Le Sri Lanka est profondément marqué par le bouddhisme originel. Il en conserve la forme la plus pure et son art en est le meilleur vecteur.
Si le Bouddha a interdit aux moines l’exercice de certains arts libéraux, la médecine comme le commerce, le tabou ne touchait pas la production et la diffusion d’images décoratives comme figuratives. Mais elles sont toujours symbolistes, idéalisées. D’où notre impression d’uniformité, de répétition, liée aux archétypes ainsi créés.
Au contraire la peinture devait être le propagateur de la foi le plus efficace. Le sittara (peintre) le véhicule le plus sûr. Peintre porte-parole, traçant la voie d’une vie meilleure pour le pécheur. Couleurs et formes menant à la connaissance, à la réflexion, à la sagesse et à l’éveil. Comme dans notre imagerie médiévale ma foi.
Peinture à la détrempe, Dambulla, XVIIIe siècle
« Lorsque le sittara peignait un arbre sur un mur, il ne cherchait pas à représenter un arbre particulier, mais il voulait évoquer un symbole et un type idéal. Cette image était en un sens l’âme ou l’esprit fondamental de tous les arbres de l’espèce choisie par l’artiste. »,
Diyogu Badathuruge Dhanapala (1905-1971)
Ici la peinture se déploie non pas sur la toile (bien qu’aujourd’hui elle se retrouve sur internet), mais sur la paroi rocheuse ou le mur des temples. Ce qui revient à employer deux techniques souvent confondues. La fresque proprement dite, et la peinture à la détrempe.
Dans la première les couleurs s’imprègnent dans le plâtre et s’intègrent à la surface.
Dans la détrempe, les couleurs sont peintes par couches sur la surface du plâtre.
Scènes de la vie du prince Siddharta
- le futur Bouddha -
parti en quête de la vérité.
Peinture à la détrempe, Dambulla, XVIIIe siècle
La fresque vraie se révèlera au final plus pérenne, avec des couleurs naturelles, douces et fondues. Certes le choix des couleurs, appliquées sur l’enduit encore humide, est limité. L’ocre, le jaune, le rouge dominent, soulignés de noir. Puis le vert tendre, malachite, le bleu, parcimonieux, rehaussent les tons sourds de l’ensemble.
Avec la détrempe, les couleurs sont plus vives, plus variées peut-être, le trait plus net. Mais ces peintures tendent, à la longue, à s’écailler. D’où les nombreux repeints ultérieurs, les couches successives qui altèrent le dessin. Et le style se perd.
Un style primitif, sensuel et libre, tout en restant dans les canons de la foi, pour les premières.
Un style plus tardif, naïf souvent, plus emprunté, pour la peinture à la détrempe. Ce qui trahit un certain déclin, qui correspond aussi, soutenons l’hypothèse, à l’occupation de l’île par, tout à tour, les Portugais, les Hollandais, les Anglais.
Scènes de la vie du prince Siddharta.
Peinture à la détrempe, Dambulla, XVIIIe siècle
Arrivé à ce moment de ma présentation, je dois vous avertir que vous ne verrez pas d’images du premier style. La raison en est simple, quoique pas toujours compréhensible !
Peinture à la détrempe, Dambulla
" Ceux qu’aveuglent attraction et répulsion ]…[ ne peuvent comprendre une telle Doctrine qui s’annonce à contre-courant, subtile, profonde,
difficile à saisir. "
Sûtra bouddhique
A Sigiraya, le Sihagiri, « Rocher du Lion », abrite dans une saillie rocheuse, à franc de falaise, d’admirables fresques, datées du Ve siècle. Les plus belles et originales qui soient, les plus connues aussi. Les photos, encore récemment, étaient autorisées. L’endroit est bien gardé, les visiteurs pas si nombreux (un escalier à la verticale y mène, par une chaleur éprouvante), la lumière naturelle suffisante. Mais j’imagine que les obsédés du flash (ici parfaitement inutile, pire néfaste) ont sévi. L’interdit s’est imposé.
