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Derniers poèmes d'amour d'Eluard

12272841696?profile=original"Derniers poèmes d' amour" est in recueil poétique de Paul Éluard, pseudonyme d'Eugène Paul Grindel (1895-1952), publié à Paris au Club des libraires de France en 1962. Cet ensemble regroupe les principales plaquettes de poésie amoureuse publiées par Éluard après Poésie ininterrompue: le Dur Désir de durer, paru en 1946 avec un frontispice de Chagall chez Pierre Bordas; Le temps déborde, publié en 1947 sous le pseudonyme de Didier Desroches aux Cahiers d'Art de Zervos, avec des photographies de Dora Maar et de Man Ray, et réuni au recueil précédent chez Seghers en 1960; Corps mémorable, dont l'originale sous le pseudonyme de Brun est parue chez Seghers en 1947; le Phénix, publié en 1951 chez Guy Lévis-Mano avec des dessins de Valentine Hugo.

 

En 1946, lassé de la célébrité, Éluard adopte un nouveau pseudonyme, Didier Desroches, mais sa «manière» ne change pas pour autant. Quoique rassemblé par les éditeurs de manière posthume, ce recueil est homogène par l'unité chronologique de composition, puisque les trois premières sections, dédiées à Nusch, datent des années 1946-1947. «Le Phénix», hymne à Dominique, la dernière compagne d'Éluard rencontrée à Mexico en 1949, se rattache à l'ensemble par sa thématique amoureuse, formant un ultime canzoniere. L'ordre suivi n'est pas seulement chronologique: au chant d'amour du «Dur Désir de durer» succède la tragédie du «Temps déborde», traversée du «désert pourri désert livide» après la mort de Nusch, qu'il s'agit de faire revivre par la mémoire dans «Corps mémorable», avant de renaître à l'amour grâce à Dominique dans «le Phénix». Le recueil ainsi conçu retrace donc un itinéraire dialectique - bien que la logique n'en soit pas interne comme dans Poésie ininterrompue - où la mort est vaincue par l'amour.

 

Le recueil se construit donc autour de l'admirable «Le temps déborde», composé après la mort de Nusch, brutalement emportée le 28 novembre 1946, alors qu'Éluard se soignait à Montana, dans le Valais. Ainsi que l'observe le critique Georges Poulet, l'événement singulier, anecdotique fait irruption dans la lyrique amoureuse d'Éluard, qui jusque-là affranchissait l'amour des lieux et des circonstances pour le vouer à l'intemporel et à l'universel. «Le temps déborde» rejoint ainsi au plan personnel la «poésie de circonstance» collective de Cours naturel et d'Au rendez-vous allemand. Cet événement inacceptable, impensable même, qui faillit plonger Éluard dans la folie, est au coeur du poème, qui tente d'approcher l'indicible:

 

 

Vingt-huit novembre mil neuf cent quarante-six

Nous ne vieillirons pas ensemble.

Voici le jour

En trop: le temps déborde

Mon amour si léger prend le poids d'un supplice.

 

 

Unique dans l'oeuvre d'Éluard, la précision chronologique, faisant écho au «21 du mois de juin 1906», date de la naissance de Nusch évoquée dans Poésie et Vérité 1942, témoigne de l'irruption du «réel» annoncée par Poésie ininterrompue _ de la finitude dans un univers jusque-là optimiste. Le dernier vers, dont le vocabulaire perpétue la tradition pétrarquiste de l'Amour, la poésie, n'est cette fois, ni métaphorique ni hyperbolique. Le sens littéral marque le triomphe de la «dure réalité» sur l'image: à la mort figurée - «mourir de ne pas mourir» - succède la mort effective.

 

Le topos de la précarité de l'amour se trouve ainsi renouvelé par les circonstances. Par sa méditation douloureuse sur le temps - qui joue un rôle sans cesse grandissant depuis les Yeux fertiles - Éluard retrouve la grande tradition de l'élégie, dont la tristesse n'a d'égal que la simplicité de ton. Mais contrairement aux plus beaux poèmes de Chénier, de Lamartine, de Hugo, le temps poétique n'est pas celui de la mélancolie, nostalgique du passé révolu, mais plutôt de l'«excès», du «jour en trop» qui barre l'avenir, anéantit le présent et, même, invalide le passé: «Le temps me file entre les doigts / La terre tourne en mes orbites», «mon passé se dissout», «Et l'avenir mon seul espoir c'est le tombeau.» D'où l'admirable formulation du décalage: «La vie soudain horriblement / N'est plus à la mesure du temps.»

