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des amours de province

Suite. La suite à demain.

                 3

 

Pierre  avait rencontré Béatrice à plusieurs reprises au café de la gare. Il avait l’âge où les conquêtes féminines sont des préoccupations majeures. 

C’était un bâtiment réparti en deux ailes séparées par un couloir d’accueil. Au bout du couloir, à proximité du comptoir de la réception, se trouvait d’un côté une porte vitrée ouverte sur une brasserie et de l’autre l’entrée de l’hôtel et de l’ascenseur qui menait aux étages. Pour des aventures clandestines, c’était un hôtel très pratique. Un couple pouvait se rendre à la brasserie, homme et femme séparément, sous l’œil indifférent d’un passant ou de quelqu’un qui aurait pu les connaitre. Et se retrouver dans une chambre réservée.

A chaque fois, Béatrice s’y trouvait la première, étendue sur le lit, nue à l’exception de sa culotte. C’est lui qui lui ôtait la culotte, premier geste d’un rituel érotique qu’ils avaient éprouvé tous les deux la première fois. Leurs fantasmes se fondaient dans un fantasme commun qui exacerbait leur sensualité.

Béatrice éprouvait un sentiment étrange, mélange de culpabilité et de jouissance. Le bonheur parce que c’est elle que Pierre caressait en haletant, culpabilité parce qu’elle était la rivale triomphante de sa fille.

Aujourd’hui en face de Jacques c’est à Julie que Pierre pensait. Béatrice, la maîtresse du jeune homme qu’il avait été, avait complètement disparu de sa mémoire.

- Il n’y a donc personne ?

Le café se remplissait à nouveau. On attendait un autre convoi funèbre. Jaques se leva.

- Tu rentres chez toi ou tu restes en ville ? Tu vas saluer ton père ? Peut être que nous nous reverrons si tu restes quelques jours.

- C’est ça.

Jacques  avait posé la main sur son épaule. Un geste qui n’exprimait rien de particulier. Un peu de compassion ? Un vague salut ?

- A bientôt, Pierre.

Pierre avait réservé une chambre à l’Hôtel de la Cathédrale puis il s’était promené au hasard. Il avait envie de retrouver cette ville qu’il connaissait cependant depuis toujours. Une ville qui ressemblait à une olive et que l’Escaut partageait en son milieu. Une ville qui ressemblait à de nombreuses villes et dont des sites très anciens constituaient l’attrait des touristes.

C’est la nuit souvent que les villes révèlent leur véritable visage lorsqu’on en fait le tour à pieds sans raison précise. Les arbres des parcs, on dirait qu’ils ne respirent que la nuit, à peine si on les regarde durant le jour. Le fleuve, c’est la nuit qu’on l’entend, le jour ce sont les chalands et le coup de trompe de ceux qui se croisent mais on y fait peu attention. Les villes ne sont pas des êtres humains mais comme eux ils ont un double visage, celui du jour et celui de la nuit.

Souvent, il en est de même avec des femmes qu’on croyait sans surprise. On associe souvent l’image d’une ville à celui d’une femme. Toutes les deux ont leur mystère et leur jardin secret.

Celui de Pierre se trouvait sur une des rives de l’Escaut. Celle où les jeunes garçons emmènent les jeunes filles pour y échanger maladroitement de premiers baisers mouillés. Ou le cinéma de la rue Saint-Brice, un ancien théâtre dont le projecteur tremblotait lorsque le projectionniste avait bu une bière de trop. Les sièges du fond étaient occupés en priorité par des garçons accompagnés. L’ouvreuse ne les balayait jamais de sa torche lumineuse.

D’autres souvenirs encore dont il ne savait plus s’ils étaient réels ou imaginaires le traversaient. Dieu seul sait quel passé, il voulait reconstituer. Un passé que les jeunes gens sont les seuls à connaitre mais dont plus tard ils ne se souviennent plus.

Vers sept heures, il se rendit rue des Jésuites, une rue étroite aux maisons bourgeoises, à la façade discrète mais cossue dont la plupart se ressemblaient. René y avait vécu dans ce qui avait été une maison de maître. Le président  Halloy  y vivait depuis le jour de son mariage. Lorsque sa femme était morte, il avait songé à la quitter puis parce qu’on n’abandonne pas son chagrin en abandonnant sa maison, il y était resté avec ce fils qu’elle lui avait donné. Et dont René, le parrain de Pierre, s’était occupé comme s’il avait été le sien.

Son père l’attendait. Jacques Sturbois l’avait prévenu.

- Pierre est en ville.

Son père l’aurait attendu toute la nuit. Il avait tant de choses à lui dire qu’il s’était très souvent répétées durant cinq ans. Finalement, ils n’échangèrent que quelques mots.  De ceux qu’échangent un père et un fils. Ils sont moins chaleureux souvent que ceux qu’échangent des étrangers.  Pourtant durant cinq ans ils ne s’étaient parlé qu’au travers du téléphone bien plus que de vive voix lorsque monsieur Halloy se rendait au ministère de la Justice, et déjeunait avec Pierre, debout, à la table étroite d’un café qui servait des sandwiches.

- René a spécifié qu’il souhaitait que je n’assiste pas à ses funérailles. Je suis censé ne pas savoir qu’il est mort. Il est absent.

- Oui.

Son père avait l’air de se justifier. Autant il était sûr de lui lorsqu’il s’agissait de questions générales ou professionnelles, autant il était indécis lorsqu’il s’adressait à des proches ou lorsqu’il évoquait des sentiments personnels.

- Tu vas rester ici ?

- Je pense que oui. Peut-être. Cela dépend, je ne sais pas.

Le président Halloy opinait de la tête. Au tribunal ses silences étaient significatifs, disait-on. Chez lui, c’est  sa timidité qu’ils exprimaient.

- Tu le sais. Tu es son héritier. Ainsi, tu reviens ici ? Tu dors ici ?

- J’ai une chambre à l’hôtel de la Cathédrale.

- Il va beaucoup nous manquer. C’est lui qui m’a fait promettre de ne pas l’accompagner. Il ne voulait pas que je le voie en sachant que c’était la dernière fois. Je te verrai demain, je suppose.

- Oui demain. Sûrement.

Son père hésitait. Il prenait conscience que son fils avait près de trente ans.

- Tu vas voir Julie ?

C’était la première fois qu’il prononçait le nom de Julie depuis que Pierre avait quitté la ville. Il pensait que les enfants ne devaient avoir aucun secret pour leurs parents, les parents ne sont pas des juges. Avant tout, ce sont des amis sûrs. En réalités, ils n’échangent que des banalités alors que les parents s’attendent à ce qu’ils se disent tout ce qui est important, c’est-à-dire à leurs yeux tout absolument tout. De ces jeunes gens, ils se souviennent de leur avoir essuyé les fesses.

Après quelques instants les uns et les autres se souviennent que des choses importantes racontées sans retenue l’avaient été lorsque les enfants étaient âgés entre trois et cinq ans.

Ils s’étaient quittés assez tard.

Lorsqu’il était arrivé devant la porte de la maison de Julie, une petite maison à quatre façades bâtie au fond d’un jardin, Pierre avait sonné. La porte s’était ouverte immédiatement.

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Commentaires

  • Un début qui nous incite à en connaître la suite. Vous savez maintenir le suspense !!

    A demain et bon dimanche sous le soleil revenu.

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