée par une colonne servant de pieux pour l'immeuble et revêtue d'un affreux crépi!

Il y a du boulot avait pensé la jeune femme en le visitant la première fois!

Ce côté biscornu lui permit toutefois d'acquérir le bien qui mieux conçu eut été impayable.

Et puis, l'imagination de Julie avait fonctionné.

Le pieux de l'entrée, blanchi à l'ancienne, servait maintenant de support à une toile moderne dont la luminosité était encore accentuée par des spots bien dirigés. Le tableau pourtant non figuratif, évoquait comme malgré lui un immense bouquet de fleurs.

Face à la porte d'entrée, la chambre, juste derrière la colonne. Elle a volontairement égaré sa porte et côté rue trône une marine au bleu dominant où tranche un voilier blanc surréaliste. Un des murs aveugles est couvert de miroirs à l'ancienne montés sur portes coulissantes dissimulant un grand placard et reflètant en vis-à-vis la bibliothèque patinée blanche et la table ronde au pied central en fer forgé et au plateau de verre translucide avec ses 4 chaises Louis XV recouvertes de soie bleue. Et puis de côté, le drapé des tentures de gros coton blanc rattrapées par des noeuds de taffetas bleu eux aussi; ils encadrent la porte fenêtre donnant sur le balcon où une chaise longue en osier dirigée vers la mer invite au farniente!

A droite, un mini couloir mène à la porte du living elle aussi recouverte d'un miroir dépoli.

Celle-ci poussée, la surprise : Le salon est aussi la chambre et il est dominé par un très grand sommier carré disposé au fond de la pièce mais face à la vue...

Il est recouvert d'un tissu de coton gris souris de texture artisanale qui tranche sur le sol de marbre blanc et il disparait de moitié sous une multitude de coussins de toutes les formes et de toute la gamme des rouges, réalisés dans des matières précieuses, soie sauvage, taffetas, velours, lin brodé.

Quoi d'autre? Un grand écran plasma, quelques fauteuils anciens, confortables et d'un blanc immaculé dont les assises sont protégées par quelques peaux de moutons, blanches elles aussi. Un cabinet Chinois en laque rouge et une sculpture de femme drapée dans un voile léger qui regarde la mer par la fenêtre... Une série de petits tableaux qui sont tous des marines de différentes époques, regroupés dans des cadres identiques et placés au dessus de ce que l'on est tenté d'appeler : le divan à vivre!

Le coton blanc devant la fenêtre face à la mer est contenu dans un noeud de taffetas rouge grenade et met en scène la vue exceptionnelle. C'est à la fois simple, dépouillé, chaleureux et sophistiqué. En un mot, Julie s'y sent chez elle! La salle de bain, toute blanche, s'est vue privée de sa baignoire qui fut remplacée par une douche et un jacuzzi position assise, face à celui-ci on peut contempler une autre peinture moderne aux couleurs acidulées qui furent reprises par Julie pour le choix des serviettes de bain. Un grand miroir et une luminosité électrique à la fois naturelle et éclatante participent au bien-être que suscitent les lieux.

 

Mais revenons au canard bleu...

Toujours dans son emballage protecteur, posé à la hâte sur la table, il se morfond en contemplant son reflet cartonné dans le miroir de la salle à manger. Qu'est-ce que Julie attend pour le dégarer, s'est-elle déjà désintéressée de son acquisition florentine?

Il va falloir de la patience au canard! Mais quelques jours plus tard, Julie dépose devant la porte-fenêtre du balcon, une colonne corinthienne de bois grisâtre blanchie par endroit.

Alors avec satisfaction, elle dégage le canard bleu de ses entraves, le regarde avec admiration et le pose avec précaution sur le socle de la colonne tourné vers la bibliothèque. Son regard s'allume :

-Parfait, ainsi il est parfait, murmure-t-elle.

Le sourire aux lèvres Julie prend son portable et forme un numéro :

-Marco? Bonsoir... Moi aussi... Je voulais vous dire, le canard bleu, il est magnifique! C'est un souvenir au présent... Merci.

J.G.

 

 

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Commentaires

  • la beauté d'un moment, lorsque l'imagination d'un artiste s'emballe face à un objet qui peut paraître anondin pour beaucoup....

    Riches nous sommes de pouvoir nous envoler et de vivre milles contes a volonté

    Bella la vita !

    Olé~

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