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             ... " Donc, dans la soirée, je sortais de chez Eva. A peine dans la rue, malgré le vent glacé qui commençait à balayer la ville, une bouffée de sueur me trempait tout entier. Je partais à grands pas, dans une direction ou une autre, peu importait maintenant, avec cependant l'injonction de ne pas m'approcher du Kursaal, ni de la rue à la vitrine. En ces deux lieux, si proches que l'on aurait pu les confondre en un seul, se focalisait l'origine de ma douleur, se renouvelait indéfiniment l'étrange opération qui m'avait détruit.

Contournant la zone interdite, mes pas me conduisaient souvent sur le front de mer, assez loin du centre, à un endroit où la jetée était bordée d'un long passage à colonnades. J'étais venu ici auparavant, attiré par l'aspect mystérieux et romantique du lieu. La mer du Nord, parfois étincelante sous les éclats de soleil, parfois lourde et opaque comme de la glaise se reflétait dans de hautes glaces qui couvraient le mur du passage. Des mouettes altières criaient, les passants apparaissaient ou disparaissaient entre les colonnes.

          Mais maintenant, dès la première fois que j'y revins, je constatai que l'endroit avait perdu toute sa magie. Les mouettes étaient devenues de lourds oiseaux, arrogants et hurleurs, qui souillaient les bancs, le plâtre des colonnes s'écaillait et était strié de graffitis obscènes. Des excréments de chiens et des gravats se mélangeaient au sable. Quant aux passants, dont j'avais, auparavant, attribué la lenteur au désir de jouir de la poésie du site, je découvris qu'ils étaient presque tous pensionnaires d'un long bâtiment, et que celui-ci n'était autre qu'une maison de retraite. Leurs infirmités leur imposaient ce rythme alangui, et personne, voyant leurs regards morts et leurs pas hésitants, n'aurait pu les prendre pour des amoureux du lieu.

         Cependant, quand je me rendais là-bas, et je m'y retrouvais souvent, la détérioration des êtres et des lieux ne me gênait pas. Je m'allongeais sur un banc, la tête à l'opposé du Casino, et je fixais le ciel, où toutes les teintes de gris et de blanc se succédaient rapidement. Les mouettes criaient lamentablement. Quelquefois des toux ou des raclements de pieds m'annonçaient la venue d'un pensionnaire. Je faisais alors semblant de dormir, afin qu'il ne cherche pas à me parler. Qu'il me prenne pour un alcoolique cuvant sa bière, où un des drogués fréquentant le petit parc proche. Que je suscite le dégoût ou la peur, l'essentiel était que l'on ne m'approche pas.

           J'allais aussi dans ce parc, et c'est là que je vécus l'expérience ultime, qui devait fermer la boucle de mon malheur, et enfin arrêter la ronde où il m'entraînait depuis des mois.

 

Extrait de la nouvelle "Comme à Ostende"lille 2008 067 - Copie

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Commentaires

  • Les mouettes côtoient les mouches dans les stationnements de nourriture rapide...
    Bien dit.
  • Bonsoir Anne,

    Faisant suite à un message vu cette après-midi, je suis venue dans vos billets, j'y ai découvert une belle écriture.

    Félicitations!.

    Amitiés.

    Adyne

  • C'est assez gris et écumeux comme la mer du Nord et on a envie d'en savoir davantage ! Il y a comme un malaise, une inquiétude qui plane...et ce regard qu'on porte sur les choses suivant ses propres états d'âme ! Un bel extrait, amitiés, blanche
  • Le commentaire précédent était avant tout pour Arlette.
    Anne
  • Cest vrai, grande tristesse, dans cette nouvelle qui est principalement le récit d'une dépression -voire plus-, mais  aussi l'analyse d'une forme d'épreuve initiatique permettant au personnage d'entrer à la fin dans le monde de l'humanité commune, dont jusqu'ici il était exclu. Reste à savoir si c'est un dénouement souhaitable... 
  • Mais d'une tristesse qui suinte de chaque mot ...belle écriture 

    Merci pour ce passage

    Arlette

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