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Julie était revenue le lundi vers la fin de la journée. Ses amis l’avaient déposée devant la porte.
Le temps avait été beau, elle avait pris des couleurs. Ses yeux brillaient comme au temps où ils ne pouvaient se voir sans avoir envie de se toucher. Pierre lui demanda si elle voulait manger quelque chose.
Ils burent un verre de vin, puis ils montèrent se coucher.
- Liliane a passé la nuit avec toi ?
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- Elle est fort séduisante.
Elle lui montra une épingle à cheveux. Pierre avait pensé : la garce, elle a du la perdre sciemment.
- J’ai rencontré quelqu’un, Pierre.
Elle avait sa main dans la sienne. A la lueur de la lampe de chevet, il ne voyait pas si elle regardait le plafond ou si elle avait les yeux fermés. Elle s’était tue.
Il ne savait pas si elle dormait ou si elle faisait semblant. Lui, il était resté éveillé jusqu’au matin.
Les jours suivants, ni lui ni elle, n’avaient évoqué ce qu’elle avait dit la nuit de son retour.
Annie, son mari et Julie, n’avaient pas été seuls à la côte. Annie avait invité François. Julie ne se souvenait pas bien de son patronyme, très vite ils s’étaient appelés par leur prénom. Un veuf qu’Annie prétendait marier à Julie.
- Marier ? Mais Annie, tu le sais que je ne suis pas seule.
- Je parle de mariage. Quelqu’un avec qui on vieillira. Pas seulement pour faire l’amour.
Julie y pensait parfois. Mais après avoir fait l’amour malheureusement. Et parfois, elle pensait qu’elle n’était pas normale. Elle aspirait à une vie routinière mais prévisible. Pierre souhaitait sans doute un mode de vie similaire, elle en était consciente. Mais elle avait le sentiment que ce n’était pas ensemble qu’ils pouvaient y parvenir. Il y avait beaucoup de choses entre eux. De celles qui réunissent. Ou qui séparent.
Elle avait acceptée de venir à la côte parce qu’Annie était une amie véritable. Pas une compagne des sorties clandestines. D’ailleurs Annie et Liliane se connaissaient à peine. Il y a les amis du jour et les amis de la nuit. Les uns et les autres peuvent se croiser quotidiennement, ils viennent de planètes différentes. Julie était partagée. A partir d’une certaine heure elle passait du monde du jour à celui de la nuit sans s’éloigner de chez elle. Mais son corps et sa façon de penser et de sentir devenaient différents. Au point qu’il y avait des décisions qu’elle ne prenait que l’avant-midi, et d’autres qu’elle n’envisageait qu’à la tombée du soir. L’absence de Pierre avait rendu plus vive cette distorsion des sensations et des besoins.
Au début elle en avait été surprise, puis elle s’était aperçue que même les souvenirs prenaient une tonalité différente. Ils avaient le charme des alcools un peu forts.
Annie était une amie du jour. De quelques années son aînée, elle considérait Julie comme une jeune sœur ignorante de la vie, et qu’elle se devait de protéger. Pierre, ce fils de famille sans responsabilité réelle lui déplaisait. Ce qu’elle savait de lui, c’est que le jour où Julie avait eu besoin de lui, il avait fui.
François était veuf d’une amie d’enfance qui l’avait suivi dans la capitale où il avait ses affaires. Il était le propriétaire d’une entreprise de distribution de mazout qui disposait de sept camions-citernes, et il possédait en outre quatre stations d’essence. Il prenait un air faussement contrit, et disait à Annie qui avait été la meilleure amie de sa femme :
- Je suis fortuné, c’est vrai.
Mais il ajoutait :
- C’est toujours ainsi, plus vous êtes heureux, plus quand vous cessez de l’être la facture est élevée.
- Tu ne peux pas rester seul, François. Il faut te remarier.
- Oui. J’y ai pensé. Mais avec qui ?
Annie réfléchissait très vite. Elle se promit de tout faire pour les mettre en présence, Julie et lui. François était un homme vigoureux dont elle devinait les besoins qui devaient l’être tout autant. Il ne fallait surtout pas qu’il s’amourachât d’une femme qui, à l’aide de quelques caresses, ne songerait qu’à profiter de son argent. La femme qui lui conviendrait, elle en était convaincue, c’était la jeune Julie. Son mari partageait son avis. Il partageait toujours l’avis de sa femme.
Annie et son mari avaient l’habitude, dès que venait le beau temps, de se rendre dans un hôtel de la côte face à la plage. Ils y faisaient de courts séjours consacrés à la promenade en regardant la mer.
C’est là qu’ils invitèrent Julie et François en confiant à l’un et à l’autre qu’ils leurs préparaient une surprise. Sans tout dire, Annie dit certaine choses. L’évocation de la mer auréolait ses propos d’un caractère romantique particulièrement bienvenu, pensa-t-elle.
