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Géographie d'un enfant juif.

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Les gares comme les ports sont pour celui qui débarque  un petit morceau de son pays. Juste le temps de ressentir avec une sensation de déchirure que tout lui est étranger parce que sorti du brouhaha de la gare il sait à peine dire bonjour.

Pour certains, entrer dans une gare, c’est le premier pas pour l’exil. Pour d’autres c’est le sceau infamant de l’émigration. Ni les uns ni les autres n’en reviennent intacts.   

Un soir, Janus, un ami d’enfance de mon père qui était membre de la police était venu le prévenir. Mon père était un militant syndical.

- Demain, on va venir te cueillir, il vaut mieux qu’on ne te trouve pas. Un mort, Léon, un mort au coin d’une rue! On sait bien que tu n’y es pour rien  Mais tu es gênant. Désormais, la Pologne est trop petite pour toi.

Le lendemain, il était en Allemagne sans avoir embrassé ni son père ni sa mère ni ses sœurs. Il ne les reverrait jamais. Il voulait rejoindre la France qui, chacun le sait, est la seconde patrie de ceux qui sont épris de liberté.

Bruxelles est la première ville dont je me souvienne.

Mon père ne voulait pas rester à Bruxelles. « C’est comme si nous étions toujours en Pologne », disait-il.  A Bruxelles, nous ne connaissons que des juifs, même l’épicerie est juive. Nous construisons nous même un mur que nous avons reproché aux non juifs de Pologne d’avoir érigé entre nous et eux, soyons ouverts aux autres ».

Je ne pas sûr évidemment que c’est en ces termes là que mon père s’est exprimé devant ma mère mais l’esprit de son discours devait être celui-là.

A Tournai, où mes parents s’étaient installés, ils m’avaient inscrit à l’Ecole de la Justice.  Curieux nom pour une école ! Monsieur Richard en était le directeur et cumulait cette fonction avec celle d’instituteur des classes de cinquième et de sixième. En outre, il était le patron  de la troupe scoute laïque qui faisait partie des Boys scouts de Belgique.

Cela aurait pu être une époque formidable. Mais en 1939, les Français déclaraient la guerre aux Allemands.  C’était une année importante, je le sens bien, mais il faut que je creuse mon imagination plus que mes souvenirs pour la reconstituer.

Les Allemands étaient les maîtres du pays. Et moi, mon père me l’a expliqué du mieux qu’il a pu, j’ai appris que j’étais juif, que je devais m’endurcir, et parler le moins possible. Sauf, bien sûr, quand le professeur m’interrogeait et que je connaissais la réponse 

Il me semble que  j’aurais pu en vouloir à mon père d’être juif. Je n’avais rien demandé, et lui-même ne semblait pas y être tellement attaché. Alors? C’était quoi : être juif ? Je remis cette discussion à plus tard.

-  Lorsqu’on se tait, on ne risque pas de dire des sottises,  apprends à te taire. Et n’oublie pas, tu es juif mais il n’est pas nécessaire de le crier sur les toits.

J’ai appris à me taire.

- Le nom, ce n’est rien. Il parait qu’ils te demandent’ d’ôter ton pantalon pour regarder ta quéquette. Et pour les filles, comment ils font ? 

Tournai est une ville en étoile mais facile à lire. Nombreuses sont les routes qui de Tournai mènent à d’autres villes clairement indiquées : chaussée de Bruxelles, chaussé de Lille, chaussée de Valenciennes… Vivre à Tournai,  c’est vivre dans une partie, infime peut être, d’un monde vraisemblablement plus grand.

En 1942, munis de faux papiers, avec l’aide d’amis résistants, nous partions pour la France dite libre.

A cette époque  j’ai connu d’autres villes. Un cours entier de géographie suffirait à peine à les décrire.

Paris dont j’ai appris plus tard qu’elle ne se limitait pas ni à la gare du Nord ni à celle de Lyon. Dieu sait pourtant qu’elles étaient grandes.