 

L'excès du temps arrêtant le cours d'une poésie qui se voulait «ininterrompue», comme l'amour qualifié de «poème vivant», ouvre le royaume des ombres. Éluard, ici encore, reprend les motifs de la poésie élégiaque pour les intégrer à son univers imaginaire, dominé par la lumière et par le regard, dont l'échange est la vie même. La mort de Nusch plonge donc le poète, «ombre dans le noir», dans les ténèbres et la cécité:

 

 

Mes yeux soudain horriblement

Ne voient pas plus loin que moi

Je fais des gestes dans le vide

Je suis comme un aveugle-né

De son unique nuit témoin

 

("les Limites du malheur")

 

 

La violence des images s'écarte alors toutefois de la douceur élégiaque, comme l'atteste la fascination pour le cadavre en décomposition  de l'aimée mais aussi du poète. Éluard se souvient de la poétique baroque de J.-B. Chassignet («Mortel pense quel est dessous la couverture...») ou de Jean de Sponde («Mais si faut-il mourir...»), abondamment cités dans la Première Anthologie vivante de la poésie du passé:

 

 

Doux avenir, cet oeil crevé c'est moi,

Ce ventre ouvert et ces nerfs en lambeaux

C'est moi, sujet des vers et des corbeaux,

Fils du néant comme on est fils de roi

 

("Un vivant parle pour les morts")

 

 

Après avoir tenté de dire non pas tant la mort de Nusch que le retentissement de celle-ci sur la conscience poétique, la poésie est vouée à la mémoire. C'est le propos de «Corps mémorable», qui tente de ressusciter la splendeur du corps disparu que les éléments ont assimilé. L'union cosmique présente dans tous les recueils reçoit ici une signification nouvelle, littérale: «Elle ne vit que par sa forme / Elle a la forme d'un rocher / Elle a la forme de la mer / Elle a les muscles du rameur / Tous les rivages la modèlent» ("Mais elle").

 

Quant à la dernière section, consacrée à la célébration de l'amour rené de ses cendres - «le Phénix», selon une image fréquente chez Maurice Scève (voir Délie) - grâce à Dominique, elle énonce une dialectique, toute baroque, métaphorisée par le feu. La mort de Nusch y est en effet surmontée par l'amour: «Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille» ("Je t'aime"). Ce nouvel amour par lequel le monde recommence transcende aussi la mort du poète vieillissant, dans son «dernier combat pour ne pas mourir» ("le Phénix"): «L'éternité s'est dépliée» ("Dominique aujourd'hui présente").

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Commentaires

  • Analyse digne d'un critique ou d'un écrivain !!!merci beaucoup
  • Poignant rappel de la poésie d'Eluard dont je ne possède que la poésie ininterrompue. Merci pour cette belle analyse à la fois claire , détaillée et proffonde.

  • Paul Eluard fait tellement partie de notre culture poétique chantée et nous a tant émus et charmés.

    Votre article nous permet de pousser la porte de sa poésie plus loin et m'en donne l'élan.

    La femme élue et disparue, Nusch est d'une beauté stylée exceptionnelle.

    Vos apports sont toujours une mine de découvertes passionnantes pour nous

    et nous avons bien de la chance !

    Bon dimanche à vous Robert Paul

  • Merci de ramener au jour ce recueil que je possède et affectionne depuis près de cinquante ans (ce qui ne me rajeunit guère!)

    "...En trop! le telmpsdéborde..."...

  • Merci Monsieur Robert Paul .

    Paul Eluard fait partie de mes poèmes favoris dont "Certitude"

  • Merci beaucoup Monsieur Robert Paul de nous parler ainsi de Paul Eluard  , dont j'apprécie les poèmes et celui ci en fait partie :

    CERTITUDE

    Si je te parle c’est pour mieux t’entendre
    Si je t’entends je suis sûr de te comprendre

    Si tu souris c’est pour mieux m’envahir
    Si tu souris je vois le monde entier

    Si je t’étreins c’est pour me continuer
    Si nous vivons tout sera à plaisir

    Si je te quitte nous nous souviendrons
    En te quittant nous nous retrouverons.

    Paul Eluard

  • Merci ,monsieur Paul !

  • NUSCH portrait d'une muse du surréalisme par Chantal Vieuille

    Texte de Chantal Vieuille
    suivi de Les Collages de Nusch de Timothy Baum
    50 photographies en N/B de Man Ray, Brassaï, Dora Maar, Lee Miller, Roland Penrose
    Il s'agit là de la première biographie de Nusch.
     

    Maria Benz est née en 1906 à Mulhouse. Surnommée Nusch par son père, elle renait sous le nom de Nusch Eluard en devenant la seconde épouse du poète surréaliste Paul Eluard en 1934.
    Femme d’une extraordinaire simplicité, ignorant l’ambition, elle consacra sa vie à l’amour et devint, malgré elle, la merveilleuse inspiratrice du poète et une figure emblématique du Surréalisme.
    Photographiée jusqu’au sublime par Man Ray, Brassaï, Lee Miller, Dora Maar, peinte et dessinée à plusieurs reprises par Picasso, elle fut un modèle, une muse, une icône.

    Envoûté par son charme délicatement sensuel, ému par sa grâce éthérée, Paul Eluard a célébré son nom, son amour et sa liberté jusqu’à ce jour de novembre 1946 où elle décèda brutalement d’une hemorragie cérébrale.
    Premier livre consacré à Nusch, voici le portrait richement documenté d’une femme d’avant-garde, amoureuse, sensible, élégante, silencieuse, voire effacée, qui inventa avec Paul Eluard un savoir-vivre ensemble d’une haute qualité, au nom de l’art, la poésie et la beauté.

    2965951654?profile=original

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