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Les Lettres à Sophie Volland, c'est l'abondante correspondance adressée par Diderot à sa grande amie et confidente.

Diderot fit la connaissance de Sophie Volland en 1755: il avait alors 42 ou 43 ans et elle de 39 à 40 ans. Bien que nous ne sachions rien d'elle, il est certain que Sophie Volland avait une très forte personnalité, un esprit fort cultivé et fort juste. Grimm dit d'elle, répétant le mot du célèbre médecin Tronchin, que c'était "une âme d'aigle dans un corps de gaze". Cette rencontre fit naître une grande passion réciproque, dans laquelle intervint malencontreusement la mère de Sophie, envers qui Diderot semble avoir eu à la fois de l'affection et une irritation qu'il ne peut dissimuler. Les deux amis prirent l'habitude de se voir deux fois par semaine, exception faite pour les fréquents séjours de Diderot à la campagne chez les d' Holbach, ses voyages et les longs mois que Sophie passait avec sa mère dans leurs terres. Ce sont justement ces absences qui nous ont valu les "Lettres", enflammées au début, puis tendres, affectueuses, confiantes, qui nous permettent de suivre l'évolution de cet attachement qui ne se termina que par la mort des deux amants, disparus à quelques mois l'un de l'autre (1784).

Les premières lettres sont de 1759 et, immédiatement, elles nous donnent des renseignements précieux sur l' "Encyclopédie". La crise qui manqua d'en arrêter définitivement la parution vient de se terminer: d' Alembert s'est retiré de l'entreprise et c'est à Diderot, poursuivi par les libraires et seul responsable, qu'incombe toute la tâche, d'autant plus difficile à mener qu'elle est maintenant clandestine. Le voilà qui s'occupe, le plus souvent nuitamment, de l'impression des fameuses planches dans l'atelier de Le Breton, qui rassemble et compile les documents, qui écrit lui-même des articles de philosophie, d'histoire et surtout de sciences appliquées. Une lettre datée du château du Grand Val, résidence des d' Holbach (3 octobre 1759), est particulièrement intéressante, car elle nous montre dans quelle ambiance Diderot composait ses articles. Il en expose au salon les grandes lignes (il s'agit ici de l'article sur les sarrasins) et nous fait grâce d'aucun des commentaires humoristiques, cyniques, voire burlesques, des différentes personnes présentes et surtout des dames. Ainsi revit devant nous ce cadre dans lequel fut conçu le grand ouvrage, cette société qui poussait l' irrespect jusqu'au blasphème et la liberté d'expression jusqu'à la trivialité. Dans sa correspondance, Diderot tient également Mlle Volland au courant des travaux littéraires qu'il menait de front avec l' "Encyclopédie", et particulièrement de sa collaboration à la "Correspondance" de Grimm. C'est ici que nous prenons la vraie mesure de Diderot, de son dévouement et même de son héroïsme, à l'égard de l' "Encyclopédie", pour laquelle il sacrifia, sans en escompter de bénéfices, la meilleure partie de sa vie et de lui-même. A côté de cet immense travail, les oeuvres personnelles comptent peu: Diderot écrit à la hâte des articles pour Grimm, il commence ou reprend ses propres oeuvres seulement quand l' "Encyclopédie" lui en laisse le loisir. A partir de 1769, Diderot, toujours accablé de travail, donne plus de temps à ses oeuvres, c'est alors qu'il écrit le fameux "Entretien entre D'Alembert et Diderot" et qu'il fait jouer "Le Père de famille", qui connaît immédiatement un succès triomphal.

Enfin en 1772, l' "Encyclopédie" est entièrement parue; après plus de vingt ans d'un labeur acharné, Diderot peut enfin profiter de sa liberté, mais il n'est plus jeune. Néanmoins, il entreprend ce voyage en Russie, auquel Catherine II le conviait depuis si longtemps, ceci malgré les conseils de la famille Volland à laquelle il reste toujours très attaché; il entretient maintenant d'excellentes relations avec Madame Volland; quand à ses rapports avec Sophie, ils ont toujours le même caractère passionné, la même tendresse impétueuse.

Enfin nous pouvons, grâce aux "Lettres", suivre les étapes du voyage. Diderot séjourne d'abord à La Haye, de mai à août 1773 chez l'ambassadeur de Russie, le prince Galitzin, et ce n'est qu'en octobre qu'il arrive à Moscou. L'amie des philosophes, l'impératrice lui fait un accueil chaleureux, elle traite Diderot comme un ami et celui-ci refuse ses présents pour conserver son franc-parler. "J'ai vu la Souveraine, je l'ai vue tous les jours, je l'ai vue seul à seul, je l'ai vue depuis trois heures, toujours jusqu'à cinq, souvent jusqu'à six." Le philosophe ne tarit pas d'éloges sur celle que Voltaire appelait la "Sémiramis du Nord"; pour lui, "c'est l'âme de Brutus sous la figure de Cléopâtre; la fermeté de l'un et les séductions de l'autre", "Si elle règne jusqu'à quatre vingt ans, comme elle me l'a promis, soyez sûre qu'elle changera la face de son empire". C'est du retour à La Haye où Diderot séjourne de nouveau quelques mois avant de regagner Paris, qu'est datée la dernière lettre de cette correspondance (3 septembre 1774). Nous ne savons rien des rapports des deux amants au cours des dix dernières années de leurs vies, sinon par ce témoignage de la fille de Diderot, Mme de Vandeul, à propos de Mme Volland: "Il prit pour sa fille une passion qui a duré jusqu'à la mort de l'un et de l'autre."

Non seulement les "Lettres à Sophie Volland" nous aident à mieux comprendre quels furent le rôle et l'influence de Diderot en son temps et comment il mena à bien cette tâche énorme qu'était l' "Encyclopédie", mais elle nous font pénétrer dans son intimité, dans sa vie de tous les jours: ses rapports avec les Encyclopédistes, sa vie de famille traversée de scènes continuelles avec sa femme, Diderot ne cache rien de ses fautes, de ses folies, il déplore son caractère brouillon; mais sa franchise qui va jusqu'à l'inconséquence, sa spontanéité, la passion qu'il met en toutes choses nous le rendent fort sympathique. Cependant ses "Lettres" sont alourdies par d'interminables tirades où Diderot expose inlassablement son amour. Quelques jugements esthétiques fort singuliers nous surprennent et nous montrent selon quels critères, exclusivement littéraires et sentimentaux, Diderot jugeait des oeuvres d'art; ils confirment ainsi l'impression qu'on retire de la lecture des "Salons". Diderot écrit au courant de la plume et son style est le plus souvent débraillé, voire incorrect, les répétitions et les négligences sont fréquentes dans les "Lettres" généralement fort longues, dont le caractère direct s'en trouve d'ailleurs renforcé. Cette correspondance n'était pas destinée à la publication. Les "Lettres" sont non seulement un document irremplaçable sur l'époque, ce sont de véritables Mémoires de Diderot ou plutôt son Journal intime. Ecrites seulement pour lui-même et pour celle qu'il aimait, elles nous peignent, sans retouche, le véritable et vivant portrait du grand homme.

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