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12272875253?profile=original"Demeure le secret" est un recueil poétique de Max-Pol Fouchet (1913-1980), publié à Paris au Mercure de France en 1961. Il rassemble des textes qui, pour certains, furent composés dès 1939 ("Prise de Barcelone"), voire 1936.

 

Les événements historiques et le drame personnel et intime: Seconde Guerre mondiale, mort de l'épouse en 1942 dans le naufrage du Lamoricière, semblent unir cette poésie à une expérience vécue. Mais ce n'est là qu'apparence. La poésie de Max-Pol Fouchet parle d'une relation plus fondamentale à l'être et au monde: elle dit le silence de la mort omniprésente.

Demeure le secret est rythmé par l'alternance de poèmes brefs, aux mètres souvent courts, utilisés sans régularité d'un poème à l'autre ("Note unique", "les Limites de l'amour", "le Blé du désert") et de poèmes plus longs, aux mètres amples, qui souvent célèbrent le corps de la femme aimée et disparue ("Femme de nuit et d'aube", "la Mer intérieure", "Préhistoire de la mort"), ou parfois dénoncent le monde comme illusion et source de mélancolie et de vertige. Cependant, en "Règles de vie", souffle court et souffle long se complètent avec bonheur, en un chiasme subtilement mis en place autour d'un quintil bref et définitif, qui affirme la résolution d'intervenir dans une Histoire envahie par le haut mal.

 

Max-Pol Fouchet ne se trompe guère sur lui-même ni sur les bienfaits de sa poésie, cri de colère qui reste sans effet: «Je n'ai rien fait sinon serrer le poing.» S'il se représente, face aux scandales de l'Histoire, avec ironie, bien installé dans son confort, il sait aussi qu'il peut être «loyal requin» ("Prise de Barcelone", 3). Le poème relate, ainsi, une mutation éthique: la liberté, valeur fondamentale menacée en ces années 1940, exige un sursaut pour que soit préservé l'essentiel _ «le bruit des branches», la clarté du ciel, une «fleur au chemin», l'amour. L'épreuve de la guerre permet un pas en avant, non pas historique, mais ontologique. Etre «assez homme pour ne plus l'être», redevenir prédateur pour se libérer ensuite de cette pesante humanité.

 

Car le projet éthique prend place dans une visée plus essentielle. Pensée sur le mode végétal - les amandiers de Barcelone, les saisons -, la liberté se fond dans une physique cosmique. De même, le corps de l'aimée, dans une suite de métaphores, se dissout dans la mer. Max-Pol Fouchet est le poète du primitif et du fondamental. L'amour est le principe qui unifie cet univers proche de celui des présocratiques: il trouve ses échos dans les tempêtes, tandis que les arbres rêvent de devenir radeaux pour rejoindre la femme aimée engloutie dans l'océan par l'Histoire. La liberté ne saurait ainsi être que ce rythme primordial qui veut que rien ne se perde. Le registre marin, si présent en ces poèmes, fait de la mer le creuset originel: l'humide reste un des thèmes fondamentaux de cette écriture et trouve dans la femme un motif obsédant ("Femme de nuit et d'aube").

 

Pourtant, se dresse la figure d'Orphée, distrait, qui oublie et perd celle qu'il aime. Entre l'homme et la femme, entre le sujet et le monde, il y a toujours la mort. Une mort omniprésente dans le paysage, dans une promenade en forêt, ou dans le rythme des saisons ("A la fenêtre"). Source d'affolement ou d'angoisse, elle dicte des poèmes où se multiplient les questions ("Retrouverons-nous") qui demeurent sans réponse. Car de la vie à la mort, il n'y a rien, sinon l'ombre, la nuit, agents d'un effacement définitif qui provoque l'oubli. Puisque toute porte est «magie des limites, sortilège d'apparence» ("les Écoles du vertige"), que suis-je pour l'autre, sinon une absence et une figure de la mort? Il faut penser le rêve dans ce contexte, et aussi l'amour: chacun des amants existe par l'autre ("Longuement j'écoute"), mais chacun provoque «la panique de [la] vie» de l'autre ("Je suis l'enfant", "le Bouquet de tes rêves").

 

«Et l'équilibriste rêve.» Le poète serait-il cet équilibriste? Max-Pol Fouchet refuse les compromis. Le poème n'est que «méprise». On ne saisit pas la mort ("Choses les plus prochaines"). Ce tisserand du vide, pourtant, écrit: il chante le leurre, si tragique, de la vie. Parler la mort, chanter Jeanne engloutie, ce sera aussi «vivre la mort» en la mettant au monde et «mourir la vie» en la rendant au principe qui la mène ("la Mer intérieure"). Mais dire la mort, ce sera encore la voir, en mesurer les progrès et marquer les étapes d'un acheminement au néant. La victoire du poète est peut-être là: «Je te vois mourir ô mort tout mortel que je suis» ("Préhistoire de la mort"). A pas comptés, par de brèves notations enfermées dans un présent à valeur d'éternité ou des infinitifs atemporels, par des poèmes où l'absence de ponctuation contribue au resserrement formel et à la continuité des signes, par la structure répétitive de certaines pièces où patiemment le monde semble reconquis ("le Visage de l'âme", "Etre assez lourd"), Max-Pol Fouchet ressaisit ce qui pourtant s'efface à jamais.

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