Germaine Krull est née de parents allemands à Poznan le 29 novembre 1897, une ville polonaise qui fait partie du royaume de Prusse depuis le Congrès de Vienne, au hasard d’un déplacement de son père, un ingénieur qui va ensuite rejoindre son poste en Bosnie où elle passera une partie de sa petite enfance. La famille s’installe ensuite dans la campagne romaine puis à Paris où sa mère tient une table d’hôtes « assez élégante. Il y a des attachés de consulats et quelques hommes de lettres, des étudiantes en musique. » Son père refuse qu’elle aille à l’école et engage une préceptrice. Ensuite ce sera la Slovénie, puis la Bavière, le père est très mauvais gestionnaire et dilapide l’argent de son épouse.
En 1912 ses parents se séparent et sa mère gère une pension de famille à Bad Aibling. Germaine a 16 ans, une instruction très lacunaire et est très indépendante car ses parents s’occupent très peu d’elle, elle se laisse séduire par un pensionnaire, une aventure sans lendemain qui se termine lorsqu’elle est enceinte, qu’elle avorte et que son amant la quitte. Nouvelle liaison malheureuse, nouveau chagrin, sa mère l’envoie chez une connaissance en Italie où la guerre va la surprendre, mineure, sans passeport, mais elle parvient à rejoindre son amant à Berlin où leur liaison se renoue de plus belle. À nouveau enceinte elle subit un deuxième avortement et rentre à Munich où sa mère a dû déménager car la guerre à vidé sa pension de famille. Germaine Krull voudrait s’inscrire à l’université, faire des études sérieuses, mais sans diplôme ni aucun certificat d’études c’est impossible, elle a trop de lacunes que pour réussir le moindre examen d’admission. C’est finalement la Lehr-und Versuchsanstalt für Photographie Chemiegraphie, Lichtdruck und Gravüre (Centre d’enseignement et d’expérimentation en photographie, chimigraphie, phototypie et gravure) qui l’accepte vers 1916. Elle n’a aucune attirance particulière pour la photo : elle détestait aider son père lorsqu’il en faisait et qu’elle devait travailler avec lui dans sa chambre noire, mais à l’école ce sera une révélation. Elle en sortira diplômée en 1918. La même année, le Traité de Versailles réinstaure l’indépendance de la Pologne et elle acquière donc la nationalité polonaise. L’ école a été fondée en 1900, ouverte aux filles en 1905 et est relativement conservatrice, de grands noms de la photographie en sortiront, comme František Drtikol ou Lotte Jacobi. Frank Eugene y enseigne, le pictorialisme y règne en maître et les photographes Hugo Erfurth et Heinrich Kühn y sont cités en exemples. Elle est dans la classe du professeur Spörl pour qui la personne représentée n’est qu’un moyen pour atteindre un but : la représentation artistique. Elle adore l’école qui est une expérience absolument nouvelle, les travaux pratiques, son professeur, la découverte de la ville avec pour la première fois des amies de son âge.
Elle fréquente la bohème munichoise et s’engage en politique. Elle a son premier contact avec le bouddhisme « ... cette philosophie [qui] est la mienne depuis. La réincarnation ; les fautes que vous faites, vous les expiez ; la conscience de la vie qui tourne et qui revient... ». C’est là qu’elle découvre l’art moderne, qu’elle forme son goût sous l’influence d’un ami peintre plus âgé qu’elle. Elle obtient son diplôme et installe un atelier avec l’aide financière de son ami et de sa mère, qui gagne sa vie en faisant du marché noir, elle y fait du portrait et des nus, surtout de dos pour pouvoir les vendre, encore sous l’influence pictorialiste de l’école, mais avec beaucoup de plaisir. « On rigolait beaucoup » se souvient-elle. Mais la politique, les grèves, l’opposition à la guerre et à l’empereur sont ses principales préoccupations, même si ses idées ne sont pas encore très claires. Pour trouver des clients elle écrit aux artistes et comédiens de théâtre en proposant de faire leur portrait. Le studio devient rapidement rentable et elle se rapproche du centre en s’installant à Schwabing, le quartier bohème autour de l’Université et de l’Académie des Arts. Elle publie à compte d’auteur un premier livre de photos de nu, Der Akt (Le nu), très artisanal et tiré à seulement 50 exemplaires. Elle assiste à des meetings de Kurt Eisner et en fait le portrait. Son atelier est devenu un lieu de rencontre pour de nombreux jeunes intellectuels et ouvriers révolutionnaires. C’est là qu’elle fera la connaissance des étudiants Max Horkheimer et Friedrich Pollock qui seront quelques années plus tard parmi les fondateurs de l’École de Francfort ainsi que de Rainer Maria Rilke et Stefan Zweig. A la chute de l’éphémère République de Bavière, Germaine Krull prend la fuite vers l’Autriche avec Tobias Axelrod, un révolutionnaire russe détaché auprès des Conseils ouvriers. Ils sont arrêtés, emprisonnés à Innsbrück puis ramenés en Bavière. Avec l’aide de Horkheimer elle est libérée et se cache dans une maison de santé sous prétexte de dépression nerveuse.
