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"Divers jeux rustiques" est un recueil poétique de Joachim du Bellay (1522-1560), dont le titre complet est: Divers Jeux rustiques et Autres Oeuvres poétiques publié à Paris chez Fédéric Morel en 1558. Dans l'Avis au lecteur, Du Bellay justifie cette publication par l'«avarice et impudence de certains imprimeurs», qui ont multiplié sans scrupules les éditions clandestines et fautives. Le recueil, qui paraît la même année que les Regrets, les Antiquités de Rome et le livre des Poëmata latins, témoigne de la fécondité du séjour romain du poète: ces pièces légères et facétieuses, composées pour l'essentiel entre 1553 et 1557, relativisent la nostalgie et le désespoir martelés par certains sonnets des Regrets. Oeuvre de récréation, dont le titre renvoie plus au lusus [badinages] des poètes néolatins qu'à une quelconque inspiration bucolique, les Divers Jeux rustiques s'offrent comme un ensemble de «petites pièces assez mal cousues»: cultivant le lyrisme léger dont Ronsard avait donné l'exemple dans le Livret de folastries et le Bocage de 1554, ils s'inspirent de Virgile, d'Anacréon, d'Ovide, et des poètes néolatins comme Navagero, Bembo et Sannazar; ils empruntent en outre à Berni et à l'Arétin le mordant et la verve de leurs satires anticourtisanes.
S'ouvrant sur une dédicace à Jean du Thiers, secrétaire d'État d'Henri II, le recueil contient d'abord une série de traductions: le "Moretum de Virgile" (III), les "Vouz rustiques" d'après Navagero (IV à XIV), le "Combat d'Hercule et d'Acheloys" d'après Ovide (XVII). Viennent ensuite des pièces amoureuses ("Chant de l'Amour et du Printemps", XVIII; "Chant de l'Amour et de l'Hyver", XIX) où le poète prend ses distances avec le pétrarquisme: «Je veulx d'Amour franchement deviser, / Sans vous flatter, et sans me déguizer» ("Contre les pétrarquistes", XXII). Suivent des pièces burlesques, notamment l'"Épitaphe d'un petit chien" (XXIX), l'"Épitaphe d'un chat" (XXX) et l'"Épitaphe de l'abbé Bonnet" (XXXI). La veine burlesque se prolonge d'une certaine manière dans la satire des courtisanes romaines (XXXIV, XXXVI, XXXVII, XXXVIII) où les prostituées, sur le mode de la complainte, font entendre un tardif repentir. Le recueil s'achève sur un "Hymne de la surdité" où le poète, s'adressant à Ronsard, fait l'éloge d'une infirmité qui est "Nourrice de raison" et incitation à la sagesse.
Les Divers Jeux rustiques semblent prendre un malin plaisir à désavouer les principes hautains affichés par la Défense et Illustration de la langue française (1549). Le recueil se caractérise, au moins en apparence, par un triple reniement. Du Bellay, qui avait jusqu'alors stigmatisé la pratique stérile de la traduction, «chose laborieuse et peu profitable», multiplie désormais les traductions des Anciens et des Modernes; il cultive, en outre, des formes poétiques «surannées» - villanelle, chanson ou élégie marotique - après avoir prôné l'appropriation des grands genres antiques par la poésie française; enfin, le théoricien qui affirmait que «le naturel n'est suffisant à celuy qui en poésie veult faire oeuvre digne de l'immortalité» accorde maintenant à la «seule nature / Sans art, sans travail et sans cure» le pouvoir d'engendrer les plus grandes réussites poétiques. Mais il y a quelque facilité à énoncer ainsi les contradictions entre le manifeste théorique et la pratique poétique: les nécessités du combat novateur ont pu se traduire, en 1549, par des radicalisations dogmatiques que le succès de Ronsard et des siens, une décennie plus tard, relativise ou rend superflues.
La publication des Divers Jeux rustiques participe, à cet égard, d'une logique remarquablement récurrente dans la littérature française: dès qu'une nouvelle génération littéraire a pu affirmer sa différence et consolider ses positions, elle ne s'impose plus le dénigrement systématique de la tradition, et multiplie même les occasions d'accommodement. Cette levée des exclusives se traduit essentiellement, chez Du Bellay, par un retour à l'inspiration marotique: l'antipétrarquisme (XXII), le choix répété de sujets futiles (XXIX, XXX) et la vision acerbe des ridicules sociaux (XXXI) en sont les signes les plus évidents. Il s'agit moins d'ailleurs d'une palinodie que d'un acte de liberté: Du Bellay n'entend pas plus rester prisonnier de ses déclarations antérieures que de son adhésion à des modes et à des styles passagers. Comme les Regrets, mais avec moins d'intensité, les Divers Jeux rustiques revendiquent une esthétique du refus, qui s'affranchit des cadres théoriques et poétiques les plus contraignants. Toutes les dernières pièces du recueil sont fort significatives de ce point de vue, et remarquablement cohérentes: leur variété thématique n'empêche pas la réitération du motif du dépouillement, sous le triple rapport du vêtement, du maquillage et de la rhétorique. Comment n'être pas frappé par l'analogie de situation entre la courtisane repentie, qui rejette les instruments fallacieux du paraître («Je ne veulx plus me peindre désormais, / Ains dès icy abandone l'usage / Du fard menteur, qui gaste le visage», "la Courtisane repentie") et l'ironie douce-amère du poète à l'encontre des rituels pétrarquistes. Qu'une rhétorique conventionnelle alimente ce refus de l'étalage des signes, c'est l'évidence. Du Bellay n'en aspire pas moins à une intériorisation de ses moyens poétiques, comme l'indique la pièce finale, l'"Hymne à la surdité". Cette admirable et poignante conclusion, qui mériterait de longues analyses, apparaît d'abord comme un retournement, à la fois ironique et amical, de la logique qui animait les Hymnes ronsardiens de 1555: au lieu de viser les grands concepts philosophiques et les entités cosmiques, l'éloge se donne pour objet un défaut, une carence, qui arrachent l'homme aux plaisirs de la sociabilité et aux harmonies de la nature. Mais l'absence d'une faculté normale est précisément, pour Du Bellay, la condition d'une densification de l'être: «La Surdité, Ronsard, seule t'a faict retraire / Des plaisirs de la court et du bas populaire, / Pour suyvre par un trac encores non battu / Ce pénible sentier qui meine à la vertu.» État idéal qui ferme le poète à l'importunité du monde, la surdité sert évidemment de métaphore à l'exigence d'écrire: elle désigne le processus de réflexivité par lequel le créateur remonte aux sources les plus secrètes de sa création. Ce n'est donc pas la moindre surprise de ces Divers Jeux rustiques que de s'ouvrir sur l'impersonnalité d'une série de traductions, et de s'achever sur un appel au dédain des cérémonies sociales, à l'intériorisation éthique du pouvoir poétique.

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Commentaires

  • L'intériorité révèle le mystère de l'être, la connaissance ...

    La fleur de poésie pousse souvent en terrain ardu.

  • Il serait intéressant que ces livres soient ré-édités. Du moins pour certains qui aimeraient goutter un morceau culturel e notre histoire francophone.. 

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