A Dambulla, le Rangiri, « Rocher doré », couvre une série de cinq grottes protège 150 Bouddhas et de nombreuses peintures à la détrempe. La pénombre règne, les peintures, pour les raisons ci-dessus expliquées, fragiles. Le flash est donc nécessaire. Là, la photographie, naguère interdite, est maintenant autorisée. Si j’ajoute que les deux sites sont protégés et inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco, je ne m’explique pas la logique de ces décisions (d’autant qu’au musée archéologique de Polonnaruwa, où les œuvres relèvent de la statuaire et de l’art décoratif, donc en pierre ou en bronze… les photos sont aussi prohibées) !
Cette longue digression pour vous dire que nous ne verrons que des illustrations du second style. Je me limiterai, pour l’essentiel à Dambulla, le plus caractéristique de ce dernier, où j’ai donc pu saisir les scènes les plus explicites.
Pourtant les « Demoiselles du Ciel » de Sigiraya, princesses, servantes ou apsaras (nymphes célestes) sont si graciles, élégantes et sensuelles « La poitrine nubile et pleine, la taille mince à peine plus forte que le cou, les bras fuselés et les mains exquises comme de longues fleurs » qu’on les regarde, lascives, sans se lasser. Tout n’est vraiment ici qu’harmonie, luxe, calme et volupté, pour le poète inventé.
Regrets.
Jeune femme en costume traditionnel cinghalais
Arrachons-nous, je sais, c’est dur, à ces Demoiselles des nuages pour nous intéresser enfin à Dambulla, plus précisément au vihâra (monastère) de Rajamaha. Cette fois vous ne le regretterez pas.
Peinture à la détrempe, Dambulla
« Allez, ô moines ! et voyagez pour le bien et le bonheur d’autrui, par compassion pour le monde, pour le bien-être des dieux et des hommes. »
A suivre...
Michel Lansardière (texte et photos)
Commentaires
Merci Chantal, la suite est disponible sur A&L
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/d-ambulations-autour-d...
c'est superbe et très intéressant!
Merci beaucoup pour cette découverte et ce partage
Merci Sonia d'ainsi me suivre.
Merci pour cet agréable message et ce retour sur ma page Danielle.
Merci Béatrice pour ton attention, toujours soutenue.
Merci Michel! ... Et sûrement, toi qui aime l'art, tu sais danser la Vie ... selon tes affinités.
Merci pour cette contribution Danielle.
Dans la seconde partie, je développerai une hypothèse, certes discutable, mais que je crois séduisante. Il y sera question de peinture, de musique et de danse.
J'espère que vous me suivrez sur cette piste, moi qui ne sais pas danser !
Bien sincérement, bien cordialement.
C'est moi Dora qui vous remercie pour votre lecture approfondie. J'espère que la suite vous séduira tout autant.
Lisette, Alexis merci pour ces marques d'amitié laissées sur ma page.
Cher Michel, tu as certes l'art de nous rafraîchir la mémoire des messages essentiels transmis dans notre humanité, merci! Et oui, c'est un plaisir. Il m'arrive aussi de me dire: ... "Et maintenant, dans notre présent, étant donné que la technologie permet une diffusion à large échelle, quelle est notre prise de Conscience de qui nous sommes vraiment?" Les meilleurs messages du passé n'ont-ils pas pour but d'y arriver tôt ou plus tard, ... ne te semble-t'il pas que c'est le moment? En toute simplicité, ce que tu partages m'inspire cela. Sine cera! Sans doute sais-tu d'où vient "sine cera". Au moyen-âge, les sculpteurs dont Michelangelo, dès lors qu'ils n'avaient pas à corriger une "erreur" de sculptage par de la cire, signaient "sine cera" d'où est venu le terme "Sincèrement" au bas de nos lettres ...