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Mila a été brisé par sa détention mais Germaine Krull obtient des mandats de camarades pour les représenter au IIIe Congrès de l’Internationale à Moscou et organise leur départ. Ils se glissent au milieux de prisonniers russes renvoyés au pays en janvier 1921. Arrivés à Saint-Pétersbourg ils se heurtent à la désorganisation et à la bureaucratie, Germaine Krull est envoyée au service photographique mais rien ne fonctionne, elle ne connaît pas le russe, elle passe son temps à faire semblant de travailler. Elle est complètement désorientée par la révolution russe en quoi elle avait mis tous ses espoirs. La date du congrès arrive, ils sont à Moscou et, par quelque hasard, au pied de la tribune où parle Lénine. Le lendemain ils sont arrêtés et conduits à la Loubianka, le siège de la police politique. Elle y subira plusieurs interrogatoires et un simulacre d’exécution. Mila l’abandonne, elle est finalement expulsée à la fin de décembre 1921, contracte le typhus dans le train de réfugiés, des wagons à bestiaux garnis de paille, qui la ramène vers Berlin où elle est hospitalisée. Horkheimer et Pollock lui rendent visite chaque jour. Après sa guérison elle est accueillie par la veuve de Kurt Eisner, dans la Forêt Noire.Pollock et Horkheimer reprennent leurs études à Francfort. Il lui faudra du temps pour se réhabituer à une vie normale, sans crainte d’arrestation ou d’exécution. Elle retourne finalement à Berlin où elle peut ouvrir un studio en association avec Kurt Hübschmann, qui aime le travail de laboratoire mais pas la prise de vue et n’a pas de diplôme de maître photographe. Sans elle, il ne peut donc pas ouvrir son studio. La photographie est alors très florissante et de nombreux photographes sont actifs dans la ville, même des grands magasins ont leur studio de photographie. Les débuts sont difficiles, mais à la mort de Lénine l’ami qui a financé en partie son installation lui apporte de nombreuses photos du leader soviétique et ils réalisent en quelques heures un album retraçant sa vie. Le lendemain ils ont une commande de 300 exemplaires dont beaucoup partiront pour la Russie. Pour elle, c’est simplement une opportunité, et la mort de son ancienne idole ne lui fait guère de peine. La révolution ne lui a pas laissé que de bons souvenirs. Les albums eurent beaucoup de succès et lui permettent un nouveau départ. Les commandes de portraits sont encore trop rares, elle refait des photos de nu, mais ne retrouve ni le plaisir ni la qualité de son travail des débuts à Munich, même si les porte folios se vendent bien. Ses modèles, des connaissances ou sa jeune soeur, n’arrivent pas à rendre ce qu’elle recherche. C’est à ce moment qu’elle rencontre Joris Ivens, étudiant à la Technische Hochschule de Charlottenburg, qui est en stage chez Zeiss, et que Hübschmann abandonne la photo. Il lui laisse le studio et tout le matériel. Tout est payé pour encore six mois. Il lui souhaite de réussir.