Tours où une femme, professeur le Lycée nous a fait traverser le Cher. Elle avait un accent curieux : le plus pur de France.  J’ignorais bien sûr que les accents, eux aussi, étaient divisés en plus et en moins purs. En moins que rien, comme les juifs ? Puis ce fût Châteauroux, et la France libre.

Maréchal, nous voilà ! chantaient les enfants des écoles.

Et enfin une halte provisoire ; Châteauneuf les Bains.  Le fils de boulanger ne m’a pas reproché  d’être juif mais, à l’instar d’autres belges du camp, de venir manger le pain des Français.

A Châteauneuf les bains, il y avait un camp destiné aux réfugiés juifs ou non, et aux militaires qui souhaitaient rejoindre l’Angleterre pour continuer de se battre.

Il était géré par un officier français qui, parait-il, était juif.

Le camp a disparu après que des Allemands soient venus un soir avec plusieurs camions pour emmener tous ceux qui n’avaient pu s’enfuir. Le colonel Lisbonne en tête. Et en uniforme. Son képi étoilé qu’un soldat avait arraché a été retrouvé le lendemain sur les marches du camp.  Son képi de colonel français.

Quant à nous, nous étions partis peu de temps auparavant pour Clermont-Ferrand. Nous y  sommes restés  jusqu’à la libération.

- Nous allons retourner chez nous.

Mon père parlait de la Belgique. C’était quoi la Belgique ? Il voulait dire Tournai, je suppose. Mais je n’en savais rien.

Toutefois,  j’avais pris conscience que le monde ne se limitait pas aux frontières d’une ville ou d’un pays, que les routes qui s’écartent des villes traversent d’autres villes et d’autres pays. Et se perdent au loin sans qu’on puisse en voir le bout.

Mais  par une étrange métamorphose où se mêlent le temps, l’histoire et la géographie, font qu’un jeune garçon sort définitivement de l’enfance.

 

 

 

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Commentaires

  • Il y avait très longtemps, Nicole. Merci. Ce que j'écris est vrai et n'est pas vrai.

     

  • Merci, Maurice, du partage de cet émouvant témoignage d'enfance ! Cordialement, Nicole

  • Il y a des lecteurs ou lectrices qu me sont chers. Vous en faites partie désormais. J'ai publié un livre papier, un autre numérique. En France, une revue publiera de mes nouvelles en Mars; dit-elle.En réalité, je n'ai plus l'âge de faire une carrière littéraire. Je ne cherche pas le compliment ' phising '. Mais, c'est vrai, j'aime qu'on aime. 

    Mon père, lui aussi a té résistant? Grâce à elle, nous avons pu fuir.  Voila, je ne répondrai pas à chaque fois.Mais l'amitié y sera.

  • Décidément, vos  écrits m'interpellent véritablement. Sans doute parce que j'y retrouve des échos de ce que j'ai vécu personnellement durant ces cinq années de guerre funeste.

    "Il faut apprendre à te taire" me disait-on fréquemment. Un poids sur la langue : se taire, se taire, se taire ....

    Pour une famille de résistants c'était plus qu'utile en effet. Résultat ? Ma réputation de bavarde en a pris un coup .... et j'en suis devenue muette. Un poids énorme sur la langue. Convertie à jamais en timide anormalement muette.

    Cela n'a rien empêché finalement. Malgré ma discrétion absolue lors de la venue de ce cousin de ma mère un midi, mon réflexe rapide pour l'introduire dans la maison afin qu'il ne soit pas repéré, il a été arrêté peu après dans un tramway à Bruxelles! Là où il devait effectuer une mission, la dernière pour lui.

    C'est après la guerre que nous avons appris sa tragique histoire et sa fin de martyre dans un camp en Allemagne.

    J'aime vos nouvelles et je souhaite que beaucoup, beaucoup de personnes apprennent à les connaître et à réagir en conséquence.

    Bonne soirée. Rolande

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