François était arrivé dans l’après-midi. A trois, ils étaient allés attendre Julie à la gare.
C’est à table que Julie et François firent réellement connaissance. Annie les avait bousculés.
- Vous n’allez pas vous dire : monsieur et madame ? Voilà, c’est Julie et c’est François.
Un François timide comme un tout jeune adolescent. Durant presque tout le repas il parla presque seul de sa femme, de son enfance, de son métier, on eut dit qu’il se livrait à une véritable confession. Il avait les yeux fixés sur le visage de Julie qu’il n’osait pas regarder dans les yeux.
Pour ce qui le concernait, Annie pensait que c’était gagné. Elle servait le vin pour lui donner du courage et faisait briller les yeux de Julie.
Julie le trouvait bel homme. Un peu rustaud d’allure mais les gestes délicats. Elle avait accepté l’idée de passer la nuit avec lui avant même que François ne l’ait envisagé. Lui qui se demandait s’il ne risquait pas de brusquer celle dont il rêvait déjà de faire sa femme.
-Ne prenez pas exemple sur nous. Continuez la soirée aussi longtemps que vous le souhaitez. Nous, nous n’avons plus l’habitude de veiller.
Annie s’était levée. Elle embrassa Julie et François.
- Assied-toi auprès de Julie, François. C’est plus convivial que de lui faire face maintenant que vous êtes deux.
François regarda Julie qui continuait de sourire. Il s’assit auprès d’elle.
-Maintenant que nous sommes seuls, je peux vous le dire, Julie. C’est une soirée merveilleuse.
Dans sa chambre, il avait réservé la suite matrimoniale, il avait à peine regardé Julie qui se déshabillait. Ils se connaissaient à peine, il craignait de la choquer. Julie n’imaginait pas qu’il y ait des hommes, au delà d’un certain âge, que la vue d’une femme nue pouvait encore intimider. Elle eut pour François un accès de tendresse soudain. C’est avec précaution qu’elle se glissa sur lui.
- Voulez-vous être ma femme, Julie ?
- Taisez-vous.
A la table du déjeuner, le lendemain matin, Annie leur proposa de faire une promenade dans l’arrière pays, et François leur proposa de passer la fin de l’après-midi au casino avant de dîner. Ils étaient tous les trois ses invités ; dit-il.
Au casino, il offrit à Julie des plaques pour jouer, elle ne voulait pas, il avait du insister, et il s’assit à la table de roulette.
Souvent, cela se passe de la même manière chez les novices. Julie gagna deux mille euros qu’il refusa qu’elle lui donne, et lui en gagna trois fois plus. Le mari d’Annie ne le dit pas à haute voix mais il pensa qu’il y avait des gens cocus.
François, après qu’ils soient retournés à l’hôtel, s’absenta durant une heure.
A table, sous sa serviette, Julie trouva une boite emballée à la marque d’un bijoutier réputé de la côte. C’était un bracelet constitué de deux anneaux d’or entrelacés, un blanc et un jaune.
- Chance au jeu, chance en amour.
Cette nuit là fût pour François et Julie une nuit d’amour véritable. Il lui demanda une fois encore de devenir sa femme et elle promit de réfléchir. Puis, ils se tournèrent dos à dos. Ils faisaient semblant de dormir mais ne parvinrent pas à fermer l’œil avant un long moment. François, c’était la tendresse, la sérénité ; se répétait Julie.
Elle ne s’était jamais posé la question : ses parents s’aimaient-ils? Vraisemblablement. Mais rarement, elle les avait vus qui s’embrassaient. Est-ce que cela prouvait quelque chose ? Peut être le faisaient-ils lorsqu’ils étaient plus jeunes. Comme la plupart des gens, ils ressentaient des pulsions sexuelles, et ils dormaient dans le même lit. En réalité, elle était incapable de dire à quoi ils ressemblaient lorsqu’ils s’étaient mariés. La photo de circonstance qu’elle avait regardée un jour, conventionnelle et retouchée, ne découvrait rien de leurs sentiments. Plus tard, le souvenir qu’elle en avait eu était celui qu’elle découvrait à chaque fois qu’elle les voyait. Un couple de gens patauds et profondément conventionnels sans plus aucun souci de plaire physiquement. Lui était déjà ventru, et sa mère avait les hanches larges. Est-ce que cet homme et cette femme qui étaient ses parents pouvaient se désirer l’un l’autre ? Ou être désirés par d’autres ? Quelle était la raison de leur mariage ? Le père avait dit un jour, et sa femme avait ri en disant qu’il était un imbécile, que la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, ce fut le coup de foudre.
Commentaires
Encore quelques jours. A vous de juger !
Que voilà un récit plein de tendresse comme je les aime et qui en dit très très long sur les rapports humains.
J'ose espérer que tout se termine au mieux et pas dans un bain de sang. Il y a assez de violence en ce bas monde pour encore en ajouter.
Ah oui ... François porte bien son nom.
A demain. Et merci.