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En 1940, l’avance des troupes allemandes et l’occupation de Paris jointes à la menace que fait peser l’armée italienne sur la Principauté de Monaco la décident à quitter la France. Avec beaucoup de difficultés, elle parvient à obtenir un passeport (hollandais) et un visa pour le Brésil. Elle embarque le 24 mars 1941 pour Rio au départ de Marseille. Sur le bateau elle retrouve André Breton, le peintre Wifredo Lam et Claude Lévi-Strauss, la plupart des passagers sont des Juifs allemands, tout le monde est entassé dans les cales sans aucun confort malgré le prix élevé du billet. Le voyage est difficile, avec escales à La Martinique, à Saint Laurent du Maroni et à Bélem. À Rio, où elle débarque le 21 mai 1941, elle arrive après quelques difficultés à gagner sa vie comme portraitiste mais elle veut rejoindre la France Libre à Brazzaville. Louis Jouvet, de passage en tournée avec le Théâtre de l’Athénée lui conseille de rester au Brésil où elle a déjà une situation. Enfin, en juillet 1942 elle peut signer son engagement auprès de la France Libre. Elle a pu entre-temps réaliser un reportage sur la ville de Ouro Preto, ancienne cité de chercheurs d’or dans l’État de Minas Gerais, qui illustrera un livre qui parut en 1943, puis part enfin au Congo français où elle arrive en septembre. Elle va diriger le Service photographique de Propagande de la France Libre, à Brazzaville jusqu’en 1943, puis à Alger. Au départ du Congo elle a réalisé un grand reportage sur la forêt tropicale qui l’a menée de Brazzaville à Libreville et Port-Gentil au Gabon et qui a fait l’objet d’une exposition à Brazzaville où toutes les photos ont été vendues au profit de la France Libre. Les négatifs ont été ensuite envoyés à Londres et elle ne les a jamais retrouvés. Ce sera ensuite l’Oubangi-Chari (actuelle République Centrafricaine) et le Tchad puis le Cameroun où elle visite la première plantation d’hévéas. C’est au Cameroun qu’elle reçoit l’ordre de rejoindre Londres. Elle perd la trace de ses négatifs et tirages réalisés en Afrique Equatoriale Française qui se trouvent actuellement dans les archives françaises. En avion de Douala à Dakar, Rabat et Casablanca elle arrive à Marrakech où elle a la chance de pouvoir photographier la rencontre de Churchill et de Gaulle. Elle est alors envoyée à Alger pour organiser le service photographique et elle y fera le portrait de de Gaulle. Elle suivra l’armée américaine de Naples à Rome en 1944 puis débarque à Saint Tropez quelques jours après le Débarquement de Provence, elle passe par Marseille, se rend dans le Vercors, puis dans les Vosges et couvre la bataille d’Alsace. C’est Roger Vailland qui écrira le texte de son livre La Bataille d’Alsace. Elle rend compte de la libération de camps de concentration et certaines de ses photos seront publiées dans la presse. La plupart de ses négatifs ne lui seront jamais rendus. Sa mission se termine en avril 1945 et elle rentre à Paris où le climat politique et de combines l’écœure. Elle ne veut plus rester en France et ne sait que faire. On lui propose alors de partir comme correspondante de guerre au Japon. Il fallait passer par Londres pour obtenir son accréditation et de Londres elle rejoint Ceylan, puis la Birmanie. À Rangoun elle découvre le bouddhisme vivant et en est très émue. Elle arrive à Saïgon avec l’armée britannique en septembre 1945 et découvre avec stupéfaction que là, ce sont les Français que l’on déteste. Elle assiste aux premières émeutes et est dégoûtée par le comportement des soldats et colons français, tous ralliés à Vichy et Pétain, qui incendient et brutalisent les annamites. « J’ai assisté de la part des soldats à un vandalisme que je n’avais jamais rencontré pendant toute la guerre. » dit-elle. Elle fait le récit des événements dans un tapuscrit de 45 pages resté inédit : Les Dix Jours qui ont décidé du sort de l’Indochine française : journal de Saigon en septembre 1945 où elle analyse la déclaration d’indépendance du Vietnam.
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Elle revend ses parts de l’Hôtel Oriental et, en 1965 elle rencontre le Dalaï Lama pour la première fois, à Dharamsala, elle réalise le livre Tibetans in India qui est vendu au profit des tibétains réfugiés en Inde. Elle s’est installée à Mussoorie dans une communauté tibétaine et y approfondi sa connaissance du bouddhisme. Elle a fait la connaissance de Sakya Trizin, patriarche d’une des quatre lignées du bouddhisme tibétain avec qui elle va plus tard voyager en Europe, au Canada et aux États Unis. En 1967 elle fait un nouveau voyage en Europe, à Paris une première rétrospective lui est consacrée grâce à André Malraux et Henri Langlois. C’est alors qu’elle découvre que les négatifs qu’elle avait confiés à Eli Lotar ont été perdus, pour les photos d’avant-guerre ce sont des reproductions qui sont exposées. Il y en aura également une à l’Alliance française de New Delhi en 1968. En 1977 ce sera le Rheinisches Landesmuseum Bonn qui la mettra à l’honneur.
Malade, elle quitte l’Inde pour l’Allemagne et meurt à Wetzlar en 1985.
[La suite sur le PDF : Le contexte - A propos de l'oeuvre - 10 pages avec de nombreuses illustrations]
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